Rapport de M. Le Doyen de la Faculté des lettres
Nancy (Meurthe-et-Moselle)
; Rapport du Doyen de la Faculté des lettres
;
Partie du document
;
publication en série imprimée
; sr1872_12
;
Est une partie de : Inauguration de la Faculté de médecine et rentrée des Facultés de droit, des sciences et des lettres de Nancy, le 19 Novembre 1872
par : BENOIT, Charles
seance_rentree_1872_12.pdf, application/pdf, 1,29 Mo,
Titre (dcterms:title)
Rapport de M. Le Doyen de la Faculté des lettres
Identifiant (dcterms:identifier)
sr1872_12
Date de création (dcterms:created)
1872
Est une partie de (dcterms:isPartOf)
Créateur (dcterms:creator)
BENOIT, Charles
Sujet (dcterms:subject)
Rapport du Doyen de la Faculté des lettres
Editeur (dcterms:publisher)
Imprimerie de Berger-Levrault et Cie. 11, Rue Jean-Lamour, 11
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Institut François Gény (EA 7301 Université de Lorraine)
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Bibliothèque-médiathèque de Nancy
Date de publication (dcterms:issued)
1873
Format (dcterms:format)
PDF avec ocr
Langue (dcterms:language)
fr
Type (dcterms:type)
publication en série imprimée
Couverture spatiale (dcterms:spatial)
Nancy (Meurthe-et-Moselle)
Droits (dcterms:rights)
extracted text (extracttext:extracted_text)
UNIVERSITÉ
DE
FRANCE.
—
ACADÉMIE
DE
NANCY.
he———
INAUGURATION
DE LA FACULTÉ
DE MÉDECINE
RENTRÉE DEN FACULTÉS
DE DROIT, DES SCIENCES ET DES LETTRES:
DE NANCY
Le
19
Novembre
187%.
NANCY
IMPRIMERIE DE BERGER-LEVRAULT ET Cf.
11,
RUE
JEAN-LAMOUR,
1873
{1
RAPPORT
DE
M. LE
DOYEN
DE
LA
FACULTÉ
DES
LETTRES
Messieurs,
Aujourd'hui tout l'intérêt de notre séance de rentrée s'ab-
sorbe dans l’installation de cette Faculté de Médecine et de
Pharmacie, qui vient, après dix-huit ans d'attente, compléter
notre Université de Nancy, Car voilà dix-huit ans déjà que
nous inaugurions ici l'enseignement supérieur avec une
Faculté des Sciences et une Faculté des Lettres, mais pleins
de foi dans la fortune de cette jeune Université, dont nous
venions jeter les fondements, et dans l'avenir de cette ville.
Le succès a justifié notre confiance. Dix ans après, en 1864,
la Faculté de Droit nous était donnée, dès son début si florissante. Aujourd'hui, c’est la Faculté de Médecine de Stras-
bourg, dont Nancy recueille l'héritage. Le faisceau est complet.
Pourquoi faut-il que nous ayons acheté ce dernier avantage
au prix de si grands désastres de la patrie, et que dans ces
nouveaux collègues que le sort nous amène, nous accuciïilions
des exilés! Puissent-ils du moins trouver ici dans notre hospitalité quelque adoucissement à leurs regrets! Puisse la nouvelle destinée, qui s'ouvre ici à leur Faculté, leur faire oublier
la douleur de l'exil!
Je reviens à notre Faculté des Lettres, qui, elle aussi, de-
vait particulièrement recueillir quelques épaves dans ce douloureux naufrage. Car elle hérite, de la Faculté des Lettres
de Strasbourg,
deux
chaires nouvelles, qui lui permettront
62
RENTRÉE SOLENNELLE
de donner désormais plus de développement à l’enseignement
de
la Littérature ancienne
et aux études d'Histoire et de
Géographie.
Quelques mots sur nos Examens de l'an dernier, et sur la
distribution de notre enseignement pour la présente année.
I. — EXAMENS.
Point de Doctorat cette année. Nous écartons d'ici les
thèses médiocres; et les thèses distinguées vont (souvent sur
notre conseil) chercher le grand jour de Paris et une utile
renommée. Une soutenance toutefois aura lieu ces jours-ci;
ct le mérite connu du candidat, aussi bien que la solidité de
ses thèses, nous promet une brillante épreuve.
LICENCE. — Vous savez que nous avons ici des Conférences
spéciales pour préparer les jeunes gens à ce grade de licencié ès lettres. Dieu sait que nous n’y épargnons pas nos
soins ni nos peines. Et cependant, dans les examens de cette
année, ce sont d'ordinaire les candidats du dehors qui ont
obtenu les premiers rangs.
Ainsi, à la Session de novembre 1871, sur les quatre candidats admis, le premier, M. Fénal, n’appartenait que de loin
à notre Faculté; MM. les abbés Boissière et Caulle nous
étaient venus des Carmes: M. Dumont seul avait été un de
nos disciples assidus.
Aïnsi encore, à la dernière Session de juillet, nos candidats
admis étaient pareillement pour la plupart des étrangers. Sur
treize qui se sont présentés, les siæ qui ont été jugés dignes
du grade n'avaient guère eu avec notre Faculté que des rapports éloignés. Ce sont : M. Marchal, de Bar-le-Due, esprit
heureux et cultivé avec soin, qui préludait dans nos examens
au concours de l'École normale, où il vient d'entrer avec
distinction. — M, l'abbé Troncy, élève de l'école des Carmes.
— M. Lombard, celui-là un des nôtres, qui soutient dignemeñt l'honneur du nom paternel et marche vaillemment sur
|
les traces
DES FACULTÉS.
63
de son aîné. — M. Simon, qui était alors un des
meilleurs professeurs du collége de Pont-à-Mousson, et qui
vient d’être appelé au Iycée de Versailles. — M. Xrantz, que
nos espérances et nos vœux désignaient, comme Marchal son
émule, pour l'École normale, et qui assurément, s’il veut
persévérer, y a sa place marquée.
— Et enfin, M. l'abbé ZLatly,
élève de l’école des Carmes et chapelain de Sainte-Geneviève.
En louant ainsi cette élite de nos candidats, dont le succès
a couronné le travail et le talent, je dois cependant rendre
justice à ceux de leurs rivaux, qui, en approchant plus ou
moins de la borne du stade, n'ont pu encore la doubler. Plusieurs d'entre eux étaient bien jeunes et n'avaient pu assez
mûrir et féconder leurs études par la réflexion. Chez d’autres, la première éducation classique avait laissé bien des
lacunes à combler, Du moins, sans pouvoir encore les admettre, nous avons su apprécier leurs louables efforts et
mesurer leurs progrès accomplis.
BACCALAURÉAT. — 479 candidats se sont présentés à ect
examen dans le cours de l'année. C’est le plus haut chiffre
que nous ayions encore atteint; héritage en partie des provinces annexées. Ces jeunes gens, victimes de la conquête,
semblent chercher, dans le diplôme de bachelier, comme un
titre de citoyen français : c'est leur option. Mais je n'ose
espérer que ce chiffre se maintienne. Avec Metz, en effet,
notre Académie a perdu deux établissements considérables
d'instruction secondaire, le lycée d’abord, et ensuite le collège Saint-Clément, qui vient d'être proscrit à son tour, et
dont les maîtres et les élèves sont condamnés à se disperser
dans des maisons lointaines. L'Académie de Nancy a perdu
là deux des plus beaux fleurons de sa couronne.
Si, l'an dernier, nous avons dû user de quelque indulgence
pour bien des jeunes gens dont la guerre avait troublé les
études, l'examen, cette année, a pu reprendre
son juste ni-
veau. Peut-être même pourrait-on dire qu’en somme, depuis
la guerre, les études ont gagné dans nos collèges, et que la
64
RENTRÉE SOLENNELLE
leçon cruelle des événements n'a pas été entièrement perdue
pour notre jeunesse. Sans doute, ce n'est pas dans le Discours
latin, ce fruit de toutes les études accumulées, que cette
amélioration se fait sentir: on ne refait pas à la veille de
l'examen une éducation classique manquée. Nous y remar-
quons toujours trop, combien l’histoire moderne a fait oublier
à nos élèves l’histoire ancienne, qui sert ordinairement de
cadre à cette composition : Rome et Athènes leur sont devenues
des villes étrangères, et tous les grands et généreux lieux
communs de leur histoire n’éveillent plus en leurs cœurs nul
souvenir, nul écho. De là ces amplifications banales, ces paraphrases stériles de la matière, où nos enfants n’apprennent
que l’art funeste de déclamer dans le vide.
La
Version en
général vaut mieux, et prouve combien cet exercice de traduction (en même temps qu'il fait mieux pénétrer dans le
. génie de la langue latine) est propre à leur enseigner les
ressources de la langue française et l’art du style. Mais la
meilleure des trois compositions cst encore la Dissertation
philosophique. On y peut apprécier combien la plupart de ces
jeunes esprits profitent à vivre un an dans le commerce de
ces hautes matières, et combien cette discipline du raison-
nement les façonne à la méthode, à la rigueur scientifique
et à l'exposition exacte de leurs idées, en même temps
‘qu'une saine doctrine contribue à les armer à l'avance contre
los chimères dangereuses et les systèmes malsains, qui vont,
au sortir du collége, assaillir leur jeunesse. Bien des candidats, insuffisants d’ailleurs, ont dû à cette composition meil-
leure d’être admis par voie de compensation à l'épreuve orale,
et partant au succès définitif.
Car le nombre des candidats, qui échouent sur cette seconde
partie de l'épreuve, estrelativementassezrestreint. Non pas que
cet examen oral soit bien brillant. Sauf quelques exceptions,
il est même généralement assez terne. Qu'en dirai-je que je
n'ai maintes fois déjà répété? Que le grec est toujours en
déclin; que l'explication des auteurs latinsse soutient mieux,
DES FACULTÉS.
65
mais que l'étude des auteurs français continue à être singu-
lèrement négligée dans notre éducation classique. Que la
philosophie fait assez bonne figure à l'examen oral comme
aux compositions; mais que l'histoire et la géographie sont
loin encore d'avoir conquis dans nos études leur rang légitime.
En revanche, la moyenne des examens sur les éléments des
sciences physiques et mathématiques s'est fort relevée dans nos
récentes épreuves. Nos candidats, au témoignage de leurs
examinateurs, auraient été, sur ce point, supérieurs à la plupart des candidats au Baccalauréat ës sciences, et auraient
en outre montré combien une culture littéraire plus complète
donne à l’esprit plus d'étendue et de ressort.
