Jérôme NICKLÈS

1820, 1869
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Jérôme
Nicklès
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Chimie
;
Texte
; par :
Étienne Bolmont

Jérôme NICKLÈS (1820-1869)

Professeur de chimie

François Joseph Jérôme Nicklès est né le 30 octobre 1820 à Erstein dans le Bas-Rhin. Son père y est secrétaire de mairie. En avril 1856, il épouse à Nancy la fille d’un avocat, Anne Emma Brandon (1831-1916). Le recteur Hervé Faye* et son frère aîné Napoléon Nicklès sont ses témoins. Ce dernier est l’auteur d’ouvrages liés à l’agriculture et à l’archéologie en Alsace et membre correspondant de l’Académie de Stanislas. Leur fille, Anne Marie Thérèse Alice, née en janvier 1857, décède prématurément en mai 1871. Leur fils, René Toussaint Joseph* (1859-1917) sera professeur de géologie à la Faculté des sciences de Nancy. Jérome Nicklès décède à Nancy le 3 avril 1869, il n’a alors que 49 ans.

Jérôme Nicklès s’oriente dans un premier temps vers la pharmacie et la médecine, certainement attiré vers ces disciplines par son frère aîné Napoléon, pharmacien depuis 1833 à Benfeld. Il fait son apprentissage auprès du pharmacien Charles Georges Trautmann à Woerth-sur-Sauer en 1840. En 1844, il est reçu aux baccalauréats de lettres et de sciences et il entre ensuite à l’École de pharmacie de Strasbourg. Il part alors à Giessen en Allemagne (Land de Hesse), au laboratoire de chimie de Justus von Liebig où il reste une année. À son retour, Nicklès est nommé préparateur à l’École de pharmacie de Strasbourg. En août 1846, il obtient le diplôme de pharmacien en présentant une thèse à l’École de pharmacie. Elle est intitulée De la fermentation de l’acide tartrique et de ses produits. Un an plus tard, il se porte candidat à un poste de professeur suppléant de toxicologie à l’École de pharmacie, mais l’Académie des sciences le classe en seconde ligne, derrière Émile Kopp, le découvreur du phosphore rouge. À cette période, il prépare à la Faculté des sciences de Paris une licence ès sciences physiques qu’il obtient en juillet 1852. Il y étudie la chimie, notamment avec Jean-Baptiste Dumas.

En juillet 1853, à la Faculté des sciences de Paris, il soutient une thèse de physique sur les électroaimants et une thèse de chimie sur le polymorphisme. Comme pour son futur collègue Jules Chautard*, ce doctorat lui donne la possibilité de postuler aussi bien en chimie qu’en physique. Ainsi, au début de l’année 1854, il postule en vain à la chaire de physique de l’École supérieure de pharmacie de Paris, puis en août 1854, il se porte candidat à la chaire de chimie de la toute jeune Faculté des sciences de Nancy. En septembre, recommandé par le sénateur alsacien Georges Charles d’Anthès, baron de Heeckeren, et le député du Haut-Rhin Jules Migeon, il est nommé professeur de chimie. Avec le professeur de mathématiques et recteur Hervé Faye*, le professeur de physique Jean-Marie Seguin* (remplacé rapidement par Chautard*) et le professeur d’histoire naturelle et doyen Dominique Alexandre Godron*, il fait partie des quatre premiers professeurs de la nouvelle faculté. Il doit s’occuper dans un premier temps de l’acquisition des matériels et produits chimiques permettant de mettre en place l’enseignement et la recherche dans le domaine ; il engage ainsi pour plus de 6 000 francs la première année. Sa première année d’enseignement le montre peu à l’aise, mais par la suite, son talent d’enseignant est reconnu, d’autant plus que les cours de sciences appliquées qu’il donne sont très suivis (en 1859 par plus de 130 auditeurs). En 1869, il est félicité par le recteur Louis Maggiolo pour ce cours de chimie populaire. Au 1er janvier 1869, il passe à la première classe.

