Edmond ROTHÉ

1873, 1942
;
Edmond
Rothé
;
Physique
;
Texte
; par :
Étienne Bolmont

Edmond ROTHÉ (1873-1942)

Professeur de physique

Edmond Ernest Antoine Rothé est né à Paris le 13 octobre 1873, dans une famille protestante originaire de la région de Bitche en Moselle. Son père, officier d’administration, exilé en Algérie pour ses idées républicaines, est franc-maçon et dreyfusard. Ces orientations politiques ont certainement conduit à l’engagement à gauche d’Edmond Rothé. En octobre 1905, il épouse à Paris Marguerite Tilly, fille du graveur sur bois Pierre Émile Tilly, dont la famille est aussi d’origine lorraine. Le couple a trois enfants, Jean-Pierre (1906-1991), Daniel (1908-1985) et Violette. Jean-Pierre poursuivra à Strasbourg l’œuvre de son père dans le domaine de la sismologie. Edmond Rothé décède en août 1942 à Lezoux, près de Clermont-Ferrand.

Après ses études secondaires au lycée Henri IV à Paris, Edmond Rothé réussit les licences ès sciences mathématiques en 1895 et ès sciences physiques en 1896. Il est boursier d’études depuis 1894, et en 1896, il est chargé des fonctions de préparateur à titre bénévole. En 1898 il est nommé préparateur adjoint auprès d’Henri Pellat, alors professeur adjoint de physique à la Sorbonne. Cette situation lui permet de se préparer à l’agrégation de physique, qu’il réussit en 1899. Il présente son doctorat en 1903 à un jury composé d’Edmond Bouty, Pellat et Camille Matignon. La mention très honorable lui est accordée pour sa thèse Contribution à l’étude de la polarisation des électrodes.

Pendant qu’il prépare sa thèse, de 1901 à 1903, Rothé exerce les fonctions de préparateur au sein du laboratoire d’enseignement de physique de la Faculté des sciences de Paris. Il est nommé en janvier 1904 maître de conférences à la Faculté des sciences de Grenoble où il ne reste qu’une année et demie, avant de rejoindre la Faculté des sciences de Nancy le 27 octobre 1905 pour succéder à Camille Gutton* en tant que maître de conférences de physique. Il se présente à la succession d’Ernest Bichat* en mars 1906, mais Gutton* l’emporte. Professeur adjoint en 1908, il est nommé professeur de Physique en janvier 1910 et prend ainsi la succession de René Blondlot*. À Nancy, en tant que maître de conférences, il reprend les enseignements de Gutton* en physique au certificat de physique, chimie et sciences naturelles ; il donne par ailleurs un cours public très suivi et fait une conférence aux mécaniciens. À partir de 1906, il enseigne la physique appliquée, la thermodynamique, reprend le cours de physique industrielle abandonné par Gutton* et participe à la préparation à l’agrégation. En tant que professeur de Physique, il enseigne la chaleur et la thermodynamique, l’électricité et l’optique, à l’Institut électrotechnique et en licence. En 1912, il commence un enseignement d’aérodynamique, fait créer un emploi de chargé de travaux pratiques d’aérodynamique, et installe une station aérologique au terrain d’aviation du plateau de Villers. Il crée alors, avec l’appui du doyen Gaston Floquet*, un Institut d’aérodynamique et de météorologie dont il est nommé directeur en novembre 1914, institut étouffé à la naissance par la guerre. Alors président de la commission météorologique de Meurthe-et-Moselle, il prévoit d’y adjoindre un service de météorologie agricole.

D’août 1914 à janvier 1919, il est accaparé par des tâches militaires. Au début de la Première Guerre mondiale, il devance l’appel par une demande au général Foch, pour organiser le service radiologique. Il installe des postes émetteurs-récepteurs de T.S.F. dans les forts près de Nancy et des moteurs générateurs pour l’éclairage dans trois hôpitaux de Nancy. Il est ensuite affecté au service des radiographies à l’hôpital Sédillot, puis chargé de l’inspection et de la vérification des appareils radiographiques de la 20e région militaire. En sursis d’appel, affecté comme infirmier militaire à la clinique Vautrin, il est responsable du service radiologique qui comprend un atelier de réparation des tubes de Crookes, où officie Auguste Guntz, préparateur de chimie à la faculté des sciences et fils du professeur de chimie Antoine Guntz*. Outre ses activités au service radiologique, il prend le temps d’assurer à la faculté cinq cours et une séance de travaux pratiques par semaine, les soirs à cinq heures. À cette période il assure les cours de Gutton* et au début de l’année 1916 il remplace bénévolement René Fortrat*, avec l’aide d’Henri Delatour*, chef de travaux. Il est rappelé en mars 1916 comme officier d’administration jusqu’en janvier 1919 et il termine la guerre au grade de sous-lieutenant du Génie. En 1917, il est nommé à la présidence de la Commission aéronautique des inventions et chargé de conférences au Centre d’études des officiers supérieurs et généraux. Durant cette période, ses recherches personnelles aboutissent à la réalisation de deux appareils nouveaux : un condensateur-microphone à amplificateur et un anémomètre à oscillations électriques.