Je m'étonne
que, dans notre province, nos candidats en
général ne mettent
pas plus
d’empressement
à réclamer
examen facultatif sur les langues vivantes. La connaissance
d'une ou deux langues modernes devient désormais indis-
pensable dans une éducation libérale; il est temps qu’elle
devienne dans un examen littéraire une condition obligatoire.
Sur les 479 candidats (qui se sont présentés dans les trois
sessions de novembre 1871, de mars et d'août 1872), 251 ont
été admis (52,4 pour 100) et 228 ont été éliminés, à savoir:
177 à l'épreuve écrite et 51 à l'épreuve orale.
Parmi
les 251
candidats
heureux,
2 seulement
ont
été
admis avec la note érès-bien: MM. Hémardinquer et SeligmanLui. — 6 avec la mention bien: MM. Chavegrin, Manœurre,
Burckhardt, Huet, Balland
et Cruchet. — 73 avec assez bien.
170 avec la modeste note passablement (1).
{; Tableau
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des trois Sessions.
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Novembre
1871,
181
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14
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,
1
7
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63
Mars
1872
..,...
45
15
8
21
%
1
3
gi
25
Août
1872,,,,,.
302
110
29
189
4
68
94
163
TOTALe serve
479
477
51
228
6
15
170
951
FAGULTÉS.
È
5
66
RENTRÉE SOLENNELLE
Ainsi le chiffre des admis dépasse À peine la moitié du
nombre des candidats. N'est-ce pas un résultat déplorable?
Quand cet examen du Baccalauréat n’a pour objet que de
constater des études classiques régulièrement faites, comment
se fait-il que tant de candidats n’y puissent pas satisfaire ?
Sommes-nous donc trop sévères? et sommes-nous justement
maudits? Non, certes. Mais
est-ce notre faute, si on laisse
monter de elasse en classe des élèves incapables, qu'on devrait
arrêter par de sérieux examens de passage dans la classe inférieure, jusqu’à ce qu’ils fussent en état d'être admis séricusement à la classe supérieure? Doit-on s'en prendre à nous,
s'ils arrivent de la sorte à l’issuc de leurs études, sans qu'on
les ait avertis jusque-là de leur insuffisance, pour être alors
arrêtés devant la grille qui est placée au bout? Dans sa récente circulaire, le Ministre de l’Instruction publique insiste
sur cette nécessité de poser les barrières à chaque degré des
études, au lieu de laisser les élèves avancer librement jusqu’à
cette porte du Baccalauréat, que la moitié d'entre eux atant de
peine de tourner ou de prendre d'assaut. Que cette discipline
nécessaire soit sérieusement appliquée, et je m'engage d’hon-
neur, d'ici à quelques années, à recevoir tous les candidats
qui se présenteront pour obtenir le grade de bachelier.
TU. —
ENSEIGNEMENT,
Je vous disais, Messieurs, que le Ministre de l'Instruction
publique, en même temps qu'il groupait à Nancy quatre
Facultés en une véritable Université, avait voulu développer
et fortifier chacune de ces Facultés, en les dotant de chaires.
nouvelles, pour répondre à toutes les vocations de la science,
moderne et à tous les besoins de notre temps.
Ainsi, dans notre Faculté des Lettres, la chaire de Litté-
rature ancienne de Strasbourg, transférée ici, a permis de
dédoubler l’enseignement de l'Antiquité classique. Depuis
un an déjà, vous avons pour cet objet deux chaires distinctes :
DES FACULTÉS.
67
l'une consacrée à la Langue et à la Littérature grecques,
l'autre à la Langue et à la Littérature latines. Le Ministre a
pensé, sans doute, qu'au moment où la part de cet enseigne-
ment classique allait être réduite dans le plan des études,
il était convenable de l’augmenter dans l’Instruction supéricure.
M. Campaux, qui, l'an dernier, en succédant directement
à notre bien regretté collègue Eugène Benoist, avait pris
possession de la Grèce comme de son domaine naturel, mais
qui n’est pas moins chez lui dans l'antique Rome, enseignera
désormais la Langue et la Littérature latines. Il cède l’enseignement de la Langue et de la Littérature grecques à un
jeune
helléniste, M. Decharme,
qui, dès l’École normale,
mais surtout à l’École d'Athènes, annonçait sa vocation particulière pour l’érudition hellénique, et qui, à ce titre, semblait
prédestiné surtout pour cette chaire. Ses leçons de l’an dernier
sur la mythologie homérique ont pleinement justifié cette
espérance.
D'un autre côté, en transférant ici par un récent décret la
chaire
d'Histoire de la Faculté de Strasbourg, le Ministre
l’affectait spécialement
à l'enseignement de la Géographie,
faisant ainsi une part expresse dans l’Instruction supérieure
à une science jusqu'ici trop négligée, mais qui prend désormais son rang parmi nous comme de vive force et par droit de
conquête. Pour inaugurer cette chaire nouvelle, il y appelle
un jeune professeur, M. Vidal-Lablache, que ses succès déjà
anciens à l’Agrégation d'histoire et ses travaux à l'école
d'Athènes désignaient entre tous pour cet enseignement.
Dans la chaire même d'Histoire proprement dite, nous
avons te bonheur de conserver, comme suppléant de M. La-
croix, M. Petit de Julleville, dont nous avons tous pu appré-
cier le talent élevé dans ce cours éloquent de l'an dernier,
où il nous retraçait d'une façon siinstructive et si pathétique
les destinées de la Grèce sous la domination romaine.
Enfin, dans le courant de la dernière année, M. Gebhart,
68
RENTRÉE SOLENNELLE
nommé titulaire à la place de M. Chasles, entrait en possession définitive de la chaire de littérature étrangère, à laquelle il s'était acquis tant de titres depuis huit ans qu’il
l’occupait comme suppléant.
C’est ainsi que notre Faculté
des Lettres se renouvelle et
se rajeunit d'année en année par l’infusion d'un sang nouveau. Je demeure aujourd'hui seul de la fondation. Tous les
autres sont partis, pour suivre ailleurs leur fortune. Mon
cher Lacroix, qui datait comme moi des premiers jours, ne
nous appartient plus que d'esprit et de cœur; la Sorbonne,
qui nous l'a emprunté, sans doute le gardera.
— Du moins
M. de Margerie, qui vint ici dès la seconde année, nous
reste. Il s’est attaché à notre ville et à notre Faculté, dont ïl
est l'honneur, comme à sa patrie, par tout le bien qu'il y
faisait. Nous en sommes, à nous deux, les hommes des an-
ciens jours et comme la tradition vivante au milieu des chan-
gements qui transforment successivement notre personnel.
En verité, si, comme Nestor, le vieux doyen ne peut se défendre d’un sentiment de mélancolie à voir se succéder ainsi
autour de lui ces jeunes générations de professeurs, du moins
il éprouve une satisfaction généreuse à suivre en esprit ceux
qui nous ont quittés, les Mézières, les Burnouf, les Lacroix,
les Eugène Benoist, lesquels continuent à faire tant d'hon-
neur par leur fortune à la Faculté de Nancy, à laquelle ils
ont appartenu ; et, d'un autre côté, il a le droit de seglorifier
du soin qu'apporte l'Administration
supérieure à désigner
leurs successeurs. En considérant autour de moi ces jeunes
et vaillantes recrues, qui viennent depuis un an renforcer
notre bataillon sacré, mon premier sentiment est de remer-
cier le Ministre de cette sollicitude, avec laquelle il à choisi
les maîtres chargés de soutenir la renommée des anciennes
chaires et d’inaugurer les chaires nouvelles. Assurément,
en face de cette ample Université germanique, que l'Alle-
magne vient d'instituer à Strasbourg, et qu'elle dote avec
une libéralité superbe, j'espère que l'Université de Nancy
DES
FACULTÉS.
69
sera en mesure de faire bonne figure. — Pour justifier la
confiance du Ministre et mériter ce poste d'honneur qu’il
nous à assigné, nous redoublerons d'efforts de notre côté.
Vous savez, Messieurs, que pour remplir cette mission, ce
n'est pas le zèle qui nous manque. Mais il faut que nous y
soyons aidés par la bonne volonté de tous. Nous ne pouvons
rien sans votre concours.
Notre enseignement, vous le savez, a un double objet. D'un
côté, dans des Conférences d’un caractère plus intime et plus
austère, nous groupons autour de nous un petit nombre de
disciples, qui se préparent sous notre direction pour le professorat. — D'un autre côté, dans des Cours ouverts indistinctement à tous les auditeurs curieux des choses de l’esprit, nous nous proposons de répandre et de populariser
autour de nous tous les progrès de la science moderne, en
même temps que nous nous efforçons de ranimer et d’entretenir dans les esprits, avec le goût des lettres, le culte des
grandes pensées, qui font l'honneur de l'âme humaine et
comme le patrimoine particulier de la France,
Par les Conférences d'abord, il n’a certes pas tenu à nous,
que notre Faculté ne soit depuis longtemps devenue une succursale de l'École normale supérieure et une pépiniére de
jeunes maîtres pour l'Université. Assurément, il n’est pas
d'ambition plus légitime et plus opportune. Car, en dehors
de l’École normale, qui ne reçoit guère chaque année qu'une
trentaine d'élèves pour les Sciences et pour les Lettres, il
n'y a pas d'autre centre d'études que
nos Facultés,
où tous
les autres jeunes gens qui se destinent à l'instruction puissent trouver une direction de leur travail. Bien des essais
sans doute ont été déjà tentés dans ce sens. Je crus la chose
assurée, quand M. Düruy, Ministre de l'Instruction publique,
résolut d'instituer, dans chaque grand lycée placé près d'une
Faculté, un corps de Maîtres-répétiteurs auxiliaires, auxquels on réservait un suffisant loisir pour leurs études. —
Mais, soit que l'œuvre n'ait pas été constituée tout d’abord sur
70
RENTRÉE
SOLENNELLE
un pied assez large et assez libéral, soit que le recrutement
de ces maîtres ne se soit pas fait avec de suffisantes ga.
ranties, jusqu'ici le résultat n’a pas assez répondu à nos efforts et à nos espérances. Ce n’est pas que je me décourage.
Il fautseulement que l'institution s'élargisse et se régularise ;
qu'en attirant à ces écoles par des avantages certains l'élite
de nos jeunes maîtres, on puisse dès lors élever davantage
par le concours les conditions de l'admission. Enfin, ne pourrait-on pas exiger que, pour être admis à des fonctions dans
l'enseignement secondaire ou se présenter à l’Agrégation, on
fût astreint à participer pendant deux ou trois ans, d’une façgon active, aux études d'une Faculté ? Ce n’est qu’à ces conditions que cette création excellente de M. Duruy pourra
porter tous les fruits qu'on est en droit d’en attendre.