Il enseigne aussi la chimie pour la licence et le certificat de sciences physiques, chimiques et naturelles. En 1867, l’inspecteur général Jules Vieille note qu’il a trois auditeurs en licence ; tout en reconnaissant son talent de chercheur et son sens des applications pratiques, il lui reproche cependant un défaut d’élocution et un exposé manquant de clarté et de précision. Un an plus tard, le recteur Maggiolo le reconnaît comme un excellent professeur qui « sait fixer l’attention de son auditoire, […] un professeur hors ligne et un chercheur de grand mérite ». Il ajoute : « Il a beaucoup d’avenir ! » Hélas, Nicklès meurt un an plus tard, miné par ses expériences sur le fluor. Il avait déjà dû prendre un congé de maladie en 1858 après avoir respiré des vapeurs d’acide fluorhydrique. Il est alors remplacé par Camille Forthomme*.

Le premier article de Nicklès paraît en 1844 dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, il est cosigné par son frère Napoléon. Ils y relatent l’observation de la chute d’une météorite. Après sa thèse de pharmacie sur l’acide tartrique, Jérôme Nicklès porte son attention sur la cristallographie, domaine dans lequel il relie forme et composition chimique des cristaux. Sa maîtrise de l’allemand le conduit à traduire les Éléments de cristallographie de Johann Müller. À partir de 1851, alors qu’il prépare son doctorat de sciences physiques, il aborde à la fois physique et chimie. Ses recherches sur les applications de l’électromagnétisme à la télégraphie et aux chemins de fer montrent son orientation vers les sciences appliquées. Il est ainsi conduit à mettre au point un système de freinage par adhérence magnétique. Des essais sont entrepris sur une locomotive aux Chemins de fer de Lyon en 1852 : constatant un effet relativement faible, Nicklès est amené à construire des électroaimants circulaires adaptables aux roues des trains. La commission chargée d’évaluer le dispositif émet alors un avis défavorable et Nicklès ne peut pas continuer ses expériences à Lyon. Cependant, en 1857, un nouvel appareil est construit et présenté à l’Empereur au Conservatoire des arts et métiers. Nicklès améliore son invention, mais la Commission de la Pile émet un rapport à nouveau négatif. Nicklès regrette alors cette décision qu’il attribue à « des employés étrangers aux travaux dans le domaine de l’électromagnétisme ».

Sa thèse de chimie est en continuité avec ses travaux de cristallographie et il aborde la question de l’isomorphisme des composés d’éléments proches, qui constitue une des briques de construction de la future table des éléments de Mendeleev. Jérôme Nicklès participe aux congrès internationaux, comme celui de sciences physiques de Karlsruhe en 1858 dont il publie un compte rendu. En septembre 1860, il participe au premier congrès international de chimie de Karlsruhe ; il y retrouve Jean-Baptiste Dumas, Louis-Nicolas Grandeau* et Charles-Adolphe Würtz entre autres.

Ce qui va marquer son œuvre, mais aussi lui être fatal, ce sont ses recherches sur le fluor et ses composés. Il commence à publier sur ce sujet en 1857 : il analyse des eaux minérales et des eaux de source, il s’intéresse à l’action de l’acide fluorhydrique sur le verre, technique qui sera utilisée par les verriers d’art comme Émile Gallé. Il ne se limite pas à cet élément, et il travaille sur le soufre, le bismuth, l’antimoine, le phosphore et le bore. La précision de ses analyses lui permet de rejeter en 1862 la découverte par Jön Fridrik Bahr d’un nouvel élément appelé wasium, dont il montre qu’il est essentiellement composé d’yttrium. Il s’investit aussi dans la chimie appliquée en créant des instruments d’analyse ou des dispositifs de laboratoire. Il conduit des travaux sur les corps gras, les matières sucrées, la sidérurgie ou même le vin : il donne ainsi des expertises sur des entreprises, effectue des analyses de produits alimentaires (eau, huile, etc.) et s’intéresse au recyclage des résidus. En 1866, il intervient comme expert dans l’affaire de contrefaçon Coanet-Mathias portant sur un brevet d’apprêt mécanique de chapeaux de paille ! Par ailleurs, il propose l’utilisation d’un moteur à air comprimé pour le projet de tunnel sous la Manche, comme alternative propre à la machine à vapeur.

