Louis Eugène LAROCQUE
Louis Eugène LAROCQUE (1838-1910)
Chargé de cours de mathématiques
Louis Eugène Larocque est né le 24 septembre 1838 à La Rochefoucauld (Charente). Il est le cadet d’une famille de deux enfants. À sa naissance, son père, Jean Larocque (1806-1878), est professeur au collège de la ville où il occupe les fonctions de régent de rhétorique et de mathématiques. Ses ralliements politiques variés à la République en 1849 puis à l’empereur lui valent d’être éloigné de l’enseignement public et il poursuit sa carrière comme enseignant dans des pensions jusqu’à sa retraite en 1863. Les parents de Louis Eugène Larocque se séparent, semble-t-il, vers 1845 et sa mère, Geneviève Julie Delhaume (1811-1899), subvient alors seule aux besoins de la famille : ayant fait des études pour devenir institutrice, elle fonde à Aigre une institution pour jeunes filles qui connaît un grand succès, elle obtiendra d’ailleurs les palmes académiques. Le frère aîné de Larocque, Jean Baptiste (1836-1891), connaîtra un destin tourmenté : poète et écrivain, auteur de plusieurs romans libertins et membre de la garde nationale, il soutiendra la Commune et s’exilera ensuite en Angleterre (il publiera en 1888 ses souvenirs révolutionnaires). Il est condamné par contumace à la déportation en 1873, amnistié en 1879 et finit ses jours dans un asile psychiatrique. Louis Eugène Larocque se marie à Chauvigny (Vienne) en octobre 1868 avec Marie Louise Caroline Deguil (1845- ?), fille d’un percepteur des contributions directes. Le couple aura un fils, qui sera procureur de la République à Dinan, et une fille qui mourra jeune. Larocque meurt quant à lui d’une maladie du cœur le 5 avril 1910 à Nantes.
Larocque fait ses études au lycée d’Angoulême. Il réussit très bien dans les classes de la filière littéraire et obtient de nombreux prix. Il s’oriente cependant vers les sciences en entrant dans la classe de logique-sciences. Il obtient le baccalauréat ès sciences à Bordeaux et il entre dans la classe préparatoire aux mathématiques spéciales du lycée dont il devient le meilleur élève. À la rentrée 1857, il intègre à Paris la classe de mathématiques spéciales du lycée Saint-Louis. En 1858, il passe avec succès les concours de l’École normale supérieure et de l’École polytechnique et il opte pour la première. Son entrée à l’École normale supérieure se fait dans un contexte de changement de direction : Désiré Nisard et Louis Pasteur allègent alors la discipline très stricte qui régnait jusqu’alors ; de plus, des dispositions nouvelles sont prises pour le concours de l’agrégation : avant les années 1860, les élèves devaient passer une année dans un lycée avant de passer le concours, mais au moment où Larocque commence ses études un décret autorise les élèves de troisième année à passer directement le concours. Cependant, la santé fragile de Larocque ne lui permet pas de profiter de ces dispositions : en 1861, malade, il ne peut se présenter au concours ; en 1862, il parvient à être admissible et ce n’est finalement qu’en 1863 qu’il obtient l’agrégation de mathématiques, avec le 1er rang.
Entre-temps, Larocque commence donc une carrière d’enseignant en lycée : en septembre 1861, il est nommé chargé de cours de mathématiques pures et appliquées au lycée Fontanes de Niort. En septembre 1862, il sollicite auprès du ministère de l’Instruction publique un congé d’un an pour préparer l’agrégation et commencer un doctorat. Il est alors soutenu par les mathématiciens Hervé Faye* et Joseph Bertrand, mais ses démarches restent vaines : il est nommé chargé de cours de mathématiques pures et appliquées au lycée de Marseille à titre de suppléant. Il ne soutiendra jamais de thèse de doctorat. Finalement, en 1863, année de son succès à l’agrégation, il est professeur de mathématiques pures et appliquées au lycée de Brest.
Ses premières années comme enseignant sont mitigées. À Niort, un rapport d’inspection souligne l’étendue de son savoir, mais regrette un enseignement trop confus. À Marseille, l’inspection remarque des problèmes de discipline dans sa classe et envisage de lui faire quitter la ville pour éviter qu’une réputation fâcheuse ne s’installe au lycée.
