Louis HACKSPILL
Louis HACKSPILL (1880-1963)
Chargé de cours de chimie industrielle
Louis Jean Henri Hackspill est né à Paris le 3 mai 1880. Il est fils et petit-fils d’officiers d’infanterie. Son père, Louis François Céleste Hackspill (1832-1919), originaire de Moselle, et sa mère, Marguerite Salomé Franck (1839-1925), Alsacienne et fille d’un ingénieur des mines de Saint-Étienne, se sont rencontrés en région parisienne en 1879, huit ans après l’annexion de l’Alsace et la Moselle par l’Allemagne. Il est élevé quasiment comme un fils unique, n’ayant du côté de sa mère qu’une demi-sœur de 21 ans son aînée. Il est de religion catholique, mais la branche maternelle de sa famille est protestante. Il épouse en 1927, à Paris, Marie-Thérèse Haizet, fille d’un notaire versaillais, avec qui il aura deux fils, Christian et Denis.
Il suit ses études secondaires au collège de Fontenay-le-Comte, où son père est affecté comme colonel, puis au lycée Hoche de Versailles, en classe de mathématiques élémentaires. Passionné de chimie dès le lycée, il assiste régulièrement aux expériences de Louis-Joseph Troost à la Sorbonne le jeudi après-midi. Diplômé en 1899 d’un baccalauréat moderne lettres-mathématiques, il entre au laboratoire de chimie pratique et industrielle de la Faculté des sciences de Paris à l’automne 1899. Dans cette structure, créée par Charles Friedel en 1896 et qui deviendra en 1901 Institut de chimie appliquée (ICA) sous l’impulsion d’Henri Moissan, il reçoit une formation à la paillasse tout en assistant aux cours de Moissan, Alfred Ditte, Albin Haller* et Paul Lebeau.
Titulaire d’un diplôme de chimiste de l’ICA en 1903, il est engagé comme préparateur au laboratoire de Moissan. Encouragé et guidé par Lebeau, bras droit de Moissan, il y réalise une thèse d’université, soutenue en 1907, où il présente un procédé de préparation du rubidium et du césium, également applicable au potassium dans une version ultérieure : Sur la réduction de quelques chlorures métalliques par le calcium et sur une nouvelle préparation du rubidium et du caesium. Parallèlement, il obtient en 1906 une licence ès sciences et le certificat d’essayeur du commerce de l’administration des monnaies et médailles. Recruté après la mort de Moissan comme préparateur au laboratoire du certificat de sciences physiques, chimiques et naturelles dirigé par Édouard Péchard, il rédige entre 1907 et 1912 une thèse d’état sur les métaux alcalins qui reprend et développe le procédé de sa thèse d’université afin de déterminer plusieurs de leurs propriétés physiques : Recherches sur les métaux alcalins.
Sa carrière universitaire d’enseignant débute véritablement à l’Institut chimique de Nancy en 1913, où il est chargé de cours en chimie industrielle. En août 1914, il est mobilisé comme lieutenant de réserve et placé à la tête d’une compagnie de mitrailleuses. Il accède plus tard au grade de capitaine. Son attitude au combat lui vaut une citation et la Croix de guerre. En juin 1915, il est affecté à l’Établissement central du matériel chimique de guerre pour la supervision d’ateliers de chargement d’obus jusqu’en novembre 1918, puis il est mis à disposition du ministère de la Reconstruction industrielle en janvier 1919 pour une mission de contrôle de l’usine allemande de la BASF d’Oppau, première unité de production d’ammoniac par le procédé Haber.
En novembre 1919, il est nommé à la chaire de chimie minérale de l’Université de Strasbourg redevenue française, et participe à la mise en place de l’Institut chimique de Strasbourg sous la direction de Paul Thiébaud Müller* qu’il remplace à cette fonction en 1929. Durant cette période, il est très actif au sein de la section de Strasbourg de la Société chimique de France. Désireux de se rapprocher de la vie universitaire parisienne, il est nommé en novembre 1932 maître de conférences au certificat de sciences physiques, chimiques et biologiques à la Sorbonne ; il y remplace Paul Pascal à la chaire de chimie minérale en 1939, prenant en même temps la direction de l’Institut de chimie de Paris où il succède à Georges Urbain.