Quant
à nos Cours publics, nous aimerions à y voir en
plus grand nombre les jeunes gens
vons jamais voulu user avec eux
oblige. C’est par l'attrait seul et le
bien entendu, que nous voudrions
de nos Écoles. Nous n’adu règlement qui les y
sentiment de leur intérêt
réunir et retenir autour
de nos chaires ceux qui ont fait d'assez bonnes études, pour
en conserver le goût des lettres et des choses de l'esprit.
C'est à ces jeunes étudiants, en effet, que ces cours s#adressent de préférence. Mais ils n’en sentent pas assez le
prix.
|
Je sais bien que les temps sont médiocrement favorables,
et que les esprits, surtout chez les jeune générations, ne sont
guère tournés en ce moment vers ces études désintéressées
des Lettres. Les sciences positives et leurs merveilles, et les
sourecs de richesses qu'elles nous ouvrent par leur application à l’industrie, ont fasciné les imaginations et entraînent
l'attention ailleurs. Peut-être aussi les œuvres frivoles et
malsaines de la littérature contemporaine ont-elles trop blasé
et affadi les esprits, pour qu'ils puissent goûter encore l'austère et généreuse saveur des grandes âmes et des époques
saines. Ajoutez-y en outre, chez beaucoup de nos jeunes
DES
FACULTÉS.
T4
gens, l'éloignement qu'ils ont gardé de leurs études pour
les lectures sérieuses. Tel est en effet Ie résultat funeste de ces
programimes, qui ont pesé si longtemps sur l'éducation littéraire de nos colléges, et dont un Ministre aussi sensé que
hardi essaie enfin de nous affranchir. Façonnés par une discipline mécanique, habitués à n'étudier que sous l’aiguillon
des examens, nos jeunes gens semblent n'avoir emporté de
ces études qu’un souvenir d'ennui.
Aussi, pour la plupart, les inscriptions prises à la
des Lettres ne sont-elles qu'un impôt. Nous avions
cependant, que les grands et terribles enseignements
guerre nous a infligés, et les lumières sinistres qu'elle
Faculté
espéré,
que la
a jetées
sur nos misères morales, frapperaient davantage les âmes de la
jeunesse, en lui révélant ce qui nous manque surtout de s0-
lide dans le caractère, de sérieux dans l’esprit, d'exact dans
notre instruction. Mais
le besoin
de nous refaire un tempé-
rament moral plus vigoureux, d'éclairer notre esprit et de fortifior nos cœurs pour toutes les crises, ne paraît pas encore être
suffisamment ressenti. Au lendemain même des catastrophes
inouies où la France a failli périr, plusieurs de nos professeurs dirigeaient volontiers leurs leçons vers la solution des
redoutables problèmes du présent et de l'avenir. — M. Petit de
Julleville étudiait d’une façon transparente, dans la Grèce
ancienne,
comment
les nations dépérissent, mais comment
aussi elles peuvent ressusciter. M. de Margerie, au milieu
des ruines que les révolutions ont faites, et du trouble que
tant d’extravagantes utopies ont jeté dans les esprits, s’efforçait de dégager les principes immortels du droit et de la
morale sociale. À ces Cours si opportuns, qui ne se serait
attendu à voir toute la jeunesse de l’École de Droit ? Les
professeurs
en
donnaient
l'exemple.
Mais
les
élèves,
où
étaient-ils? Est-ce qu'ils étaient trop absorbés ailleurs par
leurs études spéciales ? Mais, pendant la première année au
moins, n’a-t-on pas allégé tout exprès leurs études de Droit
pour leur laisser le loisir de poursuivre leur éducation phi-.
12
RENTRÉE
SOLENNELLE
losophique et littéraire? On croirait vraiment que, trop ac-
coutumés à s'en tenir au strict nécessaire et à repousser tout
ce qui ne figure pas au programme de leurs examens, ils
ont peur d’une culture supérieure de l'esprit. À quoi cela
sert-il ? disent-ils. Vous ne savez pas, jeunes gens, combien,
dans les carrières libérales où vous voulez entrer, ce superflu
devient le nécessaire ; et combien votre esprit pourrait gagner
à élargir ici la sphère de ses idées en dehors de vos études
professionnelles, à sortir de lui-même et de son métier, pour
voir les choses sous une plus large perspective.
Mais, particulièrement en nos jours critiques et sur le sol
mouvant où nous marchons, vous est-il done inutile, à vous
qui par vos fonctions devez prendre la tête du mouvement
social et servir aux autres d'exemple, vous est-il donc inutile de chercher dans la science de l’âme et de la vie morale
une solution raisonnée à tous les problèmes qui nous assiégent, de vous éclairer de l'expérience des siècles passés, et
d'affermir votre foi en remontant aux vérités immortelles?
Or, après la Religion, non, je ne sache rien encore qui soit
plus propre que le culte des Lettres (tel que nous l’entendons
ici), non-sculement à vous guider à travers les obscurités de
la vie, mais encore à fortifier vos courages contre les défaillances et à vous armer pour les combats qui vous attendent.
Mais en outre, vous, jeunes étudiants en Médecine, quand
vous
scrutez les mystères de l'organisme,
combien n’avez-.
vous pas besoin, pour ne pas vous égarer, que la science
approfondie des choses de l'âme vous explique mille phénomènes dont la plus savante physiologie ne saurait vous rendre
compte? Que je redoute même pour vous l'influence de.
l'amphithéâtre, si vous n’y entrez pas profondément pénétrés
des doctrines spiritualistes? Absorbés dans l'étude des organes, et comme fascinés par le mécanisme du cerveau, que
je crains que vous ne perdiez parfois de vue cette âme im-
matérielle et immortelle, à laquelle Dieu a donné pour instrument cet admirable organisme? Et vous, étudiants en
DES
FACULTÉS.
13
Droit, quelle meilleure introduction pouvez-vous avoir de vos
études juridiques que la Philosophie et l'Histoire ? La Philosophie vous apprend, en effet, à retrouver au fond de l’âme
humaine, comme gravée par le doigt même de Dieu, les
principes souverains et les lois éternelles, dont toutes nos
institutions politiques et civiles nes ont que le développement
et l'application aux besoins des sociétés humaines; en même
temps que la discussion des grands intérêts de la vie morale
élève votre esprit, affermit votre jugement et vous exerce à
la discipline de la pensée. Et l'Histoire, de son côté, en vous
montrant, à travers les vicissitudes de la vie des peuples,
comment les lois de chaque pays se modifient selon le génie,
la croyance, les mœurs de chacun et les progrès de la civilisation, l'Histoire vous instruit à mieux discerner, au milieu
de ces transformations, ce qu’il y a d’essentiel et d'immuable
dans le code des diverses nations, et ce qui, au contraire,
amené par des circonstances particulières, a pu disparaître
avec elles. Mais nous tous, du reste, plus les temps sont obscurs et l'avenir voilé, et plus nous avons besoin de recourir à
cette expérience de l'Histoire. Nous ne savons plus suffisamment, en effet, ce long passé. du genre humain qui nous intéresse et qui peut tant servir à expliquer le présent. Car le
monde est comme le théâtre d’un drame immense, où chacune
des générations qui se succèdent est appelée à jouer un rôle
à son tour. Il y a longtemps que la pièce est commencée, et
c’est aujourd’hui notre tour d'entrer en scène. Or, pouvons-
nous comprendre le sujet et le sens du drame, et y faire convenablement notre personnage, si l'Histoire, comme un programme de la pièce, ne nous met au courant des actes
antérieurs?
Que dire maintenant des Cours de Lettres proprement dites ?
Qui osera contester aujourd’hui la nécessité d'apprendre à
mieux connaître, par l'étude des littératures étrangères, le
génie des autres peuples? La guerre a rompu violemment le
cercle, où nous aimions à nous enfermer chez nous avec une
74
RENTRÉE
SOLENNELLE
fatuité ridicule et paresseuse. Si la cunnaissance de l’étranger n'était pour nous jusqu'ici qu'une simple curiosité, aujourd'hui c'est
une
nécessité. Il faut prendre à l'étranger ses
sciences, mais pour en faire un meilleur usage. Voilà la première conquête à laquelle nous devons songer.
Qu'ai-je besoin en outre, jeunes gens, de vous recommander
nos cours divers de Littérature, quand c'avait été jusqu'ici
une des nobles traditions de notre Magistrature et de notre
* Barreau, d’unir à la jurisprudence le culte des Lettres ? Souvenons-nous toujours qu'entre toutes les nations de l’Europe,
c'est la France, qui s'était autrefois posée comme l’héritière
de l’éloquence de la Grèce et de Rome. La France a toujours
aimé le bien dire : elle veut être à la fois convaincue et
charmée par ses orateurs, Vous tous donc, obligés par état
d'être éloquents, venez ici, venez apprendre à connaître, dans
une société plus intime, ces maîtres anciens et modernes de
la pensée et de la parole humaine, dont nous sommes chargés
de vous entretenir. Venez vous instruire à leurs propres
leçons, vous nourrir de leur pensée,
vous inspirer de leur
âme. Car nous ne sommes ici que leurs interprètes. Nous
nous efforçons de rendre la vie sous vos yeux à leurs œuvres
éteintes, et de surpendre, pour vous les livrer, les secrets de
leur génie.
Aujourd’hui nous invitons la jeunesse de nos Écoles à
venir ici compléter ses études littéraires. J'espère que bientôt on l'y contraindra. Ce sera, en effet, une des conséquences
inévitables des réformes, que M. le Ministre de l’Instruction
publique essaie en ce moment dans le système de notre édu-
cation secondaire, si fréquemment remanié depuis vingt ans,
sans produire pour cela jusqu'ici des moissons plus fécondes.
Vous connaissez tous, Messieurs, cette récente circulaire,
où M. le Ministre invitait les proviseurs et les professeurs de
nos Lycées, à alléger ce bagage d’études multiples, dont on
avait surchargé jusqu’à présent l’enseignement secondaire.
