Jules MOLK

1857, 1914
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Jules
Molk
;
Mécanique rationnelle
;
Texte
; par :
Philippe Nabonnand

Jules MOLK (1857-1914)

Professeur de mécanique rationnelle

Conrad Frédéric Jules Molk est né le 8 décembre 1857 à Strasbourg dans une famille de notables protestants. Son père est pharmacien et est connu pour avoir organisé (la plupart du temps à ses frais) l’accueil à Strasbourg des prisonniers français lors de la guerre franco-prussienne de 1870. En 1877, alors qu’il est étudiant à Zurich, il demande et obtient la nationalité suisse afin de ne pas se voir imposer la nationalité allemande. En effet, comme sa famille était restée en Alsace annexée, il aurait dû devenir ressortissant du Reich allemand. En 1882, un décret le réintègre dans la nationalité française. Les divers témoignages évoqués lors de ses obsèques ou les nécrologies font état de l’attachement profond de Molk pour sa région d’origine. Le 22 avril 1885 à Rennes, il épouse Edwige Ida Gropp, d’origine polonaise, qu’il avait rencontrée lors de son séjour berlinois. Il décède à Nancy le 7 mai 1914.

Molk commence ses études en 1864 au lycée (gymnase) protestant de Strasbourg. Pendant la guerre de 1870, il se réfugie quelques mois avec sa mère et son frère à Bâle. Il reprend un temps ses études au lycée, mais, comme il ne semble guère motivé par les humanités, son père l’envoie en 1872 à l’École professionnelle de Mulhouse. Cette école était, avec l’école municipale de chimie industrielle, ce qui restait après l’annexion de l’Alsace de l’École supérieure des sciences appliquées de Mulhouse créée en 1854. Le jeune Molk est un bon élève dans les enseignements théoriques, mais d’après ses dires, se révèle incapable d’assimiler les apprentissages techniques et manuels. En 1874, il est admis à l’École polytechnique de Zurich où il suit les cours de mathématiques d’Édouard Armand Méquet, de Karl Friedrich Geiser et surtout de Georg Frobenius. Méquet est un polytechnicien (promotion 1841) exilé en Suisse à la suite du coup d’État de décembre 1852 ; Geiser, professeur de mathématiques supérieures et de géométrie synthétique, est chargé de la formation mathématique des ingénieurs dans cette école ; quant à Frobenius, il a été avec Adolf Hurwitz, entre 1875 et 1892, le mathématicien le plus célèbre de cette institution. Molk obtient son diplôme d’ingénieur en 1879. Il poursuit des études de mathématiques en 1880 à la Sorbonne en préparant une licence ès sciences mathématiques. Durant cette année, il suit les cours de Charles Hermite, Jean-Claude Bouquet, Ossian Bonnet, Félix Tisserand et Jules Tannery. Après sa licence, il commence à préparer une thèse de mathématiques à Berlin. Son séjour berlinois dure 4 ans (1880-1884). Il suit à l’Université de Berlin les cours de Gustav Kirchhoff, Karl Weierstrass, Hermann von Helmholtz et surtout de Leopold Kronecker avec qui il noue des liens durables. Sa thèse, Sur une notion qui comprend celle de divisibilité et sur la théorie générale de l’élimination, soutenue à la Sorbonne le 24 juillet 1884, est consacrée à la théorie des systèmes de diviseurs de Kronecker ainsi qu’à ses travaux en arithmétique et en algèbre. Le jury réunit Hermite, Gaston Darboux et Paul Appell. Le rapport de thèse exprime quelques réserves sur les travaux de Kronecker qui ont inspiré la thèse de Molk, mais il souligne l’intérêt pédagogique de celle-ci en estimant qu’« il y a utilité à ce que les idées de M. Kronecker soient connues en France par la thèse de M. Molk ».

Parallèlement à la préparation de sa thèse, il a assuré à Paris entre 1882 et 1884, la fonction de secrétaire-rédacteur de la publication de la Bibliothèque de l’École des hautes études.

