René ROMANN

1886, 1961
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René
Romann
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Chimie industrielle
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Texte
; par :
Laurent Le Meur

René ROMANN (1886-1961)

Chargé de cours de chimie industrielle

René Armand Romann est né à Barcelone le 28 mars 1886 de parents alsaciens. Il a un frère aîné, Marcel, né en 1884. Sa mère, Thérèse Süsslin, est née en 1858 à Buetwiller (arrondissement de Belfort) et son père, Charles Auguste Romann, à Mulhouse en 1858. Ils se marient et légitiment leurs enfants le 7 avril 1887 à Belfort. Auguste Romann a été élève à l’École de chimie de Mulhouse entre 1878 et 1880 et travaille comme chimiste à la maison Achon de Barcelone au moment de la naissance de ses fils. Membre ordinaire de la Société industrielle de Mulhouse depuis le 30 juin 1880, il est également parrainé à la Société industrielle de Rouen en juin 1884 par Edmond Koechlin avec deux autres chimistes installés à Barcelone, Louis Pellerin et Charles Strobel, l’un des témoins de l’acte de naissance de René Romann. Il revient ensuite vivre à Mulhouse pour travailler comme chimiste, probablement à la maison Frères Koechlin ; à partir de cette date, il participe régulièrement aux activités des comités de chimie de la société industrielle de la ville (il publie dans son bulletin plusieurs articles sur l’impression des étoffes).

René Romann passe donc une partie de sa jeunesse à Mulhouse, éduqué par un père qui côtoie les principaux acteurs de la vie industrielle et chimique. Thérèse Süsslin, sa mère, décède en 1909 et son frère, Marcel Romann, meurt de graves blessures de guerre le 22 juillet 1918. René Romann épouse à Nancy le 24 juillet 1914 Marguerite Hecht (1892- ?), fille de médecin et petite-fille de Louis Émile Hecht (1830-1906), professeur à la Faculté de médecine de Nancy. Le couple aura un enfant. René Romann décède à Strasbourg le 14 juillet 1961.

Il obtient le baccalauréat lettres-mathématiques à Besançon en juillet 1902, puis il poursuit ses études supérieures à la Faculté des sciences de Nancy où il obtient la licence ès sciences physiques (certificats de calcul intégral et différentiel en octobre 1904, de chimie générale en juin 1906 puis de chimie appliquée en juin 1907). Il a interrompu ses études de novembre 1904 à octobre 1905 pour remplir ses obligations militaires dans le 91e régiment d’infanterie à Mézières (Ardennes). En 1907, il obtient le diplôme d’ingénieur de l’Institut chimique de Nancy. L’année suivante, il passe également un certificat de Physique.

Sa carrière débute en novembre 1908 par un poste de préparateur attaché au laboratoire de chimie physique de Paul Thiébaud Müller* (1863-1933) payé sur le budget de la faculté, en remplacement de Maurice Brot. En décembre 1909, il devient préparateur de chimie industrielle, à la place d’Henri Wohlgemuth, avec un traitement de 1 500 francs par an, payé cette fois sur le budget de l’État. Entre 1909 et 1914, il fait passer des interrogations de chimie physique aux étudiants de la faculté des sciences et il assure un cours de chimie industrielle à l’École supérieure de commerce de Nancy. Il entreprend en 1910 une thèse de chimie sous la direction de Müller*, Contribution à l’étude des équilibres en solution diluée. Soutenue le 16 décembre 1913 à Nancy devant un jury présidé par Antoine Guntz* et constitué de Müller* et d’Edmond Rothé*, elle porte sur l’étude de la solubilité de sels et sur les règles de dissolution des électrolytes. Ses notices individuelles de la période nancéienne font état de très bons services. En 1914, il pose sa candidature à une maîtrise de conférences en chimie, qui n’aboutit pas.

Le 3 août 1914, il est mobilisé comme caporal au 79e régiment d’infanterie et blessé un mois plus tard à la cuisse droite, dans le Nord. En septembre 1915, il est détaché à la poudrerie de Saint-Fons, près de Lyon. Il est affecté en avril 1918 à l’ancienne poudrerie royale de Saint-Chamas, située près de l’étang de Berre où il assure la fonction d’agent technique de seconde classe jusqu’à sa démobilisation en mars 1919. Après-guerre, il reste rattaché en tant que réserviste à la poudrerie de Saint-Chamas, où il revient pour plusieurs périodes d’instruction en 1929 et en 1934, franchissant à cette occasion tous les grades du service des poudres : agent chimiste de première classe, maître principal (1930), ingénieur chimiste de première classe (1935) et ingénieur chimiste principal après la mobilisation de 1939.