Lieutenant-colonel de réserve, il est mobilisé à Haguenau (Bas-Rhin) le 24 août 1939 comme commandant d’armes puis démobilisé le 5 juillet 1940 à Riom (Puy-de-Dôme). Il revient alors à la direction de l’Institut de Chimie où il lutte contre les mesures d’exception frappant certains personnels. En 1944, il est élu à l’Académie des sciences, puis devient membre du Comité consultatif de l’enseignement supérieur en 1946. En 1948, il est maintenu dans ses fonctions de directeur de l’Institut chimique de Paris jusqu’en 1950 afin d’assurer la transition de l’institut en École nationale supérieure d’ingénieurs. En retraite en 1951 et professeur honoraire de la Faculté des sciences de Paris, il continue à mener des recherches au laboratoire de chimie minérale de la Sorbonne puis il est nommé président de la Commission de chimie minérale du CNRS en 1955. Il enseigne également pour la préparation au concours de recrutement des enseignants du second degré. Il meurt à Neully-sur-Seine dans la nuit du 7 au 8 octobre 1963.
Louis Hackspill cumule les honneurs et distinctions : vice-président de la Société chimique de France en 1938, président en 1946 puis président d’honneur en 1957, chevalier du mérite agricole (1928), chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire (1920), officier de la Légion d’honneur (1948) et membre d’honneur de la Société de chimie industrielle (1948). L’Académie des sciences le récompense du prix Cahours (1911), du prix Houzeau (1926) et du prix La Caze (1932) ainsi que de la médaille Berthelot à deux reprises (1911 et 1932).
L’ensemble de sa carrière est par ailleurs jalonné d’amitiés et de collaborations avec des savants étrangers, comme le chimiste suisse Georges Baume, passé au laboratoire de Philippe-Auguste Guye, à Genève, qui utilise en 1910 des techniques de verrerie similaires à celles du laboratoire de Moissan. Proche du physico-chimiste polonais Witold Broniewski, il devient en 1935, après Henry Le Chatelier, membre correspondant de l’Académie des sciences et techniques de Pologne. Dans les années 1920, il est ami avec le professeur Friedrich Fichter, de Bâle. Il est aussi en relation avec la chimiste norvégienne Ellen Gleditsch, rencontrée vraisemblablement dans les années 1910, alors qu’elle étudiait au laboratoire de Marie Curie.
Sa carrière nancéienne, de courte durée, lui permet d’abord d’enseigner la chimie industrielle. L’Institut chimique de Nancy est par ailleurs au début du siècle un modèle d’institut de chimie dans lequel il découvre une atmosphère fraternelle. Il y fait la connaissance d’Antoine Guntz* et de Paul Thiébaud Müller*. Guntz*, dont la démarche est proche de celle de Moissan, et qui travaille aussi sur les alcalins et les alcalino-terreux, est intéressé par les travaux d’Hackspill qu’il a découverts en 1909. Il soutient son affectation à Nancy en remplacement d’André Wahl*. Les deux hommes resteront en contact pendant la guerre. Müller*, qui occupe la première chaire de chimie physique en France, se lie également d’amitié avec Hackspill et le sensibilise à cette nouvelle discipline. Sur le plan de la recherche, Hackspill collabore avec Charles Staehling sur la préparation des métaux alcalins en remplaçant le calcium par le carbure de calcium.
Louis Hackspill est dreyfusard pendant ses années d’études et se réclame du gaullisme après la Seconde Guerre mondiale. Durant la Première Guerre mondiale, il n’est pas convaincu de son utilité à l’Établissement central du matériel chimique de guerre, considérant que les chimistes, comme toutes les catégories sociales, seraient plus utiles au front. Cependant, cette affectation a pour effet de le confronter à des problèmes d’ingénieur et marque le début d’une série d’expériences qui feront de lui un expert industriel. À la demande du Haut Commissaire de la République pour les territoires rhénans, il rédige après guerre des rapports sur les usines d’ammoniac d’Oppau et de Merseburg consultés lors des débats parlementaires sur la mise en place d’une industrie de l’ammoniac en France. Il les utilise ensuite pour écrire un ouvrage de chimie industrielle sur l’azote en 1922. Il est de nouveau sollicité en 1945 pour le contrôle technique d’usines allemandes et fait partie du conseil scientifique de l’IG-Farben en 1948.
Ses travaux sont variés et connaissent plusieurs réorientations, mais sont tous caractérisés par une grande dextérité expérimentale. Jusqu’en 1914, ils concernent principalement les métaux alcalins dont le procédé de préparation est basé sur la réduction de leurs chlorures par le calcium. Son bon rendement est permis par la volatilisation du métal qui se condense à l’état pur dans un tube de verre froid. Hackspill développe ensuite dans sa thèse d’État des montages en verre soudé destinés à manipuler, dans le vide, les métaux alcalins dans un grand état de pureté. Parallèlement, il tire profit de la fréquentation du laboratoire d’Henry Le Chatelier, successeur de Moissan, en s’initiant à sa méthodologie scientifique et à la métallurgie physique. À l’Établissement central du matériel chimique de guerre, ses travaux portent principalement sur la mise au point d’un procédé continu de préparation du chlorure d’étain, d’un procédé de séchage du chlore par le fer, d’études sur la corrosion par le brome et sur le phosgène.