En septembre 1864, il est nommé chargé de cours à titre provisoire au lycée de Nancy où on lui confie un cours de physique. Il y reste trois ans. Il enseigne également la géométrie descriptive dans la classe de mathématiques spéciales et il donne des conférences de révision pour les élèves de mathématiques élémentaires. En janvier 1866, un cours complémentaire de mathématiques est créé à la Faculté des sciences de Nancy dans le cadre d’une préparation spéciale à l’examen de la licence ès sciences. On lui confie une charge de cours de mécanique rationnelle. Les rapports d’inspection des années 1864-1867 reconnaissent le potentiel de Larocque, mais regrettent qu’il n’ait pas encore acquis la maîtrise désirable pour devenir titulaire d’une chaire de mathématiques spéciales ; on considère également qu’il réussit mieux dans ses cours complémentaires à la faculté des sciences et on le juge un peu retors, à tel point qu’on ne le regretterait pas s’il devait partir… L’inspecteur général envisage d’ailleurs de le nommer à Paris pour remplacer Joseph Kiaës qui assure des cours de géométrie descriptive dans un grand nombre d’écoles publiques et privées.
Malgré ces réserves, Larocque est finalement nommé à une chaire de mathématiques spéciales au lycée de Poitiers en octobre 1867, où il succède à Alexandre Allégret. En septembre 1869, il succède à Henri Durrande à la chaire de mathématiques spéciales du lycée de Nîmes. Il se lie d’amitié avec ses collègues Artidor Beurier et Charles Bigot, deux anciens élèves de l’École normale supérieure qui sont respectivement professeur de philosophie et professeur de rhétorique. La Guerre de 1870 et la Commune créent une période de troubles à Nîmes. Attachés à la cause républicaine, Larocque, Beurier et Bigot se lancent alors en politique et fondent un journal visant à lutter contre les velléités séparatistes d’une partie de la population. Larocque fréquente également une Société de propagande républicaine. La conséquence immédiate de ses activités politiques est sa nomination au lycée de Nantes, en octobre 1871, qui prend la forme d’un exil forcé. Cet épisode le suivra défavorablement jusqu’à la fin de sa carrière, les autorités académiques et ministérielles lui reprochant un manquement au devoir de réserve. En 1876, le sénateur du Gard, Jacques Bonnefoy-Sibour, témoignera cependant en sa faveur auprès du ministre de l’Instruction publique en affirmant que Larocque était toujours resté dans une ligne sagement républicaine et que tous ses écrits avaient largement condamné les excès de la Commune.
À Nantes, Larocque remplace à la chaire de mathématiques spéciales Antoine Planes qui vient d’être nommé inspecteur d’académie à Avignon. Parallèlement à son enseignement au lycée, il se voit confier des cours de mathématiques à l’École supérieure des sciences et des lettres de Nantes. Il mène ensuite toute sa carrière dans cette ville. À partir de cette date, Larocque s’investit pleinement dans le paysage éducatif et scientifique nantais. En 1879, il crée, avec le soutien de la ville, un observatoire météorologique national au Petit-Port, à Nantes. Il en assure la direction jusqu’à sa retraite en 1900. Deux ans, plus tard, il se porte candidat à la succession d’Adolphe Bobierre à la direction de l’École supérieure des sciences et des lettres. Étant l’un des plus anciens enseignants de l’école, il estime que ce poste lui revient de droit. Il est cependant en rude concurrence avec Jules Labbé, professeur de philosophie au lycée, dans un contexte où les enjeux politiques municipaux et nationaux ne sont pas absents. Larocque, qui est un républicain modéré, se voit rattrapé par son passé politique et il craint que cela lui porte à nouveau préjudice. Il sollicite ainsi en septembre 1881 le soutien de son ami Bigot pour qu’il intercède en sa faveur auprès du ministère de l’Instruction publique : « Au fond le recteur me trouve trop républicain, trop en vue. Il serait vraiment bizarre qu’après avoir été arrêté dans ma carrière pour avoir soutenu le Gouvernement de la défense nationale et combattu la Commune je fusse frustré d’une distinction qui me revient pour avoir combattu l’intransigeance, en défense de Ferry et Gambetta […] ». Larocque qui aspire fortement à obtenir ce poste fait jouer tous ses réseaux. Il est finalement nommé en octobre, mais cette décision est fortement critiquée dans la presse locale : on lui reproche d’avoir été nommé grâce à l’intervention du préfet Louis Herbette et d’avoir présenté son concurrent comme représentant du parti clérical ; une polémique s’installe également concernant son engagement contre la réélection du député d’extrême gauche, le mathématicien Charles-Ange Laisant, à Nantes en août 1881, alors même que ce dernier l’aurait soutenu deux ans plus tôt pour la création de l’observatoire météorologique. La controverse publique retombe et en 1883, le recteur exprime sa satisfaction de voir Larocque « renoncer à toute fonction politique ».