Le 28 octobre 1884, Molk est nommé maître de conférences de mathématiques à la Faculté des sciences de Rennes. Une année plus tard, il est nommé chargé de cours de mécanique à la Faculté des sciences de Besançon, poste qu’il occupe jusqu’à sa titularisation comme professeur de mécanique rationnelle et appliquée le 1er mars 1888. En 1890, il demande sa mutation à Nancy pour succéder à Gaston Floquet* à la chaire de mathématiques appliquées. En décembre 1898, la chaire de mathématiques pures est divisée en une chaire d’analyse et une chaire de mécanique rationnelle : Floquet prend la chaire d’analyse et Molk est nommé à la chaire de mécanique rationnelle. C’est Henry Vogt* qui lui succède à la chaire de mathématiques appliquées. Molk conservera cette position jusqu’à son décès.

Les différents rapports des doyens des facultés dans lesquelles Molk a exercé soulignent de manière répétée la qualité de son enseignement et son dévouement tant pour ses étudiants que pour l’institution. Le recteur Charles Adam le présente dans son rapport de 1906 comme « le type du prof. ami de ses élèves (comme on l’était à Strasbourg) ». Adam ajoute que Molk est « le type aussi du mathématicien érudit qui connaît & aime l’histoire des mathématiques ». Molk introduit en particulier un système d’interrogation des étudiants et donne à titre gracieux des conférences libres. Il pratique cet exercice tout au long de sa carrière ; dès 1884, au début de sa carrière, pour se présenter devant le directeur de l’Enseignement supérieur, il précise qu’après avoir assuré son enseignement de licence, il souhaiterait « faire encore quelques cours libres sur des sujets différents du programme, comme cela est en usage depuis près de vingt ans dans toutes les universités allemandes ».

À la création de l’institut d’électrotechnique et mécanique appliquées en 1900, Molk apporte son soutien à Ernest Bichat* et Vogt* en mettant à profit les contacts qu’il a conservés à Zurich, promouvant ainsi le modèle de l’École polytechnique dans laquelle il avait été formé.

Entre 1892 et 1902, Molk édite avec Jules Tannery, avec qui il entretient depuis son année de licence à Paris des rapports amicaux, un Traité sur la théorie des fonctions elliptiques (4 volumes se succédant de 1893 à 1902). L’ambition explicite de cet ouvrage est de permettre aux étudiants des facultés de s’initier à l’issue de leur licence à la théorie des fonctions elliptiques et de leur permettre de prendre « connaissance des recherches de Kronecker et de M. Hermite ». En 1902, débute son grand-œuvre, l’édition française de l’Encyclopédie des sciences mathématiques pures et appliquées. Le mathématicien allemand Felix Klein supervisait depuis 1898 une monumentale encyclopédie mathématique dont l’ambition était de réunir tout le savoir mathématique de l’époque. Walter Dyck, président du comité éditorial en 1904, en présente ainsi les intentions : « La mission était de présenter une exposition simple et concise, complète autant que possible, du corpus des mathématiques modernes et de ses conséquences, tout en donnant une bibliographie détaillée sur le développement historique des méthodes mathématiques depuis le début du 19e siècle. »

En 1902, les universités porteuses de l’édition allemande (Göttingen, Leipzig, Munich et Vienne) ainsi que les éditeurs Teubner (Leipzig) et Gauthier-Villars (Paris) confient à Molk la charge de diriger la publication d’une édition française de cette encyclopédie. Même si l’édition française reprend la structure de l’édition allemande, il ne s’agit pas seulement de traduire les articles ; ce travail éditorial consiste également à les remanier, à ajouter nombre de références à des travaux français et de réécrire certains textes. Molk constitue un réseau de mathématiciens français à cet effet. Lui-même et nombre de ses collègues nancéiens contribuent à l’encyclopédie (Élie Cartan*, Vogt*, Pierre Boutroux*, Floquet* et Eugène Fabry*). Vingt-deux volumes réunis en 8 tomes (Arithmétique et algèbre, Analyse, Géométrie, Mécanique, Physique, Géodésie et géophysique, Astronomie, Compléments) paraîtront entre 1904 et 1916. Cette charge procure à Molk une renommée internationale certaine ; par exemple un des évènements du Congrès international des mathématiciens d’Heidelberg (1904) est la présentation simultanée du premier tome des deux éditions de l’encyclopédie par Klein et Molk.