À Strasbourg, ses recherches se diversifient par des collaborations avec l’industrie. Elles concernent principalement les alcalins, les alcalino-terreux, la production d’acide phosphorique, la préparation du bore cristallisé, mais aussi la corrosion dans des usines de dioxyde de carbone liquide ou la décarburation lors de la trempe des aciers. Il met également au point plusieurs montages d’analyse volumétrique et de suivi manométrique de transformations chimiques, basés sur la technique du verre soudé. Son domaine de prédilection est à ce moment celui des hautes températures, du vide et des déplacements permanents d’équilibre permettant d’augmenter les rendements de réaction en voie sèche. À Paris, à partir de 1932, ses travaux se situent plutôt en « chimie pure », dans un contexte caractéristique de cette période. Sans délaisser la métallurgie et quelques études industrielles, il aborde la décomposition des carbonates alcalins, l’étude des deutériures alcalins, puis des organo-césiques, à la frontière de la chimie organique. Les nouvelles possibilités liées à l’analyse cristallographique par rayons X l’orientent dans les années 1950, avec certains élèves comme Albert Hérold, vers des questions de chimie du solide.
Il publie essentiellement dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, le Bulletin de la Société chimique de France, un peu dans les Annales de chimie, mais aussi, durant la période strasbourgeoise, dans Chimie et Industrie, ce qui révèle son intérêt pour la chimie industrielle à ce moment. En complément de son ouvrage sur l’azote, il est d’ailleurs l’auteur d’une encyclopédie industrielle sur les métalloïdes en collaboration avec Paul Rémy-Genneté en 1926. Il rédige également un chapitre sur le rubidium et le césium dans le Traité de chimie minérale de Pascal en 1933 et en 1957, puis publie en 1958 son propre Traité de chimie minérale avec Albert Hérold et Jean Besson.
Laurent Le Meur
Bibliographie
Hackspill Louis (1907), Sur la réduction de quelques chlorures métalliques par le calcium et sur une nouvelle préparation du rubidium et du caesium, Thèse d’université de la Faculté des sciences de Paris, Paris, L. Maretheux.
Hackspill Louis (1912), Recherches sur les métaux alcalins, Thèse de doctorat ès sciences physiques de la Faculté des sciences de Paris, Paris, Gauthier-Villars.
Hackspill Louis (1938), Notice sur les titres et travaux scientifiques de Louis Hackspill, Paris, Paris, Masson et Cie.
On trouve une liste complète des publications et des thèses encadrées par Louis Hackspill dans la notice écrite par A. P. Rollet en 1964 (voir ci-dessous).
Sources d’archives
Archives nationales : dossiers de carrière (F/17/25435, AJ/16/5740 et AJ/16/6016).
Archives de l’Académie des sciences : dossier biographique de Louis Hackspill, Prix Cahours 1911, prix Houzeau 1926. Prix La Caze 1932.
Sources secondaires
Charle Christophe & Telkes Eva (1989), Les professeurs de la Faculté des sciences de Paris, dictionnaire biographique 1901-1939, Paris, Éditions du CNRS.
Champetier Georges (1963), « Notice nécrologique sur M. Louis Hackspill », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 257, 2770-2775.
Chrétien André (1964), « Louis Hackspill (1880-1963) », Revue de chimie minérale, 1, 329.
Duval Clément & Oesper Ralph E. (1950), « Louis Hackspill », Journal of Chemical Education, 29, 90-91.
Kirrmann Albert (1957), « Louis Hackspill (1946) », in Janot Maurice-Marie, Centenaire de la société chimique de France (1857-1957), Paris, Masson, 217-218.
Le Meur Laurent (2010), Quand la chimie industrielle croise la chimie minérale – Louis Hackspill (1880- 1963), Mémoire de Master d’Histoire des Sciences et des Techniques, Université de Nantes, Centre François Viète.
Lucas René (1966), « Notice sur la vie et l’œuvre de Louis Hackspill (1880-1963) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 8, 1-7.
Rollet A. P. (1964), « Notice sur le professeur Louis Hackspill », Bulletin de la Société chimique de France, 7, 1428-1437.
Viel Claude (2008), « Louis Hackspill (1880-1963) », in Lestel Laurence (Dir.), Itinéraire des chimistes, 1857-2007, 150 ans de chimie en France avec les présidents de la SFC, Paris, EDP Sciences, 239-243.
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