À partir de 1881, les rapports d’inspection mentionnent régulièrement leur insatisfaction concernant les résultats obtenus par les élèves de la classe de mathématiques spéciales aux concours. On reproche à Larocque sa trop grande dispersion, son cumul de fonctions, son manque de zèle ou encore le retard pris dans le programme d’enseignement. À cela s’ajoute une santé fragile qui l’oblige à solliciter de fréquents congés. En 1890, sa situation est devenue embarrassante pour les autorités académiques : l’ensemble des fonctions cumulées par Larocque lui assure un revenu annuel de 10 600 francs, ce qui constitue une somme très importante pour l’époque. Sa classe n’a envoyé aucun élève à l’École polytechnique et, bien que le manque de succès ne soit pas totalement lié à l’insuffisance de Larocque, le recteur estime que la situation perdurera tant qu’il restera à ce poste. En 1891, un rapport d’inspection est encore plus explicite : « M. Larocque occupe à Nantes une situation particulièrement honorable et lucrative. Il l’a conquise par de longs et utiles services qu’il est juste de ne pas oublier. Malheureusement, avec les années, le zèle s’est ralenti et la routine a éteint ou, tout au moins, ralenti l’ardeur et l’activité du début. Comme professeur de spéciales, dans une chaire où le succès n’est qu’au prix d’efforts sans cesse renouvelés, M. Larocque s’est laissé distancer par des collègues plus jeunes, plus au courant des nécessités des concours et des progrès de la science. J’ai peur que, dans ces conditions, notre préparation à l’École polytechnique ne donne que rarement des résultats ».
Une solution au problème est trouvée l’année suivante. En février 1892, Larocque quitte ses fonctions d’enseignant et devient inspecteur d’académie de quatrième classe en résidence à Nantes. Ce faisant, il démissionne de la direction de l’École supérieure des sciences et des lettres, mais il conserve la fonction de directeur de l’observatoire météorologique. À partir de cette nomination, sa carrière prend un tour nouveau : ses supérieurs louent la qualité de son travail, son dévouement professionnel, sa capacité à entretenir de bonnes relations avec ses anciens collègues, la municipalité ou le préfet.
Dès 1895, il est proposé régulièrement pour la Légion d’honneur, en raison de son engagement important dans la vie locale : création de la Commission météorologique de la Loire-Inférieure, organisation de la Société de géographie de Nantes, fondation de plusieurs bibliothèques populaires dans le département, participation aux activités de l’Association polytechnique, du comice agricole et de la Société d’horticulture de Nantes, etc. En mars 1900, le Cercle pédagogique de la Loire-Inférieure écrit même au ministre que les instituteurs de Nantes souhaitent voir leur chef bénéficier de cette distinction au moment de son départ en retraite, « légitime récompense d’une vie toute de dévouement à l’enseignement public et de dévouement aussi à la démocratie ». L’arrière-plan de cette mobilisation en sa faveur est, sans nul doute possible, la situation particulière du département de la Loire-Inférieure, dans lequel les instituteurs sont « entourés de populations réfractaires aux idées républicaines et obligés de lutter contre une organisation scolaire congréganiste des plus puissantes ».
Larocque prend sa retraite dans le courant de l’année 1900, mais il continue à s’occuper de l’observatoire météorologique. En décembre 1900, il est finalement nommé par décret chevalier de la Légion d’honneur. Il avait été promu officier de l’Instruction publique en 1885. Il était par ailleurs membre de l’Association française pour l’avancement des sciences.
Laurent Rollet
Sources d’archives
Archives nationales : dossier de carrière (F/17/21078) et dossier de Légion d’honneur (LH/1485/55).
Sources secondaires
Loosen Raoul (1911), « Nécrologie de Louis-Eugène Larocque », Annuaire de l’École normale supérieure, 49-54.
Lefrère Jean-Jacques & Goujon Jean-Paul (1994), Deux malchanceux de la littérature fin de siècle, Jean Larocque et Léon Genonceaux, Paris, Éditions du Lérot.
Lamandé Pierre (2002), « Les aspirations à un enseignement supérieur nantais », in Emptoz Gérard, Histoire de l’Université de Nantes (1460-1993), Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
Brasseur Roland (2013), « Larocque Louis Eugène », in Dictionnaire des professeurs de mathématiques en classes de mathématiques spéciales, en ligne, https :sites.google.com/site/rolandbrasseur/5---dictionnaire-des-professeurs-de-mathematiques-speciales.
Auvinet Jérôme (2013), Charles-Ange Laisant : Itinéraires et engagements d’un mathématicien de la Troisième République, Paris, Hermann.
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Photographie de Louis Eugène Larocque élève à l’École normale supérieure | Image |