Dans son rapport de 1908, le recteur Adam le présente comme « un de nos mathématiciens les plus connus à l’étranger (Allemagne, Suède, Italie) » ajoutant que « c’est justice : œuvre colossale de l’Encyclopédie des Sciences Math. traduite et refondue sous sa direction ». En dehors de ses nombreuses contributions à l’Encyclopédie, Molk n’a publié que très peu d’articles dans des journaux mathématiques. Il a par contre régulièrement assuré entre 1891 et 1903 les analyses des comptes rendus des académies de Berlin et de Munich dans le Bulletin des sciences mathématiques.

Officier d’académie en 1889, officier de l’Instruction publique en 1891, il est nommé chevalier de la Légion d’honneur en juin 1909 ; à sa demande, il est décoré à Strasbourg par le mathématicien Paul Appell, lui-même originaire de cette ville. En 1907, il est fait docteur honoris causa des universités de Giessen et Padoue.

Il est par ailleurs membre de l’Academia Cæsarea Leopoldino-Carolina de Halle. En 1912, il reçoit le prix Binoux de l’Académie des sciences pour son travail d’édition de la version française de l’encyclopédie des sciences mathématiques.

Au niveau local, il est membre du conseil d’administration et de perfectionnement de l’École professionnelle de l’Est et de l’École supérieure de commerce de Nancy, membre correspondant du conseil des sciences de la Société industrielle de l’Est et, à partir de 1901, membre titulaire de la Société des sciences de Nancy.

Philippe Nabonnand

Bibliographie

Molk Jules (1883), « Sur les unités complexes », Bulletin des sciences mathématiques, 18, 133-136.

___ (1884), Sur une notion qui comprend celle de la divisibilité et sur la théorie générale de l’élimination, Paris, A. Hermann.

___ (1884), « Sur une notion qui comprend celle de la divisibilité et sur la théorie générale de l’élimination, thèse soutenue à la Sorbonne », Acta mathematica, 6, 1-166.

___ (1886), « Recherches sur la transformation par des substitutions réelles d’une somme de deux ou trois carrés en elle-même, trad. d’un article de Lipschitz », Journal de mathématiques pures et appliquées, 4, 2, 340-373.

___ (1890), « Exposition de la démonstration donnée par M. Weierstrass des théorèmes de M. Lindemann sur la fonction exponentielle (transcendance de e et π) », Bulletin des sciences mathématiques, 24, 186-199, 228-240.

___ (1891-1903), « Analyses des Sitzungsberichte der K. Preussichen Akademie der Wissenschaften zu Berlin et des Sitzungsberichte der Math. Phy. Classe der K. Bayerischen Akad. der Wissenschaften zu Munich », Bulletin des sciences mathématiques.

___ Ed. (1904-1916), Encyclopédie des sciences mathématiques, Paris, Gauthier-Villars.

___ Ed. (1906-1908), Encyclopédie des sciences mathématiques pures et appliquées, Paris, Gauthier-Villars.

Tannery Jules & Molk Jules (1893-1903), Éléments de la théorie des fonctions elliptiques (4 volumes), Paris, Gauthier-Villars. Vol. 1 (1893), vol. 2 (1896), vol. 3 (1898), vol. 4 (1903).

Sources d’archives

Archives nationales : dossier de carrière (F/17/25864) et dossier de Légion d’honneur (LH/1899/58).

Sources secondaires

Collectif (1914), Jules Molk, Nancy, Imprimerie A. Colin.

Vogt Henri (1914), « Jules Molk », L’enseignement mathématique, 16, 380-384.

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