À la rentrée universitaire de 1919, il est nommé maître de conférences en chimie appliquée à l’Université de Strasbourg et vient renforcer l’équipe recrutée par Müller* et Henry Gault pour la création de l’Institut chimique de Strasbourg, avec plusieurs anciens de l’institut chimique de Nancy : Louis Hackspill*, Charles Staehling et le préparateur Albert Sigot. Il enseigne la chimie physique à l’Institut chimique de Strasbourg et la chimie au certificat de physique, chimie et sciences naturelles préparatoire aux études de médecine. À partir de 1920, il donne aussi des cours pour l’enseignement spécial du pétrole mis en place par Gault. Müller* lui confie assez rapidement la responsabilité des recherches en chimie physique, mais il publie peu pendant cette période. Ses notices le présentent cependant comme un enseignant engagé et consciencieux, s’impliquant également en physique et en mathématiques. En 1925, il pose sa candidature à la chaire de chimie générale de la Faculté des sciences d’Alger, mais il renonce en raison du mauvais état de santé de son épouse (il est classé en deuxième ligne sur ce poste). En juin 1929, il obtient le titre de professeur sans chaire puis, en décembre, sa maîtrise de conférences de chimie appliquée est convertie en chimie physique et électrochimie après le départ à la retraite de Müller*. Il est alors remplacé au certificat de sciences physiques, chimiques et naturelles par Marius Faillebin. En novembre 1933, au départ d’Hackspill* pour la Sorbonne, il obtient la chaire de chimie minérale et chimie physique, créée par transformation de la chaire de chimie minérale. Suite au départ de Gault en 1934, la direction de l’institut chimique de Strasbourg est confiée à un directoire de professeurs, puis en 1938, à Romann, qui sera remplacé en 1943 par Hubert Forestier. Au début de la Seconde Guerre mondiale, Romann est mobilisé jusqu’en juillet 1940. Il reprend alors son poste de directeur de l’Institut chimique de Strasbourg qui est à ce moment replié à Clermont-Ferrand. Son mandat n’est certainement pas facilité par les pressions des autorités allemandes pour mettre fin à cette université exilée. Après la guerre et le retour à Strasbourg, Romann continue à enseigner la chimie physique à l’institut chimique qui devient en 1948 l’École nationale supérieure de chimie de Strasbourg.

Les principaux travaux de Romann sont ceux effectués sous la direction de Müller* pour sa thèse. Bien qu’ils soient consacrés aux équilibres en solution diluée, leur contexte de départ est la mise au point de nouvelles méthodes d’analyse et de caractérisation des structures moléculaires, plus particulièrement des pseudo-acides étudiés par Müller* depuis les années 1900, par l’étude de la variation de solubilité de sels d’argent dérivés de pseudo-acides. La méthode est basée sur un principe énoncé par Walther Nernst en 1889 selon lequel la solubilité d’un sel doit diminuer par ajout d’un autre sel homo-ionique, c’est-à-dire possédant un ion commun. Tirant parti du très bon équipement du laboratoire de Müller*, Romann utilise deux techniques expérimentales : les déterminations directes de solubilité par dosage et la mesure de conductivité à température contrôlée. Dans sa thèse, Roman fait donc le lien entre les structures moléculaires et les théories de Svante Arrhenius sur les ions et l’acidité. La troisième partie de sa thèse est consacrée à la comparaison de deux types d’électrolytes : les acides ou bases faibles qui suivent la loi de dilution de Wilhelm Ostwald de 1888, et ceux dénommés à cette époque «bons électrolytes», correspondant en fait à des sels très solubles, qui ne suivent apparemment pas cette loi, ce qui n’est alors pas bien expliqué. Ici, la démarche de Romann est essentiellement une analyse mathématique des effets des incertitudes sur certains paramètres de la loi d’Ostwald, comme le coefficient de dissociation. La suite de l’étude porte sur la détermination d’une constante d’équilibre de dissolution d’un « bon électrolyte », le cyanacétate de sodium, en minimisant l’effet de ces incertitudes, principalement par l’application de la méthode statistique des moindres carrés. Cette étude montre l’importance d’une solide formation en mathématiques pour comprendre les problématiques posées par les nouvelles théories de Walther Nernst, Jakobus Van’t Hoff, Arrhenius, Ostwald ou Friedrich Kohlrausch. C’est le cas pour Romann et son maître Müller*.