IL était temps. Car jusqu'ici on n'avait songé qu’à y faire en-
DES
FACULTÉS,
75
trer successivement toutes les sciences anciennes et modernes,
comme si le lycée dût suffire à tout, et par une instruction
universelle pourvoir à la fois un jeune homme de dix-huit
ans pour toutes les carrières de la vie. C'est ainsi qu’en
maintenant intact le vieux fonds de l’enseignement classique,
on avait fait place à l'étude des langues modernes à côté du
latin et du grec. Non-seulement à l'histoire on avait justement rattaché la géographie, mais encore on avait étendu
l'histoire jusqu’à l’époque contemporaine, et on y avait fait
entrer la stastistique, le commerce, l'industrie, l’économie
politique, ete. Pareïllement l’histoire de la philosophie était
venue s’adjoindre à la philosophie elle-même. Voilà pour les
lettres. Pour les sciences, à l’arithmétique, à la géométrie,
aux élements d’algèbre, on ajoutait l’histoire naturelle, l’hygiène, la physique, la chimie, la cosmographie. Et au milieu
de ces études si diverses et si multiples, il fallait encore
trouver le temps pour les exercices du corps, afin de maintenir autant que possible un harmonieux équilibre entre le
développement physique
et le développement
Nos programmes présentaient ainsi,
intellectuel.
en abrégé, comme une
encyclopédie de toutes les connaissances humaines. On ajou-
tait toujours, on ne retranchait jamais. On n'oubliait que deux
choses, c’est que la journée pour nos écoliers n’a que vingtquatre heures, et qu’une tête de seize à dix-sept ans ne
mesure qu'une certaine capacité.
De là cette faiblesse des études, malgré les efforts et l'habileté des maîtres; de là cette « moles indigesta rerum>» sous
laquelle l'intelligence des enfants reste parfois ensevelie; de
là ce savoir hâtif qui s'évapore si vite. L'étendue des programmes, en effet, condamne les élèves à ne savoir que par
à peu près, et à ne connaître que la surface des choses ; de
là ce dégoût que nos jeunes gens gardent de leurs études;
car ils ont dû s’en tenir à des nomenclatures, à des formules
arides, qui surexcitent la mémoire aux dépens de la raison
et ne laissent qu'un souvenir d’ennui.
16
RENTRÉE
SOLENNELLE
La barque était surchargée. Tout le monde en tombait
d'accord. Que va-t-on cependant jeter à la mer? Notre Mi-
aistre, sans rien sacrifier d'essentiel, voudrait au moins sim-
plifier quelques méthodes, et commence par débarrasser nos
études de plusieurs exercices inintelligents et surannés. Sans
doute on sera divisé d'opinion sur l'étendue et le choix des
sacrifices qu'il conseille. Il appelle lui-même sur ces projets
la libre discussion. Ce n'est pas le lieu ici d'apprécier ces
réformes. Je me borne à dire, que des esprits expérimentés
ont pu craindre que l'étude si essentielle des langues an-
ciennes ne fût affaiblie par une transformation de méthode si
radicale, Assurément la part qui leur est faite sera amoiïndrie dans le nouveau plan d’études. Aussi je ne doute pas
que le Ministre, qui sent si bien l'importance de ces études
pour une éducation libérale, ne se préoccupe de leur retrouver une place quelque part. Car il semble que la France
serait atteinte
dans son génie, si cette antiquité classique,
dont elle a fait entre toutes les nations modernes son glorieux
patrimoine et dont elle s’est nourrie, perdait quelque chose
de son influence dans l'éducation de nos jeunes générations.
Qu'est-ce que la Grèce, en effet, sinon l’esprit humain dans
toute la splendeur de la jeunesse? Qu'est-ce que Rome, sinon
le bon sens et le patriotisme dans toute sa grandeur? L'une
et l’autre ont été pour nos pères la grande école de logique,
de sentiments généreux, d’héroïsme; et plus que jamais nos
fils ont besoin de cette discipline morale.
Sans doute, avec le temps qui nous presse, et les diverses
études qui la sollicitent, nous ne pouvons plus retenir toute
notre jeunesse pendant de longues années dans ce commerce
salubre et élevé des beaux génies et des grandes Âmes de
Fantiquité. Mais du moins, comme compensation, il faut que
ceux de nos enfants qui se destinent aux carrières libérales,
après leurs études secondaires terminées, trouvent le moyen
et le loisir de prolonger ailleurs ane fréquentation si utile de
Rome et de la Grèce.
DES FACULTÉS.
17
C’estnaturellement aux Facultés deslettres, qu'il devra donc
appartenir désormais de compléter cette éducation littéraire.
Chaque chose aura repris sa place. La Faculté sera dans son
rôle et le Lycée dans le sien. Car le jeune homme doit sortir
du Lycée plutôt apte à tout apprendre, qu'avec la prétention
de tout savoir; il ne doit pas avoir l'air de croire que toute
culture littéraire se termine au baccalauréat, et qu'il n’a plus
rien à apprendre en philosophie,
en histoire, en lettres an-
ciennes et modernes, quand il entre à l’École de Droit ou
à l'École de Médecine.
Quand on aura ramené les études du Lycée à la mesure
où elles auraient dû toujours se borner pour être efficaces,
le Ministre voudra compléter cette réforme, en exigeant
qu'au sortir de l’enseignement secondaire, l’enseignement
supérieur saisisse régulièrement le jeune homme; et que
nos Facultés des Sciences et des Lettres, au lieu d’un auditoire bénévole, trouvent là de véritables élèves. Il faudra
qu'à l'avenir, après l'examen du baccalauréat ès lettres, les
aspirants au moins à certaines fonctions publiques soient as-
treints, pendant la durée de leurs études professionnelles, à
l’enseignement supérieur littéraire ou scientifique, suivant
leur vocation.
Maintenant quel examen leur imposera-t-on, pour sanctionner cette obligation? La licence ès lettres actuelle dépasserait le but. Telle qu’elle est aujourd’hui constituée en effet,
avec ses compositions en vers latins et en thême
grec, elle
demeurerait exclusivement réservée aux jeunes gens qui se
préparent au professorat. — Mais au-dessous ou à côté de cette
licence professionnelle, il y aurait lieu de constituer tout
exprès pour nos élèves en Droit une autre licence d’un carac-
tère moins spécial, où, avec un morceau de critique ou
d'histoire littéraire écrit en français ou même en latin, on
demanderait aux candidats une composition d'histoire et une
dissertation de philosophie; et où ils seraient interrogés à
l'épreuve orale sur les littératures classiques grecque, latine
18
RENTRÉE SOLENNELLE
et française, et sur telle littérature étrangère qu’ils désigne-
raient. Üe serait ainsi une licence plus large, plus mondaine,
en quelque sorte, et mieux accommodée à la carrière de ces
jeunes gens. Après avoir dégrévé l'adolescence pendant les
premières études en réduisant le baccalauréat à des proportions plus modestes, ce serait le moyen efficace de contraindre
la jeunesse, à ne pas oublier au lendemain du baccalauréat,
tout ce qu’elle a appris au lycée, et à fortifier son éducation
classique.
Ce vœu que j'exprime n’est pas nouveau. Il s’est fait jour
déjà de partout depuis plusieurs années. Déjà en particulier
le Conseil académique de Douai, sur la proposition du doyen
de la Faculté des Lettres de cette ville, à formulé, dans ce
sens, le désir le plus explicite. Au nom de nos études littéraires, dont l'avenir intéresse si vivement l'avenir même
la patrie, je demande au Conseil académique de Nancy
de
de
vouloir bien s'associer à une démarche si opportune.
Je ne dois pas finir ce Rapport, sans ajouter quelques mots
sur les travaux particuliers de mcs collègues. Je serai court.
D'ailleurs les plus jeunes, absorbés dans la préparation de
leurs Cours, n'ont suère pu vaquer à des œuvres personnelles.
Ils amassent des matériaux pour l'avenir. Les autres, en ces
temps où nous sommes, croient devoir délaisser en partie les
études de science purement spéculatives, pour faire l’œuvre
de citoyen. Ainsi M. de Margerie reste sur la brèche, se por- .
tant partout avec une vaillance admirable où l'ordre moral et
social paraît menacé. S'il y a des jours en effet calmes et se-
reins, où la philosophie peut poursuivre en paix les recherches
de la science pure, elle doit, dans les temps troublés, sortir
parfois de son sanctuaire pour se jeter dans la mêlée des
hommes, pour lutter contre les fausses doctrines, pour dissiper les ténèbres des esprits et rétablir dans leur lumière
les vérités qui sont le fondement de la société
et de la vie
morale. C’est ainsi qu'au lendemain de la guerre, M. de Margerie, sous le titre de la Restauration de la France, publiaït
DES FACULTÉS.
19
un beau volume, où il étudiait avec une clairvoyance patriotique les misères morales qui avaient amené nos désastres,
et les remèdes par lesquels la patrie pouvait encore être
sauvée. C'était un cours du semestre précédent, dont on
l'avait prié de faire profiter la France entière. — Aujourd'hui
on lui demande pareillement de publier son cours non moins
opportun de cette année sur la Morale sociale. Voilà comme
ce noble
esprit et ce bon
citoyen,
en s’accommodant
aux
temps, trouve moyen de servir à la fois la science et son
pays.
Onpeutrapprocher, à bien des égards, de l'œuvre patriotique
de M. de Margerie, la charmante œuvre poétique que vient
de publier M. Campaux, sous le titre de Maisonnette. Virgile,
dit-on, aurait composé ses Géorgiques à la prière de Mécènes,
pour réveiller chez la population de l'Italie le goût de l’agriculture et le culte des vertus rustiques, qui avaient fait jadis
la grandeur de Rome. Tel semble être l'objet de la touchante
et salubre épopée pastorale, où M. Campaux s’est attaché à
exprimer la vertu de la vie champêtre pour rendre l'homme
à lui-même. On y respire en effet la saveur la plus vraie et
la plus saine de la vice des champs. La description des travaux de la ferme pourrait maintes fois être rapprochée des
peintures si exactes et si pittoresques des Géorgiques. Un
roman
plein de grâce et de chaste passion anime
en même
temps tout le poëme. C’est une œuvre moderne par l’exquise
délicatesse des sentiments, mais vraiment antique par le
sentiment de la nature, la vérité originale des détails, et
parfois la perfection du style. Aussi personne ne songera à
reprocher à M. Campaux son infidélité à des muses plus
austères pour cette aimable équipée dans le champ de la
poésie. Sa Maisonnette déjà est des plus fréquentées : on
aime à y venir respirer la fraîcheur et la paix. En faisant
œuvie de poëte, il a fait lui aussi acte d'homme de bien.
