Alexis MILLARDET
Alexis MILLARDET (1838-1902)
Chargé de cours de botanique
Alexis Pierre Marie Millardet est né le 3 décembre 1838 à Montmirey-la-Ville dans le département du Jura, près de Dole. Son père est notaire, il meurt lors de l’épidémie de choléra de 1854. Le 7 mai 1875, Alexis Millardet épouse à Amélie-les-Bains Célestine de Ferran (1842-1904), la fille d’un avocat de petite noblesse catalane. Elle donne naissance à trois enfants, dont deux fils, Georges (1876-1953) et André (1878-1944). Georges sera professeur de langues et littérature romanes à la faculté des lettres de Montpellier. La maladie l’emporte en décembre 1902, à Bordeaux, à l’âge de 64 ans.
Alexis Millardet commence ses études secondaires au collège de Dole puis au lycée de Besançon où il devient bachelier ès lettres et ès sciences. En 1854, conseillé par son oncle, médecin à Paris, il entreprend des études de médecine. Parallèlement, il s’intéresse de plus en plus à la botanique et rejoint la Faculté des sciences de Paris, où il obtient la licence de sciences naturelles en 1861. Il collabore alors avec le botaniste Camille Montagne, spécialiste de mycologie et un des précurseurs de la phytopathologie, notamment grâce à la découverte de l’agent responsable du mildiou de la pomme de terre. Il poursuit dans le domaine en partant pendant quatre années étudier en Allemagne à Heidelberg, Fribourg-en-Brisgau et à Halle, de 1862 à 1866. Outre la langue, il découvre les méthodes des savants allemands et il étudie l’anatomie végétale auprès de Wilhelm Hofmeister, la physiologie avec Julius von Sachs et la cryptogamie avec Heinrich Anton de Bary, spécialiste des champignons, dont l’agent du mildiou, et considéré comme le fondateur de la mycologie. Ce long séjour en Allemagne sera souvent mis à son crédit lors de ses demandes de poste. À son retour en 1869, il devient docteur en médecine en soutenant une thèse : Étude sur les mouvements périodiques et paratoniques de la sensitive et, en août de la même année, à la Faculté des sciences de Strasbourg, il obtient le doctorat de sciences naturelles grâce à un travail sur Le prothallium mâle des cryptogames vasculaires.
Son parcours professionnel commence donc en octobre 1869 à Strasbourg où il est nommé chargé de cours complémentaire de botanique à la faculté des sciences sans traitement : il supplée le professeur de géologie Guillaume-Philippe Schimper et permet ainsi aux étudiants d’atteindre le niveau de la licence en botanique. Pendant la guerre de 1870, il devient médecin aide-major dans la 2e légion des mobiles du Jura, au sein de l’Armée des Vosges. Après la guerre, comme beaucoup de ses collègues de Strasbourg, il entre à la Faculté des sciences de Nancy en décembre 1871, en tant que chargé de cours complémentaire de botanique. Il avait d’abord postulé pour un poste de professeur d’histoire naturelle à la nouvelle Faculté de médecine de Lyon où devait être transférée la Faculté de médecine de Strasbourg. Il avait également manifesté son intérêt pour le poste de botanique susceptible d’être créé à Bordeaux par dédoublement de la chaire de géologie et botanique.
Millardet doit attendre 5 ans en demeurant à Nancy jusqu’en octobre 1876, date à laquelle il rejoint la Faculté des sciences de Bordeaux en tant que professeur de botanique. Il y est recommandé par Jean-Baptiste Dumas, Louis Pasteur et le botaniste Pierre Duchartre. Son traitement passe alors de 3 000 à 6 000 francs. Promu à la 3e classe en 1881, il passe à la 2e classe en 1897. En 1877, il demande un congé pour soigner ses rhumatismes par une cure thermale à Barrèges. Sa santé commence à se dégrader plus sérieusement dès 1893. En 1897, « il devient un professeur intermittent » et fin 1900, il prend un congé pour maladie. Il reprend ses fonctions en mars 1901, mais « il n’est plus que l’ombre de lui-même » selon le recteur. En juin, il demande un congé de maladie, définitif au 1er novembre. Finalement, après 25 ans passés à Bordeaux et 30 années de service, il prend sa retraite en janvier 1902.