Cet intérêt pour les mathématiques transparaît dans la suite de sa carrière. En 1922, il publie ainsi dans le Bulletin du laboratoire du pétrole une démonstration de la relation de Poiseuille, liant le débit d’un fluide incompressible à la différence de pression à laquelle il est soumis et applicable à la mesure de viscosité. De même, les ouvrages auxquels il contribue ne sont pas centrés sur la seule chimie, mais montrent son intérêt pour la physique et les mathématiques.

En 1913, il participe au recueil de constantes physiques dirigé par Rothé* ; en 1930, il collabore avec le mathématicien Maurice Fréchet à un ouvrage intitulé Représentation des lois empiriques par des formules approchées. Quant à ses recherches à Strasbourg, les quelques articles publiés dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences ou le Bulletin de la Société chimique portent souvent sur des problèmes d’analyses chimiques fines dans lesquels il réinvestit la technique de l’influence homoionique sur la solubilité d’un sel. Il rajoute l’utilisation de la spectrophotométrie à la méthode de détection conductimétrique. On peut également noter une étude sur l’électrode à hydrogène ainsi qu’une application d’un phénomène de tension interfaciale pour doser les ions hydroxydes.

Romann laisse le souvenir d’un professeur un peu vieille France, respecté, mais dont les cours apparaissent parfois abstraits. Il est admis à la retraite en 1956. Il est nommé officier d’Académie au cours de l’année universitaire 1920-1921, chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire en 1934. Il exerce la fonction de secrétaire de la section de Strasbourg de la Société chimique de France à partir de 1920 et est admis comme membre correspondant de la Société industrielle de Mulhouse en 1920.

Laurent Le Meur

L’auteur remercie Paul Féderlin, ancien élève de l’École nationale supérieure de chimie de Strasbourg, qui a retrouvé dans ses notes quelques informations sur René Romann. Il remercie également Jean- Michel Chézeau, qui a permis l’accès à la compilation sur les anciens élèves de l’École de chimie de Mulhouse.

Bibliographie

Romann René (1913), Contribution à l’étude des équilibres en solution diluée, Thèse présentée à la Faculté des sciences de Nancy pour obtenir le grade de docteur ès sciences physiques, Nancy, Berger Levrault.

___ (1930), Représentation des lois empiriques par des formules approchées à l’usage des chimistes, des physiciens, des ingénieurs et des statisticiens, Paris, L. Eyrolles.

___ (1913), Contribution à l’étude des équilibres en solution diluée, Nancy, Imprimerie Berger-Levrault.

___ (1922), « La relation de Poiseuille », Bulletin du laboratoire du pétrole.

Romann René & Fréchet Maurice (1930), Représentation des lois empiriques par des formules approchées, Paris, Eyrolles.

Romann René & Chang Wa-Po (1932), « Variation du potentiel d’une électrode à hydrogène avec la pression dans le domaine des faibles pressions », Bulletin de la Société chimique de France, 51, 932.

Romann René & Speitel (1935), « Dosage spectrophotométrique du chlorure de potassium dans les sylvinites », Bulletin de la Société chimique de France, 2, 2168.

Sources d’archives

Archives nationales : dossier de carrière (F/17/26596).

État civil : ministère des Affaires étrangères et européennes, Direction des archives, acte de naissance n° 15-1886- Barcelone. État civil de la mairie de Nancy, acte de mariage de René Romann et Marguerite Hecht, 24 juillet 1914. État civil de la mairie de Strasbourg, acte de décès n° 002027/1961 de René Romann.

Sources secondaires

Chrétien André (1984), « L’institut de chimie de Strasbourg, sa création, ses 20 premières années, son exode à Clermont-Ferrand », Chimie Strasbourg, 44, 9-16.

Collectif (1884), Bulletin de la Société industrielle de Rouen, 12e année, n°1, janvier et février 1884.

Collectif (1936), Travaux de l’université de Strasbourg, Rapports, 1919-1936.

Collectif (1972), École supérieure de chimie de Mulhouse, Recherche et travaux des professeurs et anciens élèves, 1822-1972, (fascicule III), ouvrage non publié (compilation réalisée à l’occasion du 150e anniversaire de l’école).

Olivier-Utard Françoise (2005), « L’université de Strasbourg : un double défi, face à l’Allemagne et face à la France », in Crawford Eliabeth & Olff-Nathan Josiane, La science sous influence – L’université de Strasbourg, enjeu des conflits franco- allemands 1872-1945, Strasbourg, Université Louis Pasteur et la Nuée Bleue, 137-173.