J'aurais presque le droit de revendiquer encore au compte
de notre Faculté des Lettres, plusieurs livres de M. Eugène
8û
Benoist, notre
RENTRÉE
SOLENNELLE
ancien collègue, aujourd'hui
professeur à
Aix en Provence. Car, bien que ces ouvrages aient été publiés
depuis son départ
d'ici, l’auteur les avait composés
dans
l'asile de notre Faculté, et il les a dédiés à ses anciens amis
et collègues de Nancy. Ce sont des notes excellentes sur le
V£ livre de Lucrèce. Mais c’est surtout le T° volume
de
cette édition de Virgile, qui fait tant d'honneur à la science
française et à l’Université. Ce volume couronne dignement
une œuvre qui avait excité tant d'espérance. Je sais qu’en
parant notre Faculté de Nancy de ces savants ouvrages de
M. Eugène Benoist, je réponds encore au vœu secret d'un
excellent collègue, que nous n'avons possédé que quatre ans,
mais qui de cœur nous appartient toujours.
DE
FRANCE.
—
ACADÉMIE
DE
NANCY.
he———
INAUGURATION
DE LA FACULTÉ
DE MÉDECINE
RENTRÉE DEN FACULTÉS
DE DROIT, DES SCIENCES ET DES LETTRES:
DE NANCY
Le
19
Novembre
187%.
NANCY
IMPRIMERIE DE BERGER-LEVRAULT ET Cf.
11,
RUE
JEAN-LAMOUR,
1873
{1
RAPPORT
DE
M. LE
DOYEN
DE
LA
FACULTÉ
DES
LETTRES
Messieurs,
Aujourd'hui tout l'intérêt de notre séance de rentrée s'ab-
sorbe dans l’installation de cette Faculté de Médecine et de
Pharmacie, qui vient, après dix-huit ans d'attente, compléter
notre Université de Nancy, Car voilà dix-huit ans déjà que
nous inaugurions ici l'enseignement supérieur avec une
Faculté des Sciences et une Faculté des Lettres, mais pleins
de foi dans la fortune de cette jeune Université, dont nous
venions jeter les fondements, et dans l'avenir de cette ville.
Le succès a justifié notre confiance. Dix ans après, en 1864,
la Faculté de Droit nous était donnée, dès son début si florissante. Aujourd'hui, c’est la Faculté de Médecine de Stras-
bourg, dont Nancy recueille l'héritage. Le faisceau est complet.
Pourquoi faut-il que nous ayons acheté ce dernier avantage
au prix de si grands désastres de la patrie, et que dans ces
nouveaux collègues que le sort nous amène, nous accuciïilions
des exilés! Puissent-ils du moins trouver ici dans notre hospitalité quelque adoucissement à leurs regrets! Puisse la nouvelle destinée, qui s'ouvre ici à leur Faculté, leur faire oublier
la douleur de l'exil!
Je reviens à notre Faculté des Lettres, qui, elle aussi, de-
vait particulièrement recueillir quelques épaves dans ce douloureux naufrage. Car elle hérite, de la Faculté des Lettres
de Strasbourg,
deux
chaires nouvelles, qui lui permettront
62
RENTRÉE SOLENNELLE
de donner désormais plus de développement à l’enseignement
de
la Littérature ancienne
et aux études d'Histoire et de
Géographie.
Quelques mots sur nos Examens de l'an dernier, et sur la
distribution de notre enseignement pour la présente année.
I. — EXAMENS.
Point de Doctorat cette année. Nous écartons d'ici les
thèses médiocres; et les thèses distinguées vont (souvent sur
notre conseil) chercher le grand jour de Paris et une utile
renommée. Une soutenance toutefois aura lieu ces jours-ci;
ct le mérite connu du candidat, aussi bien que la solidité de
ses thèses, nous promet une brillante épreuve.
LICENCE. — Vous savez que nous avons ici des Conférences
spéciales pour préparer les jeunes gens à ce grade de licencié ès lettres. Dieu sait que nous n’y épargnons pas nos
soins ni nos peines. Et cependant, dans les examens de cette
année, ce sont d'ordinaire les candidats du dehors qui ont
obtenu les premiers rangs.
Ainsi, à la Session de novembre 1871, sur les quatre candidats admis, le premier, M. Fénal, n’appartenait que de loin
à notre Faculté; MM. les abbés Boissière et Caulle nous
étaient venus des Carmes: M. Dumont seul avait été un de
nos disciples assidus.
Aïnsi encore, à la dernière Session de juillet, nos candidats
admis étaient pareillement pour la plupart des étrangers. Sur
treize qui se sont présentés, les siæ qui ont été jugés dignes
du grade n'avaient guère eu avec notre Faculté que des rapports éloignés. Ce sont : M. Marchal, de Bar-le-Due, esprit
heureux et cultivé avec soin, qui préludait dans nos examens
au concours de l'École normale, où il vient d'entrer avec
distinction. — M, l'abbé Troncy, élève de l'école des Carmes.
— M. Lombard, celui-là un des nôtres, qui soutient dignemeñt l'honneur du nom paternel et marche vaillemment sur
|
les traces
DES FACULTÉS.
63
de son aîné. — M. Simon, qui était alors un des
meilleurs professeurs du collége de Pont-à-Mousson, et qui
vient d’être appelé au Iycée de Versailles. — M. Xrantz, que
nos espérances et nos vœux désignaient, comme Marchal son
émule, pour l'École normale, et qui assurément, s’il veut
persévérer, y a sa place marquée.
— Et enfin, M. l'abbé ZLatly,
élève de l’école des Carmes et chapelain de Sainte-Geneviève.
En louant ainsi cette élite de nos candidats, dont le succès
a couronné le travail et le talent, je dois cependant rendre
justice à ceux de leurs rivaux, qui, en approchant plus ou
moins de la borne du stade, n'ont pu encore la doubler. Plusieurs d'entre eux étaient bien jeunes et n'avaient pu assez
mûrir et féconder leurs études par la réflexion. Chez d’autres, la première éducation classique avait laissé bien des
lacunes à combler, Du moins, sans pouvoir encore les admettre, nous avons su apprécier leurs louables efforts et
mesurer leurs progrès accomplis.
BACCALAURÉAT. — 479 candidats se sont présentés à ect
examen dans le cours de l'année. C’est le plus haut chiffre
que nous ayions encore atteint; héritage en partie des provinces annexées. Ces jeunes gens, victimes de la conquête,
semblent chercher, dans le diplôme de bachelier, comme un
titre de citoyen français : c'est leur option. Mais je n'ose
espérer que ce chiffre se maintienne. Avec Metz, en effet,
notre Académie a perdu deux établissements considérables
d'instruction secondaire, le lycée d’abord, et ensuite le collège Saint-Clément, qui vient d'être proscrit à son tour, et
dont les maîtres et les élèves sont condamnés à se disperser
dans des maisons lointaines. L'Académie de Nancy a perdu
là deux des plus beaux fleurons de sa couronne.
Si, l'an dernier, nous avons dû user de quelque indulgence
pour bien des jeunes gens dont la guerre avait troublé les
études, l'examen, cette année, a pu reprendre
son juste ni-
veau. Peut-être même pourrait-on dire qu’en somme, depuis
la guerre, les études ont gagné dans nos collèges, et que la
64
RENTRÉE SOLENNELLE
leçon cruelle des événements n'a pas été entièrement perdue
pour notre jeunesse. Sans doute, ce n'est pas dans le Discours
latin, ce fruit de toutes les études accumulées, que cette
amélioration se fait sentir: on ne refait pas à la veille de
l'examen une éducation classique manquée. Nous y remar-
quons toujours trop, combien l’histoire moderne a fait oublier
à nos élèves l’histoire ancienne, qui sert ordinairement de
cadre à cette composition : Rome et Athènes leur sont devenues
des villes étrangères, et tous les grands et généreux lieux
communs de leur histoire n’éveillent plus en leurs cœurs nul
souvenir, nul écho. De là ces amplifications banales, ces paraphrases stériles de la matière, où nos enfants n’apprennent
que l’art funeste de déclamer dans le vide.
La
Version en
général vaut mieux, et prouve combien cet exercice de traduction (en même temps qu'il fait mieux pénétrer dans le
. génie de la langue latine) est propre à leur enseigner les
ressources de la langue française et l’art du style. Mais la
meilleure des trois compositions cst encore la Dissertation
philosophique. On y peut apprécier combien la plupart de ces
jeunes esprits profitent à vivre un an dans le commerce de
ces hautes matières, et combien cette discipline du raison-
nement les façonne à la méthode, à la rigueur scientifique
et à l'exposition exacte de leurs idées, en même temps
‘qu'une saine doctrine contribue à les armer à l'avance contre
los chimères dangereuses et les systèmes malsains, qui vont,
au sortir du collége, assaillir leur jeunesse. Bien des candidats, insuffisants d’ailleurs, ont dû à cette composition meil-
leure d’être admis par voie de compensation à l'épreuve orale,
et partant au succès définitif.
Car le nombre des candidats, qui échouent sur cette seconde
partie de l'épreuve, estrelativementassezrestreint. Non pas que
cet examen oral soit bien brillant. Sauf quelques exceptions,
il est même généralement assez terne. Qu'en dirai-je que je
n'ai maintes fois déjà répété? Que le grec est toujours en
déclin; que l'explication des auteurs latinsse soutient mieux,
DES FACULTÉS.
65
mais que l'étude des auteurs français continue à être singu-
lèrement négligée dans notre éducation classique. Que la
philosophie fait assez bonne figure à l'examen oral comme
aux compositions; mais que l'histoire et la géographie sont
loin encore d'avoir conquis dans nos études leur rang légitime.
En revanche, la moyenne des examens sur les éléments des
sciences physiques et mathématiques s'est fort relevée dans nos
récentes épreuves. Nos candidats, au témoignage de leurs
examinateurs, auraient été, sur ce point, supérieurs à la plupart des candidats au Baccalauréat ës sciences, et auraient
en outre montré combien une culture littéraire plus complète
donne à l’esprit plus d'étendue et de ressort.
Je m'étonne
que, dans notre province, nos candidats en
général ne mettent
pas plus
d’empressement
à réclamer
examen facultatif sur les langues vivantes. La connaissance
d'une ou deux langues modernes devient désormais indis-
pensable dans une éducation libérale; il est temps qu’elle
devienne dans un examen littéraire une condition obligatoire.
Sur les 479 candidats (qui se sont présentés dans les trois
sessions de novembre 1871, de mars et d'août 1872), 251 ont
été admis (52,4 pour 100) et 228 ont été éliminés, à savoir:
177 à l'épreuve écrite et 51 à l'épreuve orale.
Parmi
les 251
candidats
heureux,
2 seulement
ont
été
admis avec la note érès-bien: MM. Hémardinquer et SeligmanLui. — 6 avec la mention bien: MM. Chavegrin, Manœurre,
Burckhardt, Huet, Balland
et Cruchet. — 73 avec assez bien.