À Nancy, Millardet assure l’enseignement de la botanique pendant cinq ans. Il souffre de névralgie rhumatismale depuis la guerre et cela le conduit à demander un congé dès sa nomination. Revenu de cure d’Amélie-les-Bains, il donne ses premiers cours en mars 1872, en ayant demandé le versement de son traitement dès sa nomination et non à son installation tardive. En juin 1873, désirant s’éloigner du climat de Nancy, souffrant de rhumatisme goutteux, il avait postulé à Marseille sur le poste de professeur de botanique occupé alors par Auguste Derbès, très souffrant. Souvent malade, Millardet a néanmoins toujours assuré son service réglementaire d’enseignement. En mai 1872, Hervé Faye*, alors inspecteur général, le juge « sérieux, aimant les recherches approfondies, mais peu disposé à sacrifier à son auditoire les côtés arides de la science ». Il ajoute que Millardet doit être conscient de ce manque de talent pédagogique, en rapportant qu’il a refusé « à la municipalité de Nancy de faire quelques leçons de botanique générale à l’amphithéâtre du Jardin des plantes dont la direction lui était confiée à ce prix ». Dans sa notice individuelle, Millardet refuse de répondre à la question sur ses titres et travaux scientifiques, sous prétexte qu’elle est mal posée, et Faye* y voit la preuve d’un « caractère entier et étroit, d’un esprit pointilleux ». Dans un rapport rédigé en mai 1874, l’inspecteur général de l’enseignement secondaire Constant Rollier confirme son « indifférence pour le professorat », ce qu’il met au compte de sa santé très faible. Il est pourtant bien apprécié de ses collègues à la faculté, mais aussi à la faculté de médecine et à l’École Forestière. L’inspecteur général regrette que Millardet n’ait pas encore créé « une petite école de véritables étudiants », ce qui traduit son caractère plutôt individualiste ; il se consacre à la recherche, mais n’en fait pas profiter ses étudiants. La renommée qu’il a acquise dans son domaine de recherche vient modérer les critiques sur son activité d’enseignant. Son goût pour la recherche se traduit aussi dans l’enseignement qu’il voudrait plus expérimental. Il doit notamment enseigner la physiologie qu’il inscrit « à son corps défendant » au programme de licence : alors qu’il a pu illustrer le cours de morphologie, il s’avoue incapable de montrer une expérience, faute de matériel, et cela le « réduit à faire de la physiologie comme on fait de la théologie, sur du texte ». « Tout me paralyse et j’en suis arrivé à cette conviction poignante que je perds mon temps, le faisant perdre aux autres. Car c’est perdre son temps que de faire des bacheliers ou des licenciés qui n’ont que des mots dans la tête et rien de positif, parce qu’ils n’ont rien vu par eux-mêmes, incapables de recherches parce qu’ils ne connaissent ni les difficultés de l’expérimentation ni les règles de la méthode ».
En tant que titulaire de la Société des sciences naturelles de Strasbourg, dont il est membre depuis mai 1869, Millardet intègre la Société des sciences de Nancy avec ses collègues alsaciens. Il y est cependant très peu assidu et envoie deux travaux à la Société sans venir les présenter directement. Après son départ pour Bordeaux, il en devient membre correspondant.
Au début de l’année 1873, il se confronte avec le professeur de physique et doyen Jules Chautard* au sujet de ses articles sur la chlorophylle aux Comptes rendus de l’Académie des sciences. Millardet lui reproche des travaux sans originalité, avec des conclusions déjà réfutées ou inutiles. Un an plus tard, alors que Millardet est délégué de l’Académie des sciences à la commission du phylloxéra pendant deux mois, Chautard* demande la suppression de son salaire pour cette période, probablement en réaction à cette controverse.
Les recherches de Millardet contribuent à lui assurer une reconnaissance rapide dès ses débuts, puisqu’il est admis à la Société botanique de France en 1861, à 23 ans, alors qu’il vient seulement d’obtenir la licence. Il publie sa première note avec Camille Montagne sur les algues de la Réunion. Son séjour auprès des grands botanistes allemands montre son ouverture à la science internationale, ce que peu de botanistes français estiment alors nécessaire ou comprennent mal. En 1872, lors de sa demande de poste à Marseille, il écrit au Directeur des enseignements : « À qui, si ce n’est à vous, aurais-je pu avoir recours puisque mes soutiens naturels, les savants, me font défaut ? Ils me regardent comme une sorte de transfuge allemand dangereux pour la science Française. Il paraît aussi qu’ils me reprochent volontiers l’obscurité pour les Allemands, c’est tout le contraire, et Sachs dans son traité m’attribue une exposition lumineuse. Qui croirai-je de Sachs ou de la pléiade académique ? Serait-il vrai que je n’ai été en Allemagne que pour m’approprier tous les défauts de ce peuple ? Vous avez, Monsieur, les pièces en main, et vous pourrez, à vos moments de loisir, comparer mon style à celui de M.M. Thénard et Robin qui font les délices de l’Institut ». En réalité, Millardet a une très grande connaissance de la recherche au niveau international, il est aussi en contact avec les botanistes américains. Ses modèles sont Pasteur et Darwin.