En janvier 1919, il est envoyé en mission à Strasbourg pour conserver à la France le Bureau international de séismologie. Dès lors, il se consacre à la physique du globe, assure la direction de l’Institut de physique du globe de Strasbourg, du Bureau central sismologique français et du Service météorologique d’Alsace-Lorraine. Il est nommé professeur de physique du globe en novembre 1919 à la Faculté des sciences de Strasbourg et la création de cette nouvelle discipline universitaire lui donne une stature internationale. En 1922, il devient directeur du bureau et secrétaire général de l’Union géodésique et géophysique internationale.

Il occupe la fonction de doyen de la Faculté des sciences de Strasbourg de 1929 à 1935, mais il n’est pas reconduit en raison de l’opposition de ses collègues conservateurs. Son travail scientifique est reconnu par l’Académie des sciences en 1938, où il est élu membre correspondant dans la section d’astronomie.

« Grand travailleur », « professeur-né » selon le recteur Charles Adam, Rothé est très apprécié, notamment par les candidats à l’agrégation ou dans les cours publics. Il associe ses élèves à ses recherches. En 1913, il est le premier lauréat du prix de Parville pour l’ensemble de ses recherches, mais aussi pour son rôle de professeur, notamment dans la direction de plusieurs thèses. Il a aussi construit en 1911 un poste de télégraphie sans fil à la Faculté des sciences de Nancy, se faisant remarquer par d’autres universités, y compris à l’étranger. Les recherches d’Edmond Rothé dévoilent son originalité, son sens critique, son esprit d’innovation et sa connaissance des techniques les plus récentes. Son premier travail concernant l’interrupteur électrolytique de Wehnelt le conduit à développer une recherche sur les phénomènes liés à l’électrolyse, qui se concrétise dans sa thèse sur la polarisation des électrodes. Dans ce travail remarqué par ses résultats devenus classiques, il utilise pour la première fois un oscillographe de Blondel. En 1904, il publie un seul article sur les rayons N, lié à l’utilisation de la photographie dans l’observation des phénomènes. Il développe alors la photographie interférentielle des couleurs, puis, à Nancy, il étudie l’influence de la pression sur les phénomènes d’ionisation provoqués par les rayons X ou par le radium.

En 1910, il participe à l’ouvrage sur les constantes physiques. À partir de 1911, il s’intéresse à la T.S.F., souvent avec le soutien dans les expériences du commandant Gustave Ferrié, pionnier de la radiotélégraphie. Il améliore notamment la réception par des antennes réduites. Ces travaux le conduisent à s’intéresser aux tremblements de terre et à noter l’influence des conditions météorologiques et des rayons solaires sur la propagation des ondes, ce sur quoi il expérimente lors de l’éclipse d’avril 1912. Rothé envisage dès ce moment les applications à l’aviation alors naissante. Il développe les techniques d’échange des bulletins météorologiques par T.S.F., application qui permet d’avertir les aviateurs sur les conditions météorologiques. Tout cet itinéraire se traduit par la création de l’Institut aérodynamique et de météorologie, disciplines contribuant à l’amélioration de l’aviation.

Après sa nomination à Strasbourg en 1919, il développe des recherches dans les domaines associés de la physique du globe. La météorologie le conduit à utiliser la radiogoniométrie et à perfectionner son anémomètre. Mais c’est surtout son œuvre en sismologie qui le rend célèbre. Il commence un catalogue historique de séismicité en France, qui sera poursuivi par son fils. Collectant systématiquement les documents dans les bibliothèques et dans les services d’archives départementales, il recherche la collaboration de partenaires au niveau local, ainsi que celle de sociétés savantes. Dans l’Annuaire de l’Institut de physique du globe, il publie un catalogue annuel des tremblements de terre entre 1919 et 1930. Il travaille sur les ondes sismiques naturelles des tremblements de terre ou artificielles dues aux explosions. Il est conduit alors naturellement vers l’utilisation de ses résultats dans la prospection et l’étude du sous-sol, et dans les dernières années, il étudie la radioactivité des roches et développe la prospection radiométrique.

