Wladimir de TANNENBERG

1860, 1937
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Wladimir de
Tannenberg
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Mathématiques
;
Texte
; par :
Laurent Rollet

Wladimir de TANNENBERG (1860-1937)

Maître de conférences de mathématiques

Wladimir de Tannenberg est né le 18 février 1860 en Russie. Il est l’avant-dernier enfant d’une fratrie qui compte trois frères et une sœur. Son père, Nicolas Pavlov (1809-1864), meurt quand il n’a que quatre ans et il est donc élevé par sa mère, Eugénie de Tannenberg (1834-1909), dont il prend le nom de famille ; elle est la fille du général de Tannenberg, aide de camp du tsar Nicolas I. La famille s’installe d’abord en France, à Royat dans le Puy-de-Dôme ; elle part ensuite en Allemagne durant quelques années pour finalement s’installer définitivement à Paris en 1873. En 1881, Wladimir de Tannenberg bénéficie d’une « autorisation d’établir son domicile en France » et il obtient sa naturalisation française en 1884 au moment de son entrée à l’École normale supérieure. En juillet 1893, il épouse à Nancy Marie Marthe Adèle Stehelin (1873-1943) ; elle est la fille d’un préfet et la petite-fille du maire de Belfort, Louis Parisot. Le couple divorce en août 1901, « aux torts de la femme », et Tannenberg obtient la garde de leur fils unique, Léon de Tannenberg (1894-1918). Mobilisé durant la Première Guerre mondiale sur le front de Salonique, celui-ci meurt du typhus en octobre 1918. Un des frères de Wladimir de Tannenberg, Boris de Tannenberg (1864-1914), sera une figure reconnue des études hispaniques : précepteur d’Edmond Rostand, il fondera et dirigera ensuite une école catholique à Passy. Parallèlement, il publiera plusieurs ouvrages importants sur la littérature et la poésie espagnole contemporaines. Wladimir de Tannenberg meurt en 1937.

Tannenberg fait ses études à Paris dans l’enseignement catholique, d’abord à Saint-Nicolas du Chardonnet, puis au petit séminaire de Notre-Dame-des-Champs et ensuite à l’école Bossuet. Il passe le baccalauréat ès sciences au lycée Louis-Le-Grand et intègre ensuite la classe de mathématiques spéciales. Élève brillant, il obtient un prix d’honneur de mathématiques spéciales, mais il rencontre cependant des difficultés aux concours d’entrée aux grandes écoles : entre 1881 et 1883, il est admissible trois fois au concours de l’École normale supérieure, obtenant même la note maximale en mathématiques, mais il échoue en raison de notes trop faibles en chimie. Dans le même temps, Tannenberg, qui est boursier de licence, tente également, sans succès, d’obtenir sa licence ès sciences mathématiques ; il l’obtient finalement en 1886. Malgré ces échecs successifs, il est repéré par le directeur de l’École normale supérieure, Numa Denis Fustel de Coulanges et par le mathématicien Gaston Darboux. Ceux-ci le recommandent pour un poste de professeur au collège de Falaise en avril 1883. Tannenberg refuse, mais accepte ensuite quelques mois plus tard un poste de professeur de mathématiques dans l’enseignement spécial au collège de Landrecies dans le Nord. En 1884, il parvient enfin à entrer à l’École normale supérieure, dans la même promotion que les mathématiciens Jacques Hadamard et Ernest Vessiot. Tannenberg obtient l’agrégation de mathématiques en 1887. En avril 1888, recommandé par Gaston Darboux, il part avec son ami Vessiot à l’Université de Leipzig pour étudier les nouvelles avancées sur les groupes de transformations auprès du mathématicien norvégien Sophus Lie, qui vient de succéder à Felix Klein. Ce voyage est financé par le conseil municipal de Paris et inaugure ainsi une tradition d’accueil de jeunes mathématiciens normaliens dans cette université… Lie dédicacera d’ailleurs son ouvrage Theorie der Transformationsgruppen (1893) à l’École normale supérieure.

En août 1888, Tannenberg est nommé professeur de mathématiques élémentaires au lycée de Grenoble. Cependant, il est encore en mission en Allemagne et ne peut prendre ce poste. À son retour fin septembre, il est donc nommé sur un poste similaire au lycée de Lyon. Il y reste trois ans, à la satisfaction de ses supérieurs qui soulignent cependant qu’il est bien trop qualifié pour les enseignements qu’il a à dispenser. C’est durant sa période lyonnaise qu’il commence à préparer sa thèse de doctorat. Son mémoire, soutenu en 1891, est une application de la théorie des groupes continus de Lie et s’intitule Sur les équations aux dérivées partielles du premier ordre à deux variables indépendantes qui admettent un groupe continu de transformations ponctuelles. Le jury, composé de Gaston Darboux, Paul Appell et Émile Picard, salue l’inventivité de ce travail et voit en Tannenberg un excellent candidat pour un poste de professeur dans l’enseignement supérieur.