170 avec la modeste note passablement (1).
{; Tableau
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des trois Sessions.
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Mars
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45
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3
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Août
1872,,,,,.
302
110
29
189
4
68
94
163
TOTALe serve
479
477
51
228
6
15
170
951
FAGULTÉS.
È
5
66
RENTRÉE SOLENNELLE
Ainsi le chiffre des admis dépasse À peine la moitié du
nombre des candidats. N'est-ce pas un résultat déplorable?
Quand cet examen du Baccalauréat n’a pour objet que de
constater des études classiques régulièrement faites, comment
se fait-il que tant de candidats n’y puissent pas satisfaire ?
Sommes-nous donc trop sévères? et sommes-nous justement
maudits? Non, certes. Mais
est-ce notre faute, si on laisse
monter de elasse en classe des élèves incapables, qu'on devrait
arrêter par de sérieux examens de passage dans la classe inférieure, jusqu’à ce qu’ils fussent en état d'être admis séricusement à la classe supérieure? Doit-on s'en prendre à nous,
s'ils arrivent de la sorte à l’issuc de leurs études, sans qu'on
les ait avertis jusque-là de leur insuffisance, pour être alors
arrêtés devant la grille qui est placée au bout? Dans sa récente circulaire, le Ministre de l’Instruction publique insiste
sur cette nécessité de poser les barrières à chaque degré des
études, au lieu de laisser les élèves avancer librement jusqu’à
cette porte du Baccalauréat, que la moitié d'entre eux atant de
peine de tourner ou de prendre d'assaut. Que cette discipline
nécessaire soit sérieusement appliquée, et je m'engage d’hon-
neur, d'ici à quelques années, à recevoir tous les candidats
qui se présenteront pour obtenir le grade de bachelier.
TU. —
ENSEIGNEMENT,
Je vous disais, Messieurs, que le Ministre de l'Instruction
publique, en même temps qu'il groupait à Nancy quatre
Facultés en une véritable Université, avait voulu développer
et fortifier chacune de ces Facultés, en les dotant de chaires.
nouvelles, pour répondre à toutes les vocations de la science,
moderne et à tous les besoins de notre temps.
Ainsi, dans notre Faculté des Lettres, la chaire de Litté-
rature ancienne de Strasbourg, transférée ici, a permis de
dédoubler l’enseignement de l'Antiquité classique. Depuis
un an déjà, vous avons pour cet objet deux chaires distinctes :
DES FACULTÉS.
67
l'une consacrée à la Langue et à la Littérature grecques,
l'autre à la Langue et à la Littérature latines. Le Ministre a
pensé, sans doute, qu'au moment où la part de cet enseigne-
ment classique allait être réduite dans le plan des études,
il était convenable de l’augmenter dans l’Instruction supéricure.
M. Campaux, qui, l'an dernier, en succédant directement
à notre bien regretté collègue Eugène Benoist, avait pris
possession de la Grèce comme de son domaine naturel, mais
qui n’est pas moins chez lui dans l'antique Rome, enseignera
désormais la Langue et la Littérature latines. Il cède l’enseignement de la Langue et de la Littérature grecques à un
jeune
helléniste, M. Decharme,
qui, dès l’École normale,
mais surtout à l’École d'Athènes, annonçait sa vocation particulière pour l’érudition hellénique, et qui, à ce titre, semblait
prédestiné surtout pour cette chaire. Ses leçons de l’an dernier
sur la mythologie homérique ont pleinement justifié cette
espérance.
D'un autre côté, en transférant ici par un récent décret la
chaire
d'Histoire de la Faculté de Strasbourg, le Ministre
l’affectait spécialement
à l'enseignement de la Géographie,
faisant ainsi une part expresse dans l’Instruction supérieure
à une science jusqu'ici trop négligée, mais qui prend désormais son rang parmi nous comme de vive force et par droit de
conquête. Pour inaugurer cette chaire nouvelle, il y appelle
un jeune professeur, M. Vidal-Lablache, que ses succès déjà
anciens à l’Agrégation d'histoire et ses travaux à l'école
d'Athènes désignaient entre tous pour cet enseignement.
Dans la chaire même d'Histoire proprement dite, nous
avons te bonheur de conserver, comme suppléant de M. La-
croix, M. Petit de Julleville, dont nous avons tous pu appré-
cier le talent élevé dans ce cours éloquent de l'an dernier,
où il nous retraçait d'une façon siinstructive et si pathétique
les destinées de la Grèce sous la domination romaine.
Enfin, dans le courant de la dernière année, M. Gebhart,
68
RENTRÉE SOLENNELLE
nommé titulaire à la place de M. Chasles, entrait en possession définitive de la chaire de littérature étrangère, à laquelle il s'était acquis tant de titres depuis huit ans qu’il
l’occupait comme suppléant.
C’est ainsi que notre Faculté
des Lettres se renouvelle et
se rajeunit d'année en année par l’infusion d'un sang nouveau. Je demeure aujourd'hui seul de la fondation. Tous les
autres sont partis, pour suivre ailleurs leur fortune. Mon
cher Lacroix, qui datait comme moi des premiers jours, ne
nous appartient plus que d'esprit et de cœur; la Sorbonne,
qui nous l'a emprunté, sans doute le gardera.
— Du moins
M. de Margerie, qui vint ici dès la seconde année, nous
reste. Il s’est attaché à notre ville et à notre Faculté, dont ïl
est l'honneur, comme à sa patrie, par tout le bien qu'il y
faisait. Nous en sommes, à nous deux, les hommes des an-
ciens jours et comme la tradition vivante au milieu des chan-
gements qui transforment successivement notre personnel.
En verité, si, comme Nestor, le vieux doyen ne peut se défendre d’un sentiment de mélancolie à voir se succéder ainsi
autour de lui ces jeunes générations de professeurs, du moins
il éprouve une satisfaction généreuse à suivre en esprit ceux
qui nous ont quittés, les Mézières, les Burnouf, les Lacroix,
les Eugène Benoist, lesquels continuent à faire tant d'hon-
neur par leur fortune à la Faculté de Nancy, à laquelle ils
ont appartenu ; et, d'un autre côté, il a le droit de seglorifier
du soin qu'apporte l'Administration
supérieure à désigner
leurs successeurs. En considérant autour de moi ces jeunes
et vaillantes recrues, qui viennent depuis un an renforcer
notre bataillon sacré, mon premier sentiment est de remer-
cier le Ministre de cette sollicitude, avec laquelle il à choisi
les maîtres chargés de soutenir la renommée des anciennes
chaires et d’inaugurer les chaires nouvelles. Assurément,
en face de cette ample Université germanique, que l'Alle-
magne vient d'instituer à Strasbourg, et qu'elle dote avec
une libéralité superbe, j'espère que l'Université de Nancy
DES
FACULTÉS.
69
sera en mesure de faire bonne figure. — Pour justifier la
confiance du Ministre et mériter ce poste d'honneur qu’il
nous à assigné, nous redoublerons d'efforts de notre côté.
Vous savez, Messieurs, que pour remplir cette mission, ce
n'est pas le zèle qui nous manque. Mais il faut que nous y
soyons aidés par la bonne volonté de tous. Nous ne pouvons
rien sans votre concours.
Notre enseignement, vous le savez, a un double objet. D'un
côté, dans des Conférences d’un caractère plus intime et plus
austère, nous groupons autour de nous un petit nombre de
disciples, qui se préparent sous notre direction pour le professorat. — D'un autre côté, dans des Cours ouverts indistinctement à tous les auditeurs curieux des choses de l’esprit, nous nous proposons de répandre et de populariser
autour de nous tous les progrès de la science moderne, en
même temps que nous nous efforçons de ranimer et d’entretenir dans les esprits, avec le goût des lettres, le culte des
grandes pensées, qui font l'honneur de l'âme humaine et
comme le patrimoine particulier de la France,
Par les Conférences d'abord, il n’a certes pas tenu à nous,
que notre Faculté ne soit depuis longtemps devenue une succursale de l'École normale supérieure et une pépiniére de
jeunes maîtres pour l'Université. Assurément, il n’est pas
d'ambition plus légitime et plus opportune. Car, en dehors
de l’École normale, qui ne reçoit guère chaque année qu'une
trentaine d'élèves pour les Sciences et pour les Lettres, il
n'y a pas d'autre centre d'études que
nos Facultés,
où tous
les autres jeunes gens qui se destinent à l'instruction puissent trouver une direction de leur travail. Bien des essais
sans doute ont été déjà tentés dans ce sens. Je crus la chose
assurée, quand M. Düruy, Ministre de l'Instruction publique,
résolut d'instituer, dans chaque grand lycée placé près d'une
Faculté, un corps de Maîtres-répétiteurs auxiliaires, auxquels on réservait un suffisant loisir pour leurs études. —
Mais, soit que l'œuvre n'ait pas été constituée tout d’abord sur
70
RENTRÉE
SOLENNELLE
un pied assez large et assez libéral, soit que le recrutement
de ces maîtres ne se soit pas fait avec de suffisantes ga.
ranties, jusqu'ici le résultat n’a pas assez répondu à nos efforts et à nos espérances. Ce n’est pas que je me décourage.
Il fautseulement que l'institution s'élargisse et se régularise ;
qu'en attirant à ces écoles par des avantages certains l'élite
de nos jeunes maîtres, on puisse dès lors élever davantage
par le concours les conditions de l'admission. Enfin, ne pourrait-on pas exiger que, pour être admis à des fonctions dans
l'enseignement secondaire ou se présenter à l’Agrégation, on
fût astreint à participer pendant deux ou trois ans, d’une façgon active, aux études d'une Faculté ? Ce n’est qu’à ces conditions que cette création excellente de M. Duruy pourra
porter tous les fruits qu'on est en droit d’en attendre.
Quant
à nos Cours publics, nous aimerions à y voir en
plus grand nombre les jeunes gens
vons jamais voulu user avec eux
oblige. C’est par l'attrait seul et le
bien entendu, que nous voudrions
de nos Écoles. Nous n’adu règlement qui les y
sentiment de leur intérêt
réunir et retenir autour
de nos chaires ceux qui ont fait d'assez bonnes études, pour
en conserver le goût des lettres et des choses de l'esprit.
