Paul Thiébaud MÜLLER

1863, 1933
;
Paul Thiébaud
Müller
;
Chimie physique
;
Texte
; par :
Laurent Le Meur

Paul Thiébaud MÜLLER (1863-1933)

Professeur de chimie

Paul Thiébaud Müller est né à Thann (Haut-Rhin) le 7 octobre 1863. Il est le fils aîné de Thiébaud Müller (1833-1912), botaniste et pharmacien à Thann, et de Caroline Hoelg (1838-1923). Il a deux frères, nés en 1865 et 1867, et une sœur, née en 1869. Il épouse à Nancy, le 8 février 1901, Lucy Victorine Élisabeth , fille d’un médecin nancéien.

Ses études commencent au collège de Thann en 1870, puis se poursuivent au lycée de Belfort à partir de 1875, conséquence probable de l’adoption de la nationalité française par sa famille le 27 septembre 1872 à Rougemont. D’après la déclaration d’option de nationalité, les Müller sont alors domiciliés dans cette commune du Haut-Rhin proche de Belfort et restée française après le traité de Francfort de 1871. En 1876, son père cède sa pharmacie en raison de problèmes de santé et s’installe successivement à Dijon, à la campagne en Haute-Saône puis à Nancy, désireux de donner à ses enfants une éducation française. Il ne reviendra à Thann qu’en 1883.

Son fils poursuit donc ses études secondaires au lycée de Dijon puis de Nancy. C’est un élève brillant. En juillet 1882, il obtient le baccalauréat ès lettres, puis à l’automne le baccalauréat ès sciences. Il s’inscrit à la rentrée de 1882 dans une classe de mathématiques élémentaires préparant au concours de l’École forestière, bien qu’il n’ait pas l’intention d’y être candidat, puis est recruté comme maître-auxiliaire au lycée de Nancy à la rentrée de 1883 pour deux années scolaires. Des courriers de soutien de ses professeurs de mathématiques et de physique datés de juin 1883 montrent qu’il a l’intention de se présenter au concours de l’École normale supérieure. Pendant ces deux années, il suit la classe de mathématiques spéciales puis des cours à la faculté des sciences. En juillet 1885, il obtient la licence de mathématiques avec mention assez bien. Entre novembre 1885 et octobre 1887, soutenu par le proviseur du lycée de Nancy, il bénéficie d’une bourse de licence et obtient la licence ès sciences physiques en juillet 1887. Entre novembre 1887 et octobre 1889, bénéficiant d’une bourse, il prépare l’agrégation de physique, qu’il obtient en août 1889.

La plus grande partie de sa carrière universitaire se déroule ensuite à Nancy. En novembre 1889, il est chargé des fonctions de chef des travaux agronomiques à la faculté des sciences, en remplacement d’Henri Grandeau*, puis il est nommé définitivement à ce poste l’année suivante après la démission de ce dernier. Albin Haller* (1849-1925), directeur du nouvel Institut de chimie de Nancy et membre du jury de licence en 1887 avec Ernest Bichat* l’a remarqué et oriente ses premiers travaux de recherches.

Müller réalise ainsi une thèse d’État dans son laboratoire. Il la soutient à Paris en juin 1893 ; elle a pour titre Sur quelques dérivés des éthers cyanacétiques et porte sur la synthèse de plusieurs molécules. Le jury est constitué de Charles Friedel, Louis-Joseph Troost et du physicien Henri Pellat. Après être passé chef des travaux pratiques de chimie en janvier 1893, il est nommé maître de conférences de chimie en octobre 1894. Il enseigne alors la chimie générale au certificat de physique, chimie et sciences naturelles préparatoire aux études de médecine et la chimie physique à l’institut chimique. Haller* l’oriente également sur la voie de la chimie physique par plusieurs collaborations en recherche, lui reconnaissant sans doute des qualités pour cette nouvelle discipline dont il observe les développements à l’étranger. Il a d’ailleurs le projet de création d’un laboratoire de chimie physique et d’électrochimie puis même, d’un nouvel institut, et lance une souscription en 1897 dans le Bulletin de la Société industrielle de l’Est. Corrélativement, Müller devient en juin 1898 maître de conférences de chimie physique et d’électrochimie avec un traitement passant de 4 000 à 5 000 francs pris sur les fonds de la faculté. En juin 1899, il est nommé professeur adjoint.