En octobre 1891, sur la proposition de Darboux, Tannenberg débute donc sa carrière universitaire à la Faculté des sciences de Nancy en tant que maître de conférences. Il y reste jusqu’en juillet 1895. Durant cette période, il s’occupe de la préparation des étudiants pour le concours de l’agrégation et il assure également des interrogations au lycée de la ville. Il publie alors plusieurs notes dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences et il bénéficie d’une bonne réputation auprès des mathématiciens parisiens. En 1892, il est ainsi nommé officier d’Académie. Au début de l’année 1895, il exprime le vœu d’être nommé à une chaire de faculté en province ou à une chaire de mathématiques spéciales dans un grand lycée parisien. Il accepte finalement en juillet 1895 une nomination en tant que chargé de cours complémentaire à la Faculté des sciences de Toulouse, où il reste deux ans. Il est remplacé à Nancy par Émile Lacour*. À Toulouse, il s’occupe encore de la préparation à l’agrégation et propose en outre un cours de mécanique appliquée. En 1896, il est admis à la Société mathématique de France. En novembre 1897, il est nommé chargé de cours d’astronomie et de mécanique rationnelle à la Faculté des sciences de Bordeaux et, en mai 1898, il obtient finalement la chaire de mécanique. Il remplace Jacques Hadamard, son camarade de promotion à l’École normale supérieure, qui vient d’être nommé à Paris.

À partir de cette date, son parcours devient très chaotique en raison de nombreux problèmes personnels. L’étude de son itinéraire est d’ailleurs révélatrice du fort contrôle social et moral qui s’exerce alors sur les fonctionnaires de l’Instruction publique. Si ses supérieurs soulignent la grande qualité de ses enseignements et ses talents de mathématicien, ils mentionnent également de manière récurrente l’altération de sa réputation à Bordeaux : en 1900, on mentionne qu’il vit séparé de son épouse, qu’il fréquente les cercles de jeu et qu’il est souvent détourné de ses enseignements par le mauvais état de ses affaires privées.

À la rentrée de 1902, Tannenberg ne se présente pas à son poste et il est mis en congé à la fin du mois de novembre : poursuivi par plusieurs créanciers, il a acheté une bague d’une valeur de plus de 1 000 francs (un cinquième de son salaire annuel) à un bijoutier en souscrivant des valeurs sur son mobilier qui est déjà frappé d’une saisie confiscatoire. Incapable de rembourser ses dettes, il se cache à Paris pendant plusieurs mois et en mai 1903, il est condamné par défaut à six mois de prison pour escroquerie. Il démissionne finalement de ses fonctions en juin 1903. Criblé de dettes et sans revenus, il sollicite des soutiens du ministère et de ses collègues mathématiciens pour obtenir de quoi vivre. Le ministre envisage de régler le problème en l’envoyant dans les colonies, mais il est difficile de savoir si cette proposition est suivie d’effets. On perd en effet la trace de Tannenberg jusqu’en 1908. À Bordeaux, il est remplacé par Ernest Esclangon. D’après son ami Ernest Vessiot, Tannenberg aurait été victime d’hommes d’affaires malhonnêtes et poussé par l’administration à signer sa démission. Il devait d’ailleurs être acquitté par la suite.

En mai 1908, il retourne dans l’enseignement public. Il est nommé délégué pour l’enseignement des mathématiques au lycée de Brest où il assure la préparation des élèves candidats au concours de l’École navale. Il est maintenu dans ces fonctions jusqu’à sa nomination comme professeur en juillet 1910. Les rapports d’inspection mentionnent qu’il est endetté, qu’il subit une saisie sur salaire, que sa vie privée n’est pas exemplaire et qu’il semble dépendant à l’alcool ; en revanche, ils font également état des succès de ses élèves au concours de Navale, son entrain et le « feu » avec lequel il fait sa classe. En 1912, Tannenberg demande un poste à Paris ou dans un lycée du Midi, mais en octobre 1913 survient une seconde affaire qui compromet durement sa carrière : accusé de « pédérastie » et de « délit d’opium » et il est contraint d’accepter une proposition de congé d’un an du proviseur du lycée. En décembre 1913, le conseil académique de Rennes prononce à son encontre une peine de suspension définitive au motif que « ses habitudes de vie en des milieux dégradants sont inconciliables avec son caractère d’éducateur ». Tannenberg se défend en invoquant un coup monté par ses créanciers, mais condamné, il ne survit que grâce à un modeste traitement d’inactivité octroyé par le conseil académique. Tout au long de sa carrière, et même après son éviction de Bordeaux en 1903, Tannenberg bénéficie d’un soutien appuyé de la communauté mathématique parisienne. Ernest Vessiot, son camarade de promotion à l’École normale supérieure, le défend sans relâche auprès du ministère, parvenant même à obtenir en 1917 des appuis en faveur de sa réintégration dans l’enseignement public : Paul Painlevé, Paul Appell et même Lucien Poincaré, alors recteur de l’Académie de Paris, signent des recommandations pour sa réhabilitation. Ces témoignages de soutien sont à la fois liés à ses qualités de mathématicien et à son implication durant la Première Guerre mondiale.