C'est à ces jeunes étudiants, en effet, que ces cours s#adressent de préférence. Mais ils n’en sentent pas assez le
prix.
|
Je sais bien que les temps sont médiocrement favorables,
et que les esprits, surtout chez les jeune générations, ne sont
guère tournés en ce moment vers ces études désintéressées
des Lettres. Les sciences positives et leurs merveilles, et les
sourecs de richesses qu'elles nous ouvrent par leur application à l’industrie, ont fasciné les imaginations et entraînent
l'attention ailleurs. Peut-être aussi les œuvres frivoles et
malsaines de la littérature contemporaine ont-elles trop blasé
et affadi les esprits, pour qu'ils puissent goûter encore l'austère et généreuse saveur des grandes âmes et des époques
saines. Ajoutez-y en outre, chez beaucoup de nos jeunes
DES
FACULTÉS.
T4
gens, l'éloignement qu'ils ont gardé de leurs études pour
les lectures sérieuses. Tel est en effet Ie résultat funeste de ces
programimes, qui ont pesé si longtemps sur l'éducation littéraire de nos colléges, et dont un Ministre aussi sensé que
hardi essaie enfin de nous affranchir. Façonnés par une discipline mécanique, habitués à n'étudier que sous l’aiguillon
des examens, nos jeunes gens semblent n'avoir emporté de
ces études qu’un souvenir d'ennui.
Aussi, pour la plupart, les inscriptions prises à la
des Lettres ne sont-elles qu'un impôt. Nous avions
cependant, que les grands et terribles enseignements
guerre nous a infligés, et les lumières sinistres qu'elle
Faculté
espéré,
que la
a jetées
sur nos misères morales, frapperaient davantage les âmes de la
jeunesse, en lui révélant ce qui nous manque surtout de s0-
lide dans le caractère, de sérieux dans l’esprit, d'exact dans
notre instruction. Mais
le besoin
de nous refaire un tempé-
rament moral plus vigoureux, d'éclairer notre esprit et de fortifior nos cœurs pour toutes les crises, ne paraît pas encore être
suffisamment ressenti. Au lendemain même des catastrophes
inouies où la France a failli périr, plusieurs de nos professeurs dirigeaient volontiers leurs leçons vers la solution des
redoutables problèmes du présent et de l'avenir. — M. Petit de
Julleville étudiait d’une façon transparente, dans la Grèce
ancienne,
comment
les nations dépérissent, mais comment
aussi elles peuvent ressusciter. M. de Margerie, au milieu
des ruines que les révolutions ont faites, et du trouble que
tant d’extravagantes utopies ont jeté dans les esprits, s’efforçait de dégager les principes immortels du droit et de la
morale sociale. À ces Cours si opportuns, qui ne se serait
attendu à voir toute la jeunesse de l’École de Droit ? Les
professeurs
en
donnaient
l'exemple.
Mais
les
élèves,
où
étaient-ils? Est-ce qu'ils étaient trop absorbés ailleurs par
leurs études spéciales ? Mais, pendant la première année au
moins, n’a-t-on pas allégé tout exprès leurs études de Droit
pour leur laisser le loisir de poursuivre leur éducation phi-.
12
RENTRÉE
SOLENNELLE
losophique et littéraire? On croirait vraiment que, trop ac-
coutumés à s'en tenir au strict nécessaire et à repousser tout
ce qui ne figure pas au programme de leurs examens, ils
ont peur d’une culture supérieure de l'esprit. À quoi cela
sert-il ? disent-ils. Vous ne savez pas, jeunes gens, combien,
dans les carrières libérales où vous voulez entrer, ce superflu
devient le nécessaire ; et combien votre esprit pourrait gagner
à élargir ici la sphère de ses idées en dehors de vos études
professionnelles, à sortir de lui-même et de son métier, pour
voir les choses sous une plus large perspective.
Mais, particulièrement en nos jours critiques et sur le sol
mouvant où nous marchons, vous est-il done inutile, à vous
qui par vos fonctions devez prendre la tête du mouvement
social et servir aux autres d'exemple, vous est-il donc inutile de chercher dans la science de l’âme et de la vie morale
une solution raisonnée à tous les problèmes qui nous assiégent, de vous éclairer de l'expérience des siècles passés, et
d'affermir votre foi en remontant aux vérités immortelles?
Or, après la Religion, non, je ne sache rien encore qui soit
plus propre que le culte des Lettres (tel que nous l’entendons
ici), non-sculement à vous guider à travers les obscurités de
la vie, mais encore à fortifier vos courages contre les défaillances et à vous armer pour les combats qui vous attendent.
Mais en outre, vous, jeunes étudiants en Médecine, quand
vous
scrutez les mystères de l'organisme,
combien n’avez-.
vous pas besoin, pour ne pas vous égarer, que la science
approfondie des choses de l'âme vous explique mille phénomènes dont la plus savante physiologie ne saurait vous rendre
compte? Que je redoute même pour vous l'influence de.
l'amphithéâtre, si vous n’y entrez pas profondément pénétrés
des doctrines spiritualistes? Absorbés dans l'étude des organes, et comme fascinés par le mécanisme du cerveau, que
je crains que vous ne perdiez parfois de vue cette âme im-
matérielle et immortelle, à laquelle Dieu a donné pour instrument cet admirable organisme? Et vous, étudiants en
DES
FACULTÉS.
13
Droit, quelle meilleure introduction pouvez-vous avoir de vos
études juridiques que la Philosophie et l'Histoire ? La Philosophie vous apprend, en effet, à retrouver au fond de l’âme
humaine, comme gravée par le doigt même de Dieu, les
principes souverains et les lois éternelles, dont toutes nos
institutions politiques et civiles nes ont que le développement
et l'application aux besoins des sociétés humaines; en même
temps que la discussion des grands intérêts de la vie morale
élève votre esprit, affermit votre jugement et vous exerce à
la discipline de la pensée. Et l'Histoire, de son côté, en vous
montrant, à travers les vicissitudes de la vie des peuples,
comment les lois de chaque pays se modifient selon le génie,
la croyance, les mœurs de chacun et les progrès de la civilisation, l'Histoire vous instruit à mieux discerner, au milieu
de ces transformations, ce qu’il y a d’essentiel et d'immuable
dans le code des diverses nations, et ce qui, au contraire,
amené par des circonstances particulières, a pu disparaître
avec elles. Mais nous tous, du reste, plus les temps sont obscurs et l'avenir voilé, et plus nous avons besoin de recourir à
cette expérience de l'Histoire. Nous ne savons plus suffisamment, en effet, ce long passé. du genre humain qui nous intéresse et qui peut tant servir à expliquer le présent. Car le
monde est comme le théâtre d’un drame immense, où chacune
des générations qui se succèdent est appelée à jouer un rôle
à son tour. Il y a longtemps que la pièce est commencée, et
c’est aujourd’hui notre tour d'entrer en scène. Or, pouvons-
nous comprendre le sujet et le sens du drame, et y faire convenablement notre personnage, si l'Histoire, comme un programme de la pièce, ne nous met au courant des actes
antérieurs?
Que dire maintenant des Cours de Lettres proprement dites ?
Qui osera contester aujourd’hui la nécessité d'apprendre à
mieux connaître, par l'étude des littératures étrangères, le
génie des autres peuples? La guerre a rompu violemment le
cercle, où nous aimions à nous enfermer chez nous avec une
74
RENTRÉE
SOLENNELLE
fatuité ridicule et paresseuse. Si la cunnaissance de l’étranger n'était pour nous jusqu'ici qu'une simple curiosité, aujourd'hui c'est
une
nécessité. Il faut prendre à l'étranger ses
sciences, mais pour en faire un meilleur usage. Voilà la première conquête à laquelle nous devons songer.
Qu'ai-je besoin en outre, jeunes gens, de vous recommander
nos cours divers de Littérature, quand c'avait été jusqu'ici
une des nobles traditions de notre Magistrature et de notre
* Barreau, d’unir à la jurisprudence le culte des Lettres ? Souvenons-nous toujours qu'entre toutes les nations de l’Europe,
c'est la France, qui s'était autrefois posée comme l’héritière
de l’éloquence de la Grèce et de Rome. La France a toujours
aimé le bien dire : elle veut être à la fois convaincue et
charmée par ses orateurs, Vous tous donc, obligés par état
d'être éloquents, venez ici, venez apprendre à connaître, dans
une société plus intime, ces maîtres anciens et modernes de
la pensée et de la parole humaine, dont nous sommes chargés
de vous entretenir. Venez vous instruire à leurs propres
leçons, vous nourrir de leur pensée,
vous inspirer de leur
âme. Car nous ne sommes ici que leurs interprètes. Nous
nous efforçons de rendre la vie sous vos yeux à leurs œuvres
éteintes, et de surpendre, pour vous les livrer, les secrets de
leur génie.
Aujourd’hui nous invitons la jeunesse de nos Écoles à
venir ici compléter ses études littéraires. J'espère que bientôt on l'y contraindra. Ce sera, en effet, une des conséquences
inévitables des réformes, que M. le Ministre de l’Instruction
publique essaie en ce moment dans le système de notre édu-
cation secondaire, si fréquemment remanié depuis vingt ans,
sans produire pour cela jusqu'ici des moissons plus fécondes.
Vous connaissez tous, Messieurs, cette récente circulaire,
où M. le Ministre invitait les proviseurs et les professeurs de
nos Lycées, à alléger ce bagage d’études multiples, dont on
avait surchargé jusqu’à présent l’enseignement secondaire.
IL était temps. Car jusqu'ici on n'avait songé qu’à y faire en-
DES
FACULTÉS,
75
trer successivement toutes les sciences anciennes et modernes,
comme si le lycée dût suffire à tout, et par une instruction
universelle pourvoir à la fois un jeune homme de dix-huit
ans pour toutes les carrières de la vie. C'est ainsi qu’en
maintenant intact le vieux fonds de l’enseignement classique,
on avait fait place à l'étude des langues modernes à côté du
latin et du grec. Non-seulement à l'histoire on avait justement rattaché la géographie, mais encore on avait étendu
l'histoire jusqu’à l’époque contemporaine, et on y avait fait
entrer la stastistique, le commerce, l'industrie, l’économie
politique, ete. Pareïllement l’histoire de la philosophie était
venue s’adjoindre à la philosophie elle-même. Voilà pour les
lettres. Pour les sciences, à l’arithmétique, à la géométrie,
aux élements d’algèbre, on ajoutait l’histoire naturelle, l’hygiène, la physique, la chimie, la cosmographie. Et au milieu
de ces études si diverses et si multiples, il fallait encore
trouver le temps pour les exercices du corps, afin de maintenir autant que possible un harmonieux équilibre entre le
développement physique
et le développement
Nos programmes présentaient ainsi,
intellectuel.
en abrégé, comme une
encyclopédie de toutes les connaissances humaines. On ajou-
tait toujours, on ne retranchait jamais. On n'oubliait que deux
choses, c’est que la journée pour nos écoliers n’a que vingtquatre heures, et qu’une tête de seize à dix-sept ans ne
mesure qu'une certaine capacité.