De 1848 à 1853, il collabore à l’Annuaire de chimie, une revue de vulgarisation qu’Eugène Millon et Jules Reiset ont fondée. Cette publication présente les applications de la chimie à la médecine et à la pharmacie en répertoriant les découvertes faites dans toute l’Europe. Nicklès poursuit cette œuvre de diffusion des travaux chimiques publiés à l’étranger dans le Journal de pharmacie et de chimie. Il publie beaucoup dans cette revue ainsi que dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences. Sa contribution au congrès de Karlsruhe en 1858 est publiée dans l’Annual Report du Smithsonian Institute en 1860. Il est par ailleurs membre correspondant de l’American Journal of Science and Arts (ou Silliman’s Journal), dans lequel il rend compte, de 1853 à 1867, des évènements et avancées concernant les sciences et techniques en France. Il y écrit notamment une nécrologie d’Auguste Laurent en 1853. Il montre dans ses articles de correspondance sa grande culture scientifique et sa connaissance de l’évolution des sciences dans tous les domaines. Avant lui, c’est Michael Faraday qui assurait cette rubrique, et ce dernier avait déjà remarqué les travaux de Nicklès dès 1847. Concernant les sciences appliquées, il fait paraître des articles dans le Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale.

Sa correspondance d’environ 1 000 lettres se trouve au Special Collections Research Center de la Temple University en Pennsylvanie. Il correspond avec de nombreux chimistes, notamment avec ceux qui sont impliqués alors dans des controverses, souvent renforcées par un sentiment nationaliste : sur la fermentation (Louis Pasteur et Justus von Liebig), sur l’histoire de la chimie (Hermann Kopp et Marcelin Berthelot), au sujet d’articles traduits sans noms d’auteurs et sur le système des poids atomiques au moment du congrès de Karlsruhe en 1860 (avec Charles Gerhardt).

Membre de l’Académie de Stanislas en 1855, vice-président en 1860, il en devient président en 1861. Il est membre correspondant de la Société des sciences naturelles de Strasbourg. Il est aussi membre de la Société de secours des amis des sciences, créée pour apporter une aide à la famille d’Auguste Laurent (après son décès, son épouse bénéficiera d’une aide annuelle de 1 200 francs). Par ailleurs, il est membre du jury médical et du Conseil d’hygiène de Meurthe-et-Moselle, de la Société nationale d’acclimatation de France et et de la Société centrale d’agriculture et. Nommé officier d’Académie en 1856, il est nommé au grade de chevalier de la Légion d’honneur en 1862.

Étienne Bolmont

Bibliographie

Nicklès Jérome (1846), « Sur un acide particulier résultant du tartre brut sous l’influence de la chaux et des ferments », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 23, 419.

___ (1847), « Monohydrates cristallisés de zinc et de cadmium », Journal de pharmacie et de chimie, 12, 406.

___ (1848), « Sur l’isomorphisme du nitrite de plomb avec le nitrate », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 27, 244.

___ (1848), « Sur la forme cristalline du zinc métallique », Journal de pharmacie et de chimie, 13, 18.

___ (1848), « Sur la forme cristalline de diverses variétés de vitriols du commerce », Annales de chimie et de physique, 23.

___ (1848), « Recherches cristallographiques sur quelques dérivés de l’éthyle », Annales de chimie et de physique, 22.

___ (1848), « Rapports entre la composition et la forme cristalline de certains sels », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 27, 611.

___ (1849), « Sur les rapports qui existent entre la composition et la forme de certains acides, de certains éthers et de certaines bases homologues », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 29, 315, 336.

___ (1850), « Sur une cause de variation dans les angles des cristaux artificiels », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 30, 530.

___ (1851), « Sur un mode d’emploi de l’électricité dynamique dans la télégraphie et l’indication du temps », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 33, 692.

___ (1851), « Observations sur les corps dimorphes », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 32, 853.

___ (1852), « Les électroaimants circulaires », Bulletin de la Société d’encouragement.

___ (1852), « Sur le zinc amalgamé des piles à courant constant », Journal de pharmacie et de chimie, 22.

___ (1853), « De l’allongement des barreaux aimantés et de son influence sur les attractions produites », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 36, 490.

___ (1853), « Sur l’état passif du nickel et du cobalt », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 37, 284.

___ (1853), « Recherches sur le polymorphisme », Journal de pharmacie et de chimie, 23-24, 417-5.

___ (1853), « Sur la perméabilité des métaux pour le mercure », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 36, 154.