Tannenberg est en effet un mathématicien apprécié pour ses travaux. Dans les années 1890, ses notes sont régulièrement publiées dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences et, au plus fort des événements qui rythment sa carrière (1903 et 1913), il parvient à maintenir une activité de publication. En 1902, il obtient même une mention de l’Académie des sciences dans le cadre du prix Bordin : bien que son mémoire consacré à la détermination des surfaces applicables sur le paraboloïde de révolution ne réponde pas à la question posée au concours cette année-là, le jury le récompense d’un prix d’honneur en raison de « l’élégance et [de] la symétrie de ses calculs ». Par ailleurs, le déclenchement de la guerre de 1914 constitue un moment décisif dans son parcours. Alors que son âge – 54 ans – le dispense de toute obligation militaire, Tannenberg s’engage comme simple soldat dans un régiment d’infanterie. Il prend part aux batailles de Soissons et d’Arras à l’automne 1914 ; il assure également des fonctions d’interprète et d’observateur de première ligne dans l’artillerie à Herbécourt. Durant la bataille de la Somme en 1916, il est trahi par ses forces et envoyé vers l’arrière ; il est alors nommé maréchal des logis à Toulon et on lui confie l’instruction des jeunes classes et des sous-officiers.

Pour son engagement patriotique, il obtient la croix de guerre avec citation. À la fin du mois de juin 1917, il est finalement réformé, ce qui lui permet de réintégrer l’enseignement avec un grade très modeste : jusqu’à sa retraite en avril 1921, il est délégué pour l’enseignement des mathématiques au lycée d’Aix-en-Provence. Il participe également aux examens du baccalauréat en Corse. En 1920, il est candidat à un poste à Alger ou dans une faculté des sciences de province, sans grand espoir : le recteur, tout en soulignant sa haute valeur intellectuelle, insiste encore sur sa moralité douteuse et sur la nécessité de le cantonner dans une petite ville où « il sera plus aisé de le contrôler ».

Laurent Rollet

Bibliographie

Tannenberg Wladimir de (1891), « Sur les équations aux dérivées partielles du premier ordre », Annales de la Faculté des sciences de Toulouse, 5, B41-B150.

___ (1894), « Sur la théorie des équations aux dérivées partielles », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 120, 674-676.

___ (1894), « Sur la théorie des formes différentielles quadratiques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 119, 321-324.

___ (1895), Leçons sur la résolution algébrique des équations, Paris, Nony.

___ (1899), Leçons nouvelles sur les applications géométriques du calcul différentiel, Paris, A. Hermann.

___ (1899), « Sur la théorie des formes du quatrième degré et celle des intégrales elliptiques », Mémoires de l’Académie de Bordeaux, 5, 277-307.

___ (1900), Quelques leçons de géométrie plane analytique et infinitésimale, Bordeaux, Laurens.

___ (1902), « Sur quelques systèmes orthogonaux et leur application au problème de la déformation du paraboloïde de révolution », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 134, 1100-1102.

___ (1903), « Sur la déformation des surfaces », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 136, 600-602.

___ (1904), « Du problème de Cauchy relatif à une classe particulière de surfaces », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 137, 900-903.

___ (1906-1907), Cours de géométrie analytique, trois volumes, Paris, Vuibert et Nony.

___ (1914), « Sur une équation fonctionnelle et les courbes à torsion constante », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 158, 1486-1488.

___ (1917), « Sur une question d’analyse indéterminée », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 165, 783-784.

___ (1917), « Sur une équation fonctionnelle et les courbes unicursales sphériques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 165, 624-626.

___ (1921), Conférences sur les transformations en géométrie plane, Paris, Vuibert.

___ (1922), Calcul des erreurs absolues et des erreurs relatives, Paris, Vuibert.

___ (1925), « Transformations ponctuelles du plan qui transforment une figure en une figure semblable », Revue de mathématiques spéciales, 35, 385-386.

Sources d’archives

Archives nationales : dossier de carrière (F/17/23099).

Sources secondaires

De Tannenberg Boris (1903), L’Espagne littéraire, portraits d’hier et d’aujourd’hui, Paris.

Gautier Geneviève (2013), Sous l’aile du destin, Edilivre. Ce roman rédigé par une nièce de Wladimir de Tannenberg évoque quelques aspects de sa vie.

Morel-Fatio Alfred (1914), « Boris de Tannenberg », Bulletin hispanique, 16, 398-401.