De là cette faiblesse des études, malgré les efforts et l'habileté des maîtres; de là cette « moles indigesta rerum>» sous
laquelle l'intelligence des enfants reste parfois ensevelie; de
là ce savoir hâtif qui s'évapore si vite. L'étendue des programmes, en effet, condamne les élèves à ne savoir que par
à peu près, et à ne connaître que la surface des choses ; de
là ce dégoût que nos jeunes gens gardent de leurs études;
car ils ont dû s’en tenir à des nomenclatures, à des formules
arides, qui surexcitent la mémoire aux dépens de la raison
et ne laissent qu'un souvenir d’ennui.
16
RENTRÉE
SOLENNELLE
La barque était surchargée. Tout le monde en tombait
d'accord. Que va-t-on cependant jeter à la mer? Notre Mi-
aistre, sans rien sacrifier d'essentiel, voudrait au moins sim-
plifier quelques méthodes, et commence par débarrasser nos
études de plusieurs exercices inintelligents et surannés. Sans
doute on sera divisé d'opinion sur l'étendue et le choix des
sacrifices qu'il conseille. Il appelle lui-même sur ces projets
la libre discussion. Ce n'est pas le lieu ici d'apprécier ces
réformes. Je me borne à dire, que des esprits expérimentés
ont pu craindre que l'étude si essentielle des langues an-
ciennes ne fût affaiblie par une transformation de méthode si
radicale, Assurément la part qui leur est faite sera amoiïndrie dans le nouveau plan d’études. Aussi je ne doute pas
que le Ministre, qui sent si bien l'importance de ces études
pour une éducation libérale, ne se préoccupe de leur retrouver une place quelque part. Car il semble que la France
serait atteinte
dans son génie, si cette antiquité classique,
dont elle a fait entre toutes les nations modernes son glorieux
patrimoine et dont elle s’est nourrie, perdait quelque chose
de son influence dans l'éducation de nos jeunes générations.
Qu'est-ce que la Grèce, en effet, sinon l’esprit humain dans
toute la splendeur de la jeunesse? Qu'est-ce que Rome, sinon
le bon sens et le patriotisme dans toute sa grandeur? L'une
et l’autre ont été pour nos pères la grande école de logique,
de sentiments généreux, d’héroïsme; et plus que jamais nos
fils ont besoin de cette discipline morale.
Sans doute, avec le temps qui nous presse, et les diverses
études qui la sollicitent, nous ne pouvons plus retenir toute
notre jeunesse pendant de longues années dans ce commerce
salubre et élevé des beaux génies et des grandes Âmes de
Fantiquité. Mais du moins, comme compensation, il faut que
ceux de nos enfants qui se destinent aux carrières libérales,
après leurs études secondaires terminées, trouvent le moyen
et le loisir de prolonger ailleurs ane fréquentation si utile de
Rome et de la Grèce.
DES FACULTÉS.
17
C’estnaturellement aux Facultés deslettres, qu'il devra donc
appartenir désormais de compléter cette éducation littéraire.
Chaque chose aura repris sa place. La Faculté sera dans son
rôle et le Lycée dans le sien. Car le jeune homme doit sortir
du Lycée plutôt apte à tout apprendre, qu'avec la prétention
de tout savoir; il ne doit pas avoir l'air de croire que toute
culture littéraire se termine au baccalauréat, et qu'il n’a plus
rien à apprendre en philosophie,
en histoire, en lettres an-
ciennes et modernes, quand il entre à l’École de Droit ou
à l'École de Médecine.
Quand on aura ramené les études du Lycée à la mesure
où elles auraient dû toujours se borner pour être efficaces,
le Ministre voudra compléter cette réforme, en exigeant
qu'au sortir de l’enseignement secondaire, l’enseignement
supérieur saisisse régulièrement le jeune homme; et que
nos Facultés des Sciences et des Lettres, au lieu d’un auditoire bénévole, trouvent là de véritables élèves. Il faudra
qu'à l'avenir, après l'examen du baccalauréat ès lettres, les
aspirants au moins à certaines fonctions publiques soient as-
treints, pendant la durée de leurs études professionnelles, à
l’enseignement supérieur littéraire ou scientifique, suivant
leur vocation.
Maintenant quel examen leur imposera-t-on, pour sanctionner cette obligation? La licence ès lettres actuelle dépasserait le but. Telle qu’elle est aujourd’hui constituée en effet,
avec ses compositions en vers latins et en thême
grec, elle
demeurerait exclusivement réservée aux jeunes gens qui se
préparent au professorat. — Mais au-dessous ou à côté de cette
licence professionnelle, il y aurait lieu de constituer tout
exprès pour nos élèves en Droit une autre licence d’un carac-
tère moins spécial, où, avec un morceau de critique ou
d'histoire littéraire écrit en français ou même en latin, on
demanderait aux candidats une composition d'histoire et une
dissertation de philosophie; et où ils seraient interrogés à
l'épreuve orale sur les littératures classiques grecque, latine
18
RENTRÉE SOLENNELLE
et française, et sur telle littérature étrangère qu’ils désigne-
raient. Üe serait ainsi une licence plus large, plus mondaine,
en quelque sorte, et mieux accommodée à la carrière de ces
jeunes gens. Après avoir dégrévé l'adolescence pendant les
premières études en réduisant le baccalauréat à des proportions plus modestes, ce serait le moyen efficace de contraindre
la jeunesse, à ne pas oublier au lendemain du baccalauréat,
tout ce qu’elle a appris au lycée, et à fortifier son éducation
classique.
Ce vœu que j'exprime n’est pas nouveau. Il s’est fait jour
déjà de partout depuis plusieurs années. Déjà en particulier
le Conseil académique de Douai, sur la proposition du doyen
de la Faculté des Lettres de cette ville, à formulé, dans ce
sens, le désir le plus explicite. Au nom de nos études littéraires, dont l'avenir intéresse si vivement l'avenir même
la patrie, je demande au Conseil académique de Nancy
de
de
vouloir bien s'associer à une démarche si opportune.
Je ne dois pas finir ce Rapport, sans ajouter quelques mots
sur les travaux particuliers de mcs collègues. Je serai court.
D'ailleurs les plus jeunes, absorbés dans la préparation de
leurs Cours, n'ont suère pu vaquer à des œuvres personnelles.
Ils amassent des matériaux pour l'avenir. Les autres, en ces
temps où nous sommes, croient devoir délaisser en partie les
études de science purement spéculatives, pour faire l’œuvre
de citoyen. Ainsi M. de Margerie reste sur la brèche, se por- .
tant partout avec une vaillance admirable où l'ordre moral et
social paraît menacé. S'il y a des jours en effet calmes et se-
reins, où la philosophie peut poursuivre en paix les recherches
de la science pure, elle doit, dans les temps troublés, sortir
parfois de son sanctuaire pour se jeter dans la mêlée des
hommes, pour lutter contre les fausses doctrines, pour dissiper les ténèbres des esprits et rétablir dans leur lumière
les vérités qui sont le fondement de la société
et de la vie
morale. C’est ainsi qu'au lendemain de la guerre, M. de Margerie, sous le titre de la Restauration de la France, publiaït
DES FACULTÉS.
19
un beau volume, où il étudiait avec une clairvoyance patriotique les misères morales qui avaient amené nos désastres,
et les remèdes par lesquels la patrie pouvait encore être
sauvée. C'était un cours du semestre précédent, dont on
l'avait prié de faire profiter la France entière. — Aujourd'hui
on lui demande pareillement de publier son cours non moins
opportun de cette année sur la Morale sociale. Voilà comme
ce noble
esprit et ce bon
citoyen,
en s’accommodant
aux
temps, trouve moyen de servir à la fois la science et son
pays.
Onpeutrapprocher, à bien des égards, de l'œuvre patriotique
de M. de Margerie, la charmante œuvre poétique que vient
de publier M. Campaux, sous le titre de Maisonnette. Virgile,
dit-on, aurait composé ses Géorgiques à la prière de Mécènes,
pour réveiller chez la population de l'Italie le goût de l’agriculture et le culte des vertus rustiques, qui avaient fait jadis
la grandeur de Rome. Tel semble être l'objet de la touchante
et salubre épopée pastorale, où M. Campaux s’est attaché à
exprimer la vertu de la vie champêtre pour rendre l'homme
à lui-même. On y respire en effet la saveur la plus vraie et
la plus saine de la vice des champs. La description des travaux de la ferme pourrait maintes fois être rapprochée des
peintures si exactes et si pittoresques des Géorgiques. Un
roman
plein de grâce et de chaste passion anime
en même
temps tout le poëme. C’est une œuvre moderne par l’exquise
délicatesse des sentiments, mais vraiment antique par le
sentiment de la nature, la vérité originale des détails, et
parfois la perfection du style. Aussi personne ne songera à
reprocher à M. Campaux son infidélité à des muses plus
austères pour cette aimable équipée dans le champ de la
poésie. Sa Maisonnette déjà est des plus fréquentées : on
aime à y venir respirer la fraîcheur et la paix. En faisant
œuvie de poëte, il a fait lui aussi acte d'homme de bien.
J'aurais presque le droit de revendiquer encore au compte
de notre Faculté des Lettres, plusieurs livres de M. Eugène
8û
Benoist, notre
RENTRÉE
SOLENNELLE
ancien collègue, aujourd'hui
professeur à
Aix en Provence. Car, bien que ces ouvrages aient été publiés
depuis son départ
d'ici, l’auteur les avait composés
dans
l'asile de notre Faculté, et il les a dédiés à ses anciens amis
et collègues de Nancy. Ce sont des notes excellentes sur le
V£ livre de Lucrèce. Mais c’est surtout le T° volume
de
cette édition de Virgile, qui fait tant d'honneur à la science
française et à l’Université. Ce volume couronne dignement
une œuvre qui avait excité tant d'espérance. Je sais qu’en
parant notre Faculté de Nancy de ces savants ouvrages de
M. Eugène Benoist, je réponds encore au vœu secret d'un
excellent collègue, que nous n'avons possédé que quatre ans,
mais qui de cœur nous appartient toujours.
Fichiers
seance_rentree_1872_12.pdf, application/pdf, 1,29 Mo,
Classe
Partie du document
BENOIT, Charles. Rapport de M. Le Doyen de la Faculté des lettres. https://histoire-universite-nancy.fr/s/una2gm/item/8926, accès le 17 mai 2022