À son départ pour la Sorbonne en mai 1899, Haller* obtient enfin avec Bichat* la transformation de sa chaire de chimie organique en chaire de chimie physique, première de cette discipline en France et destinée à Müller qui devient donc professeur le 1er décembre 1899. Finalement, le projet d’institut de chimie physique n’aboutit pas, mais Müller se retrouve à la tête d’un laboratoire bien équipé qui vient renforcer l’institut chimique. Müller et Haller* restent liés après 1899, continuant à publier ensemble. Haller* est même présent comme témoin au mariage de Müller en 1901. Ce dernier connaît alors jusqu’en 1914 une période d’intense activité de recherche, avec l’encadrement de neuf thèses, et devient l’un des meilleurs représentants de la chimie physique et de l’électrochimie à Nancy, en recherche comme en enseignement. Il participe aux premiers congrès d’électrochimie de Munich, Leipzig, Göttingen et Zurich. À partir de 1899, il n’enseigne plus qu’à l’institut chimique et semble vouloir s’investir durablement à Nancy. Ses notices individuelles sont élogieuses, le présentant à la fois comme un enseignant disponible et un chercheur enthousiaste, à l’énergie communicative. L’une d’elles souligne qu’il pourrait faire un très bon directeur pour l’institut de chimie. Non mobilisé au début de la Première Guerre mondiale, il reprend ses fonctions en novembre 1914, à la réouverture de l’université, après avoir vécu des événements tragiques à Nomeny (Meurthe-et-Moselle) durant lesquels il a perdu le manuscrit d’un traité de chimie physique dans un incendie.

L’institut chimique, alors dirigé par Antoine Guntz*, connaît une chute importante des effectifs et interrompt son fonctionnement en février 1918, suite à la fermeture de l’université. Müller est alors envoyé par le ministère à la Sorbonne où il donne des cours de chimie physique à quelques étudiants de l’Institut de chimie appliquée. En janvier 1919, il est affecté à la nouvelle université française de Strasbourg et chargé de créer un institut de chimie, destiné à succéder à l’institut allemand de la Kaiser-Wilhelm-Universität. Avec Henry Gault, qui l’a rejoint en avril, et le chimiste René Kueny, il élabore sur les conseils d’industriels alsaciens, dont Georges Haehl, un projet d’institut chimique sur le modèle de celui de Nancy. Il soutient également Gault pour la création d’un laboratoire du pétrole, rattaché au laboratoire de chimie organique. Officiellement nommé professeur de chimie générale et de chimie physique en novembre 1919, il prend également la direction du nouvel Institut chimique de Strasbourg.

En janvier 1921, il devient professeur honoraire à la Faculté des sciences de Nancy. En novembre 1921, il est nommé pour trois ans doyen de la Faculté des sciences de Strasbourg, en remplacement d’Eugène Bataillon, puis il est reconduit deux fois dans cette fonction, en 1924 et en 1927. Son décanat est marqué par la création en 1922, par transformation du laboratoire du pétrole, de l’Institut du pétrole, devenant ensuite École supérieure du pétrole et des combustibles liquides. La construction de nouveaux locaux pour celle-ci débute en 1924 et son inauguration a lieu le 21 novembre 1925. Müller en prend également la direction, suite au départ de Gault en 1925. Très occupé par toutes ces responsabilités administratives, il s’éloigne du laboratoire durant les années 1920 et ne publie quasiment plus. Il est admis à la retraite, à sa demande, en octobre 1929, revient à Nancy et y meurt le 28 août 1933.

Officier d’académie en 1895 puis officier de l’Instruction publique en 1901, il reçoit également une citation à l’ordre de la Nation en avril 1915 puis le grade de chevalier de la Légion d’honneur en octobre 1918 pour les événements de Nomeny de l’été 1914. Après l’incendie de la propriété de famille de son épouse et la perte de son manuscrit, il a en effet été capturé avec un groupe d’hommes, le 21 août, par des militaires allemands et a su négocier avec un officier, grâce à sa maîtrise de l’allemand, le retour de deux cents hommes aux avant-postes français. En 1922, il est récompensé du prix La Caze de l’Académie des sciences. Il reçoit le titre d’officier de la Légion d’honneur en 1923 puis de commandeur de la Couronne de Roumanie en 1928. Membre de la Société chimique de France pendant 44 ans, il préside la section de Strasbourg de 1919 à 1922.