Dans le domaine de l’enseignement, il écrit plusieurs ouvrages pédagogiques, le premier étant consacré à la T.S.F. Pendant la Première Guerre mondiale, il commence un cours de physique en trois parties pour les étudiants de licence, la dernière, consacrée à l’aérologie et l’aérodynamique, n’est publiée qu’en 1928. Il écrit aussi de nombreux ouvrages sur les tremblements de terre. Son dernier livre qui paraît à titre posthume en 1943 fait le point sur les avancées de la géophysique, discipline qu’il a contribué à créer. Il intervient beaucoup dans les congrès ; il est fidèle à ceux de l’Association française pour l’avancement des sciences depuis 1904. Il participe à la formation des prospecteurs, notamment en construisant l’annexe du Welchbruch dans le massif vosgien, « un chalet-laboratoire où les étudiants peuvent travailler et coucher ».

Edmond Rothé a publié une centaine d’articles et d’ouvrages, aux Comptes rendus de l’Académie des sciences, au Journal de physique, dans des bulletins locaux, dans des revues de vulgarisation et dans des revues spécialisées, comme l’Annuaire de l’Institut de Physique du Globe. Il a aussi publié dans quelques revues allemandes.

Durant toute sa vie, Rothé a fait preuve d’un fort engagement politique et social. À son arrivée à Strasbourg, il crée la section locale de la Ligue des Droits de l’Homme avec Louis Leblois, un des avocats d’Alfred Dreyfus. En 1926, il fonde le Cercle Jean Macé, section de la Ligue de l’Enseignement qui ne peut pas exister sous ce nom en Alsace-Lorraine. La défense de la laïcité et du rationalisme dans l’éducation constituent des combats particulièrement difficiles en Alsace. En 1934, il crée la section locale du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et devient président du Comité départemental du rassemblement populaire à la victoire du Front populaire en 1936.

Cet engagement lui coûte le décanat en 1935 et entraîne sa mise à la retraite d’office par le Gouvernement de Vichy, après le transfert de l’Université de Strasbourg à Clermont-Ferrand en 1940. La décision est prise en juin 1941, avec des mesures vexatoires : interdiction de participation à un jury de thèse ainsi qu’aux examens de fin d’année de licence. Il est alors le seul professeur strasbourgeois à subir cette sanction politique. Après la Libération, son épouse demande sa réintégration dans ses fonctions à titre posthume. Elle lui est accordée en février 1945 par un décret de René Capitant, ministre de l’Éducation nationale, qui a été son collègue à Strasbourg. Rothé reçoit de nombreuses décorations, médaille de guerre et Légion d’honneur après son action pendant la guerre. Il est par ailleurs officier de la Couronne d’Italie en 1917, officier de l’Ordre de Saint-Jacques et de l’Épée au Portugal en 1925 et officier de l’Ordre de Léopold en Belgique.

Étienne Bolmont

Bibliographie

Rothé Edmond (1899), « Sur l’interrupteur électrolytique de Wehnelt », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 129, 675-677.

___ (1900), « Sur les différences de potentiel au contact entre le mercure et les chlorures de potassium et de sodium », Journal de physique, 9, 543-545.

___ (1901), « Les forces électromotrices de contact et la théorie des ions », Journal de physique, 10, 546-555.

___ (1904), « La polarisation des électrodes », Journal de physique, 3, 661-695.

___ (1904), Contribution à l’étude de la polarisation des électrodes. Thèse soutenue le 23 décembre 1903, Gauthier-Villars.

___ (1904), « Essai d’une méthode photographique pour étudier l’action des rayons N sur la phosphorescence », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 138, 1589-1591.

___ (1904), « Photographies en couleurs obtenues par la méthode interférentielle sans miroir de mercure », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 139, 565-567.

___ (1905), « Verinfachte Farbenphotographie », Chemiker Zeitung, 7, 29.

___ (1908), « Influence de la pression sur les phénomènes d’ionisation. Courbes de courant et courbes à champ constant », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 147, 1279-1281.