___ (1854), « Recherches sur l’aimantation », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 39, 635.

___ (1854), « Recherches sur l’adhérence magnétique », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 38, 266,397.

___ (1854), « Sur les rapports qui existent entre le frottement et la pression », Annales de chimie et de physique, 40.

___ (1854), « De l’influence des milieux sur les cristaux en voie de formation », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 39, 160.

___ (1855), « Sur l’isomorphisme des combinaisons homologues », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 40, 980.

___ (1856), Braconnot, sa vie et ses travaux, Nancy, G. Grimblot et Veuve Raybois.

___ (1856), « Appareil pour la démonstration de la théorie de la flamme », Journal de pharmacie et de chimie, 31.

___ (1856), « Présence du fluor dans le sang », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 43, 885.

___ (1856), « Sur la purification du phosphore amorphe », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 42, 646.

___ (1857), « Sur l’acide sulfurique fluorifère et sa purification », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 45, 250.

___ (1857), « Présence du fluor dans les eaux minérales de Plombières, de Vichy et de Contrexéville », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 44, 783.

___ (1857), « Recherches du fluor ; action des acides sur le verre », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 44, 679.

___ (1857), « recherches sur la diffusion du fluor », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 45, 331.

___ (1858), « Action du chlorure de soufre sur les huiles », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 47, 972.

___ (1859), « Sur les bromures et iodures définis de bismuth, d’antimoine et d’arsenic », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 48, 837.

___ (1859), « Sur la matière colorante des baies de troëne, et son application à la recherche des eaux potables », Journal de pharmacie et de chimie, 35, 328.

___ (1859), « Sur la fixation des fantômes magnétiques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 49, 854.

___ (1860), « Classification des électro-aimants », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 51, 665.

___ (1860), « Sur la recherche du fluor », Journal de pharmacie et de chimie, 38, 182.

___ (1860), « Sur un mode de décomposition du sel gemme », Journal de pharmacie et de chimie, 38, 118.

___ (1860), « Sur l’isomorphisme du bismuth avec l’antimoine et l’arsenic », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 50, 872.

___ (1861), « Sur le nouveau caractère des corps simples, appelés demi-métaux », Journal de pharmacie et de chimie, 40, 23.

___ (1861), « Sur les combinaisons éthyliques des bromures de bismuth, d’antimoine et d’arsénic », Journal de pharmacie et de chimie, 52, 396.

___ (1861), « Sur les relations d’isomorphisme qui existent entre les métaux du groupe de l’azote », Journal de pharmacie et de chimie, 39-40, 116-277.

___ (1862), « De l’analyse de la fonte et de l’acier ; recherche du soufre et du phosphore dans ces métaux », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 55, 503.

___ (1863), « Note sur la non-existence du wasium comme corps simple », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 57, 740.

___ (1863), « Sur une nouvelle classe de combinaisons chimiques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 56, 388,796.

___ (1865), « On the solubility of the sulphate of baryia in sulphuric acid », American Journal of Science and Arts, 39, 90.

___ (1865), « Sur les combinaisons du bore avec les corps halogènes », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 60, 800.

___ (1868), « Sur l’histoire du phosphore amorphe », Bulletin de la Société des sciences naturelles de Strasbourg, 1, 2, 19-21.

___ (1869), « Le feu liquide », Journal de pharmacie et de chimie, 9, 454.

___ (1869), « Sur quelques réactions particulières aux fluorures alcalins », Journal de pharmacie et de chimie, 9, 273.

___ (1869), « Sur quelques réactions nouvelles du phosphore. Phosphure de zinc par voie humide. », Journal de pharmacie et de chimie, 9, 101.

Nicklès Jérome & Nicklès Napoléon (1844), « Sur la chute d’un bolide et sur l’influence que le magnétisme terrestre a pu exercer sur ce météore », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 19, 1035.

Sources d’archives

Archives nationales : dossier de carrière (F/17/21394/B). Le dossier de Légion d’honneur n’est pas en ligne.

Correspondance : Nicklès papers (François Joseph Jérôme Nicklès) par Stephanie Morris ; Temple University. Libraries. Rare Book and Manuscript Collection.

http://library.temple.edu/scrc/francois-joseph-jerome-nickles.

Sources secondaires

De Vivar Geneviève Martin (2002), « Jérôme Nicklès, un éminent chimiste de la Faculté des sciences de Nancy », Le pays lorrain, 83, 3, 203-204.

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