Paul Thiébaud Müller n’a pas d’engagement politique connu, sinon un patriotisme propre aux Alsaciens ayant opté pour la nationalité française. En 1895, dans un article consacré à l’organisation de l’Institut chimique de Nancy, on le voit ainsi rejoindre les prises de position d’Haller* sur le retard de la France par rapport à l’Allemagne en matière de formation des chimistes. Les principales raisons expliquant son départ à Strasbourg tiennent ainsi à son patriotisme, son attachement au retour de l’Alsace en France, mais aussi une rémunération attractive, passant de 10 000 francs à Nancy en 1915 à 20 000 francs à Strasbourg en 1919 et certainement, ses liens avec Haller*. Celui-ci est en effet impliqué dans le processus de réinstallation d’une université française à Strasbourg. Il n’est donc pas étonnant qu’il soutienne l’affectation de Müller qui sera d’ailleurs rejoint par d’anciens enseignants de l’institut chimique : Louis Hackspill*, René Romann*, Charles Staehling et le préparateur Albert Sigot. L’acceptation de lourdes charges administratives et son implication dans la fondation de la section strasbourgeoise de la Société chimique de France sont plutôt motivées par le projet de réinstaller une chimie française en Alsace que par l’ambition personnelle. À la tête de l’Institut chimique de Strasbourg, il laisse le souvenir d’un directeur rigoureux et ennemi des gaspillages financiers, fier d’être à la tête de « l’Institut le moins cher de France ».

Les travaux de Müller démarrent en chimie organique avant de s’orienter vers la chimie physique. Sa thèse est directement inspirée des travaux de Haller* sur la réaction du chlorure de cyanogène sur des éthers sodés. Les éthers obtenus portent un radical carbonitrile, ce qui leur donne des propriétés acides particulières. L’hydrogène fixé au carbone portant le groupe carbonitrile peut être facilement remplacé par du sodium. Müller obtient à partir de l’un d’eux, l’éther cyanacétique sodé, ou même, à partir de l’éther cyanacétique, des composés d’addition comme l’éther succinocyanacétique ou l’éther phtalocyanacétique. Il synthétise également les éthers isonitrisocyanacétate d’éthyle et de méthyle (ou éthers oximido-cyanacétiques).

On peut noter dans cette étude l’emploi d’une technique physico-chimique, la cryoscopie, développée par François-Marie Raoult pour déterminer le poids moléculaire des composés d’addition de ces produits avec l’aniline et la toluidine. Une troisième partie concerne des composés d’addition entre l’éther cyanacétique sodé et des éthers d’acides non saturés.

Entre 1892 et 1893, Müller travaille également avec J. Hausser sur un montage mesurant la vitesse de décomposition de composés diazoïques, à différentes températures, par le volume d’azote libéré lors de leur décomposition en présence d’eau. Ces études marquent le début d’une première catégorie de travaux d’après-thèse sur les lois mathématiques régissant les vitesses de réaction, par exemple, la multirotation des sucres (1894) ou la vitesse des réactions limitées (1898).

Un deuxième ensemble de travaux porte sur l’étude de structures moléculaires par la mesure de propriétés physiques, approche nouvelle en chimie organique vers laquelle le pousse Haller*. Müller s’est initié à cette démarche par la cryoscopie puis l’ébulliométrie, grâce à laquelle il montre en 1894 la trivalence du fer. En 1895, il cherche également à résoudre avec Haller* des questions sur la structure des colorants du triphényle-méthane par ébullioscopie.

À partir de 1898, il entame, toujours avec Haller*, une série d’études sur la structure moléculaire par la mesure de propriétés optiques. Deux méthodes nouvelles développées par Hans Heinrich Landolt (1831-1910) et Julius Wilhelm Brühl (1850-1911) sont utilisées, la détermination de la réfraction moléculaire et de la dispersion moléculaire, complétées par la mesure du pouvoir rotatoire spécifique. Des dérivés du camphre sont étudiés, puis plusieurs éthers cyanés et leurs dérivés sodés. Ces éthers présentent des cas de tautomérisation et ont une constitution différente de leurs dérivés sodés, phénomène caractéristique des pseudo-acides, pour qui la forme acide et le sel basique n’ont pas la même structure. Ils sont désignés par le terme générique d’acides méthiniques et méthéniques. Müller continue sur ce sujet à partir de 1902 en s’intéressant à la série des éthers oximido-cyanacétiques, autres exemples de pseudo-acides.

Avec son premier doctorant Édouard Bauer, il met au point d’autres méthodes de « diagnose » des pseudo-acides basées sur les mesures de chaleur de neutralisation et de conductibilité électrique. Il élabore ensuite un montage de mesure du pouvoir rotatoire magnétique afin de déceler ces mêmes phénomènes de tautoméries puis ceux de conjugaisons de liaisons multiples. Trois des thèses qu’il encadre portent sur ce thème (M. Thouvenot en 1910, V. Guerdjikowa en 1910 et Jean Varin en 1911).