___ (1909), « La photographie des couleurs », Revue de physique, 10, 25-30.

___ (1912), « Sur la réception d’antennes au ras du sol », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 155, 1075-1076.

___ (1912), « Sur la réception des radiotélégrammes météorologiques avec antennes réduites », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 154, 193-196.

___ (1913), Les applications de la télégraphie sans fil, Nancy, Berger-Levrault.

___ (1913), « Sur la réception des radiotélégrammes par des antennes multiples avec ou sans mise au sol », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 156, 774-777.

___ (1913), « Du rôle de la télégraphie sans fil dans les stations d’avertissements météorologiques pour les aviateurs », La technique aéronautique, 78, 171-176.

___ (1914), Cours de physique : généralités- unités- similitude- mesure, Paris, Gauthier-Villars.

___ (1917), Cours de physique : thermodynamique, Paris, Gauthier-Villars.

___ (1920), « Organisation du service météorologique régional d’Alsace et de Lorraine », Association française pour l’avancement des sciences- Strasbourg, 166-196.

___ (1920), « Sur un anémomètre à oscillations électriques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 170, 1197-1198.

___ (1920), « Mesures aérologiques, préparation du tir dans les armées françaises et allemandes », Revue d’artillerie, 113-132.

___ (1921), Les applications de la télégraphie sans fil : les lampes à 3 électrodes, les ondes entretenues, la téléphonie sans fil, Berger-Levrault.

___ (1922), « Sur la radiogoniométrie des parasites atmosphériques et la prévision du temps. », Annales de physique, XVII, 385-414.

___ (1928), Cours de physique : aérologie et aérodynamique, Paris, Gauthier-Villars.

___ (1929), « La prospection du sous-sol et l’enseignement de la géophysique appliquée », Revue scientifique, 11, 321-331.

___ (1931), « Météorologie et télégraphie sans fil à la Faculté des sciences de Nancy pendant les années qui ont précédé la guerre de 1914 », Association Française pour l’avancement des sciences-Nancy, 153.

___ (1940), « Sur quelques phénomènes de concentration de la radioactivité. », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 211, 753-756.

___ (1941), « Sur la méthode de prospection des couches géologiques par les radiations pénétrantes », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 212, 212-215.

Rothé Edmond & Clarté R. (1914), « Influence de l’état de l’atmosphère sur la propagation et la réception des ondes hertziennes. », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 158, 699-702.

Rothé Edmond, Floquet Gaston & Authelin Louis (1913), « Un nouvel Institut en projet à la Faculté des sciences de Nancy », Bulletin de la Société industrielle de l’Est, 107, 30-40.

Rothé Edmond & Guéritot Maurice (1913), « Sur une méthode permettant d’effectuer des essais réduits en télégraphie sans fil », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 157, 370-372.

___ (1914), « Sur une méthode expérimentale de détermination des courbes métacentriques de l’aéroplane », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 159, 361.

Rothé Edmond & Hée Mme (1935), « Sur la prospection radiométrique d’une coulée de rhyolite », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 201, 892.

___ (1940), « Sur une méthode d’étude de la radioactivité des roches », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 210, 30-32.

Rothé Edmond & Stoeckel E. (1934), « Sur la radioactivité des couches géologiques de la vallée du Rhin », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 199, 1330.

Sources d’archives

Archives nationales : dossiers de carrière (F/17/2492 et AJ/16/1461). On n’y trouve pas mention de ses activités politiques. Le dossier AJ/16/1461 concerne la période où il était préparateur à la Sorbonne.

Sources secondaires

Anonyme (1942), « Edmond Rothé », Bulletin géodésique, 69-76, 64-66.

Dubois G. (1942), La vie et l’œuvre d’Edmond Rothé, géophysicien, tiré à part, Archives de l’Académie des sciences.

Maurain Charles (1942), « Notice nécrologique sur Edmond Rothé », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 215, 289-291.

Olivier-Utard Françoise (2006), Rothé as an early Figure of Committed Intellectual, Proceedings of the 2nd ICESHS Cracow.

Texte en ligne :

http://www.2iceshs.cyfronet.pl/2ICESHS_Proceedings/Chapter_31/R-Varia_IV_Olivier-Utard.pdf.

Un site très bien documenté est consacré à Edmond Rothé par Alain Faron : http://edmondrothe.free.fr/index.php?lng=fr. Il contient une biographie, la liste des publications (articles et livres) ainsi que des documents en ligne.

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