Son œuvre se partage en trois parties. Ses premiers travaux sont consacrés aux lichens et aux champignons. Il y clarifie les classifications et il y montre ses talents d’observateur par des découvertes d’algues microscopiques en Forêt-Noire. Sa thèse s’inscrit dans ce cadre, ainsi que des recherches sur les matières colorantes des algues dont il isole trois pigments. Millardet découvre aussi la solanorubine, un colorant de la tomate qu’on retrouve dans la carotte et qui intervient dans les échanges gazeux des plantes. Quand le phylloxera commence à envahir les vignobles, il est par ailleurs l’un des premiers à examiner l’insecte au laboratoire de de Bary. Il est donc naturellement incorporé à la Commission du phylloxera de l’Académie en 1874, chargé de l’étude des vignes américaines.
Décrivant plus de quarante cépages épargnés par le phylloxera, puis l’origine de cette résistance dans l’hybridation naturelle de la vigne, il contribue à donner une solution au fléau, autre qu’une destruction de l’insecte par des produits chimiques : créer des porte-greffes à partir des cépages résistants. La résistance est pour lui liée à l’hérédité, elle dépend de la descendance directe d’espèces résistantes, en rapport avec des facteurs liés à l’environnement. Il fait ses essais dans sa propriété viticole de Marville près de Cognac. Alors que le grand spécialiste de l’hybridation Georges Couderc créée une série d’hybrides résistants, il est à porter au crédit de Millardet d’obtenir un hybride résistant à la fois au phylloxera et à la chlorose. D’autres ont contribué à résoudre ce problème, comme Louis Ravaz et Pierre Viala, soulevant parfois des polémiques liées aux méthodes utilisées.
En 1878, les vignes bordelaises subissent une nouvelle attaque, celle du mildiou (mildew) et Millardet consacre alors ses recherches à ce problème. En 1884, il met au point, avec son collègue chimiste à la Faculté des sciences de Bordeaux, Ulysse Gayon, un traitement pour lequel ils seront connus comme les bienfaiteurs de la vigne : la bouillie bordelaise. Une pratique existait dans certains vignobles d’asperger les vignes au bord des routes d’un mélange de sulfate de cuivre et de chaux, dans le but d’éviter les rapines. Millardet remarque alors au château Ducru-Beaucaillou que les vignes ainsi traitées n’étaient pas touchées par le mildiou ; de plus, il remarque que l’eau de son puits a les mêmes vertus, et une analyse y décèle la présence de sels de cuivre.
Après des essais sur les vignobles de Ducru-Beaucaillou et Château Dauzac, il établit, avec Gayon, la formule la plus efficace qui reste à l’heure actuelle toujours utilisée, y compris dans les vignes biologiques. À partir de 1885, le traitement est reconnu comme le meilleur, il est préventif plus que curatif, bon marché et Millardet et Gayon montrent que le sulfate de cuivre ne se retrouve pas dans le vin.
Millardet devient chevalier de la Légion d’honneur en mai 1888, au titre du ministère de l’Agriculture. La même année, il est élu membre correspondant dans la section de botanique de l’Académie des sciences et admis à l’Académie nationale des sciences, belles lettres et arts de Bordeaux.
En 1893, il reçoit le prix Morogues de l’Académie des sciences pour « ses procédés de traitement du mildew par des composés cuivreux ». Il a cependant été mieux reconnu à l’étranger qu’en France. En août 1901, il reçoit le brevet ainsi que les insignes de commandeur de l’ordre de François-Joseph que lui confère l’empereur d’Autriche.
Millardet publie beaucoup, dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, dans le Bulletin de la Société botaniste de France, dans les revues des sociétés savantes locales, à Strasbourg, Nancy et Bordeaux et dans les revues spécialisées comme La vigne américaine et La Vigne française. Il associe souvent d’autres chercheurs à ses publications, le botaniste allemand Gregor Kraus, le vigneron Charles de Grasset ou le chimiste Ulysse Gayon.