Cette deuxième catégorie de travaux montre à quel point Müller s’est tourné vers la chimie physique. Il est indiscutable que sa formation en mathématiques et en physique a permis cette transition. En 1897, dans une conférence à la Société industrielle de l’Est, il se présente également comme converti aux théories physico-chimiques de Jacobus Henricus Van’t Hoff sur la pression osmotique et la dissolution et celles de Svante August Arrhenius sur les ions et l’acidité qui, selon lui, donnent une cohérence à toutes les méthodes d’analyse volumétrique.

Ces théories nouvelles guident un troisième ensemble de travaux sur les solutions et l’électrochimie comme la thèse de C. Fuchs sur une méthode électrique de détermination de la chaleur spécifique des solutions (1906) ou celles de Henri Allemandet (1905) et Maurice Brot (1908) sur l’électrode à oxyde de mercure et son application à l’étude de solutions. Entre 1910 et 1913 son dernier doctorant René Romann* (1886-1961) élabore une méthode de différenciation de radicaux isomères par des mesures de solubilité par conductimétrie. Les cas des sels de pseudo-acides, des isomères optiques et des isomères de position ortho, para, méta sont étudiés.

À son arrivée à Strasbourg, Müller reprend quelques études sur les équilibres avec son assistant Sigot, mais laisse rapidement la responsabilité des recherches en chimie physique à son ancien élève Romann*. Il publie principalement dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, le Bulletin de la Société chimique, les Annales de chimie et de physique et le Journal de chimie physique à partir de 1902. Parmi ses soixante-quinze communications, on trouve quelques conférences à la Société industrielle de l’Est et quelques articles ou notices d’ordre plus général traitant assez souvent de vitesses de réactions ou des équilibres, y compris dans les années 1920. Il publie avec Haller* en 1896 deux traités élémentaires de chimie destinés au PCN et au baccalauréat, l’un de chimie organique et l’autre de chimie minérale ainsi qu’un manuel d’électrochimie en 1904.

Édité dans la collection de l’Encyclopédie des aide-mémoire sous la direction de M. Léauté, ce petit ouvrage reproduit son cours d’électrochimie donné à l’ICN. Son traité de chimie physique ne verra jamais le jour. Début 1944, la veuve de Müller donne 20 000 francs en vue de la création d’un prix annuel décerné à un élève de l’École supérieure des industries chimiques de Nancy sous le nom de Fondation Paul Thiébaud Müller.

Laurent Le Meur

Bibliographie

Müller Paul Thiébaud (1893), Sur quelques dérivés des éthers cyanacétiques, thèse présentée à la Faculté des sciences de Paris, Paris, Gauthier-Villars.

La notice écrite par Louis Hackspill comprend une liste des publications de Paul-Thiébaud Müller établie par René Romann.

Sources d’archives

Archives nationales : Dossier de carrière (F/17/24092 et F/17/23448). Dons et legs en faveur de l’Université de Nancy (F/17/14656).

Archives municipales de Nancy : acte de mariage du 8 février 1901- Cote 2 Mi 581.

Sources secondaires

Aubry Jean (1992-1993), « La création de la première chaire française de chimie physique », Mémoires de l’Académie de Stanislas, 8, VII, 231-238.

Birck Françoise (1998), « Des instituts annexes de facultés aux écoles nationales supérieures d’ingénieurs, à propos de trois écoles nancéiennes », in Birck Françoise & Grelon André, Des ingénieurs pour la Lorraine 19e-20e siècles, Metz, Éditions Serpenoise, 143-213.

Brini Mathilde (1982-2003), « Müller Paul Thiébaud », in Kintz Jean-Pierre, Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne, Strasbourg, Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace. Contient également un article sur son père, 2746.

Federlin Paul (1999), P. Th. Müller, créateur de la pépinière strasbourgeoise d’ingénieurs chimistes, à présent octogénaire, Colloque international de Chimie physique, Nancy, avril 1999.

Hackspill Louis (1934), « Notice sur la vie et les travaux de Paul Thiébaud Müller (1863-1933) », Bulletin de la société chimique de France, 5, 1, 581-596.

Olivier-Utard Françoise (2005), « L’université de Strasbourg : un double défi, face à l’Allemagne et face à la France », in Crawford Elisabeth & Olff-Nathan Josiane, La science sous influence – L’université de Strasbourg, enjeu des conflits franco- allemands 1872-1945, Strasbourg, Université Louis Pasteur et Éditions de la Nuée Bleue, 137-173.

Rivail Jean-Louis (2001), « Un siècle de chimie physique à Nancy », Mémoires de l’Académie de Stanislas, 403-412.

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