Étienne Bolmont
Bibliographie
Millardet Alexis (1866), « Des genres Atichia, Myriangium et Naetrocymbe », Mémoires de la Société des sciences naturelles de Strasbourg.
___ (1868), Études sur la matière colorante des Phycochromacées et des Diatomées, Strasbourg, G. Silbermann.
___ (1868), De la Germination des zygospores dans les genres Closterium et Staurastrum et sur un nouveau genre d’algues chlorosporées, Strasbourg, G. Silbermann.
___ (1869), Nouvelles recherches sur la périodicité de la tension, étude sur les mouvements périodiques et paratoniques de la sensitive, G. Silbermann.
___ (1869), Le prothallium male des cryptogames vasculaires (thèse), Strasbourg, G. Silbermann.
___ (1872), La Botanique, son objet, son importance, Boehm et fils.
___ (1873), « Observations relatives à une communication récente de Mr Chautard, sur les bandes d’absorption de la chlorophylle », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 76, 105-107.
___ (1874), De la maladie des pommes de terre causée par le parasitisme du Peronospora infestanse, Berger-Levrault.
___ (1876), Note sur une substance colorante nouvelle (Solanorubine) découverte dans la tomate, Berger-Levrault.
___ (1877), La question des vignes américaines au point de vue théorique et pratique, Bordeaux, Féret.
___ (1879), Études sur quelques espèces de vignes sauvages de l’Amérique du Nord faites au point de vue de leur application à la reconstitution des vignobles détruits par le phylloxera, Bordeaux, Féret.
___ (1881), Notes sur les vignes américaines et opuscules divers sur le même sujet, Bordeaux, Féret.
___ (1882), Pourridié et phylloxera : Étude comparative de ces deux maladies de la vigne, Paris, Masson.
___ (1884), Note sur le chancre du pommier et du poirier, Impr. de G. Gounouilhou.
___ (1885), Histoire des principales variétés et espèces de vignes d’origine américaine qui résistent au phylloxera, Masson.
___ (1886), Traitement du mildiou et du rot par le mélange de chaux et sulfate de cuivre, Bordeaux, Féret et fils.
___ (1887), Notes sur les vignes américaines : Série II, Paris, Masson.
___ (1887), Instruction pratique pour le traitement du mildiou et du Rot de la vigne : suivie d’une notice sur le traitement de la maladie de la tomate et de la pomme de terre, Bordeaux, Féret et fils.
___ (1888), Notes sur les vignes américaines : Série III, Paris, Masson.
___ (1891), Essai sur l’hybridation de la vigne, Paris, Masson.
___ (1894), Note sur l’hybridation sans croisement, ou fausse hybridation, mpr. de G. Gounouilhou.
___ (1894), Un porte-greffe pour les terrains crayeux et marneux les plus chlorosants, Bordeaux, Féret et fils.
___ (1898), Étude des altérations produites par le phylloxéra sur les racines de la Vigne, Paris, Masson.
Millardet Alexis & de Grasset Charles (1888), Catalogue des hybrides de vignes obtenus depuis l’année 1880 à l’année 1887 inclusivement, Bordeaux, Imp. Veuve Cadoret.
___ (1896), Deux porte-greffes américains pour terrains calcaires, Bordeaux, Féret et fils.
Millardet Alexis & Gayon Ulysse (1887), Recherches sur les effets des divers procédés de traitement du mildiou par les composés cuivreux, Bordeaux, Imp. Veuve Cadoret.
___ (1887), Considérations raisonnées sur les divers procédés de traitement du mildiou par les composés cuivreux suivies d’une notice sur le traitement de la maladie de la pomme de terre et de celle de la tomate, Bordeaux, Féret et fils.
Montagne Camille & Millardet Alexis (1862), Botanique, cryptogamie, algues, Dentu.
Sources d’archives
Archives nationales : dossier de carrière (F/17/21332) et dossier de Légion d’honneur (LH/1876/54).
Sources secondaires
Collectif (1893), « Prix Morogues », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 117, 929-930.
___ (1903), Recueil de travaux dédiés à la mémoire de Alexis Millardet (1838-1902), Bordeaux, Gounouilhou.
Magnus P. (1905), A. Millardet, Gebrüder Borntraeger.
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