Camille GUTTON
Camille GUTTON (1872-1963)
Professeur de physique
Antoine Marie Camille Gutton est né le 30 août 1872 à Nancy, aîné de cinq enfants. Son père, Antoine Marie Georges est avocat et sa mère, Marie Virginie, la fille de Camille Forthomme*, le deuxième professeur de chimie à la Faculté des sciences de Nancy (de 1869 à 1884). En 1902, Gutton épouse à Bar-le-Duc Cécile Marie Françoise Goblet avec laquelle il a trois enfants, Georges (1904), Henri (1905) et Jeanne (1907). Georges sera lieutenant d’artillerie et disparaîtra à 32 ans en 1936. Henri exerce en 1928 la fonction de préparateur à la Faculté, puis se distingue en 1934 avec Maurice Ponte par des recherches initiées par son père sur les ondes décimétriques, à l’origine de l’invention du radar. Camille Gutton décède à Paris, le 19 août 1963, à l’âge de 91 ans.
Après des études secondaires au lycée de Nancy et son baccalauréat latin-grec, Camille Gutton est reçu à l’École normale supérieure en 1892. Il n’y entre qu’un an plus tard après avoir effectué son service militaire, et s’y lie d’amitié avec Jean Perrin et Paul Langevin. En 1896, il est reçu à l’agrégation de sciences physiques et, refusant un poste d’assistant à l’École normale supérieure, il revient à Nancy, au laboratoire de René Blondlot*, avec une bourse d’études. Il y prépare une thèse qu’il soutient brillamment en juin 1899, à la Sorbonne, devant un jury auquel participent Henri Poincaré et Gabriel Lippmann : Recherches sur le passage des ondes électriques d’un conducteur à un autre.
Il est alors nommé chef de travaux de physique à la Faculté des sciences de Nancy, d’abord en tant que délégué en 1899, puis en titre, quand il remplace Marcel Dufour* en juillet 1900. En octobre 1901, il est nommé maître de conférences à Clermont-Ferrand, mais il demande à conserver son poste à Nancy, avec l’appui d’Ernest Bichat*, en raison d’un travail engagé au laboratoire de Blondlot*. En février 1902, il devient maître de conférences de physique à Nancy, remplaçant François Perreau* nommé à Besançon. En 1905, avec Pol Marsal*, il assure les cours d’Ernest Bichat* pendant sa maladie, et en novembre 1905, il devient chargé de cours après le décès de celui-ci. Un an plus tard, il est élu à la chaire de Physique. Il doit en partie sa nomination à sa fidélité à Blondlot*, soutenu par les nancéiens face aux attaques que celui-ci a subies dans l’affaire des rayons N. Son adversaire Albert Turpain a contre lui ses attaques virulentes et justifiées contre les rayons N, et donc contre Blondlot*. En tant que professeur, sa première tâche est de s’occuper de la nouvelle implantation de la Faculté des sciences qui s’installe à côté de la porte de la Craffe. Il peut reprendre en 1909 ses recherches sur les ondes électromagnétiques, avant sa mobilisation en août 1914 au 20e bataillon territorial du génie.
Il participe d’abord à la mise en état du camp retranché de Toul où « il [fait] pendant plusieurs mois les métiers de bucheron et de terrassier ». Il est transféré, par un de ses élèves, devenu officier, au poste de radiotélégraphie de Toul où il apprend le morse. Il se distingue en inventant un appareil destiné à repérer les obus enterrés. En septembre 1915, le colonel Gustave Ferrié le fait venir à Paris à l’Établissement central du matériel de radiotélégraphie militaire pour étudier les applications de la lampe triode. Il conçoit alors des postes émetteurs et récepteurs pour les transmissions terrestres et aériennes. Jusqu’alors caporal, il doit passer l’examen pour devenir sous-lieutenant, grade qu’il sur lequel il est nommé en novembre 1917. Il participe directement aux expériences de radio à bord des avions et ses postes sont adoptés par les armées alliées, anglaises et américaines.
Démobilisé en 1918, il reprend ses fonctions de professeur à Nancy. Grâce à toute l’expérience acquise pendant la guerre, son laboratoire devient un centre reconnu dans l’étude des ondes hertziennes. Il enseigne aussi à Paris à l’École nationale d’aéronautique et dans les écoles supérieures des PTT et d’électricité où Ferrié a créé une section de radio.
En 1930, appelé par Ferrié, il quitte Nancy, en congé sans traitement, pour prendre la direction du Laboratoire national de radioélectricité au ministère de la Guerre. Il y est nommé le 30 septembre, cessant alors de faire partie du cadre des professeurs des facultés. En 1931, cette structure est transférée au ministère des PTT. Gutton entreprend la construction du laboratoire à Bagneux, en organise les services et les recherches. Les locaux sont finalement occupés au début de 1938. Titularisé seulement le 13 mai 1938, il prend sa retraite la même année, atteint par la limite d’âge. Il essaye en vain de se faire réintégrer en qualité de professeur de faculté de classe exceptionnelle, pour bénéficier des dispositions de limite d’âge de 70 ans, au lieu de 65 ans pour les cadres du ministère des PTT.
Le 10 juin 1944, on célèbre son jubilé scientifique. Pendant sa retraite, il continue à travailler et à suivre les progrès techniques et scientifiques en radioélectricité et électronique. Louis de Broglie, dans sa notice sur la vie de Gutton, rapporte que, peu de temps avant sa mort, il s’intéressait à l’invention des lasers.
À Nancy, il est membre de la Société industrielle de l’Est et il participe aux travaux de la Société des sciences, qu’il intègre en 1906 et qu’il préside en 1922. Il est lauréat du prix Henri Becquerel en 1918, du prix Kastner-Bourseault en 1922 tous deux attribués par l’Académie des sciences. Il y est élu correspondant de la section de physique en 1928, en remplacement d’Ernest Rutherford, puis membre libre en 1938. Il est également correspondant du Bureau des longitudes depuis 1933. De 1932 à 1935, il succède au général Ferrié à la présidence du CNFRS / URSI, le Comité national français de radioélectricité scientifique. Il est également chevalier (1917), puis commandeur de la Légion d’honneur en août 1938, dans le contingent spécial attribué à l’occasion du cinquantenaire de l’École supérieure des PTT. En 1932, il est nommé professeur honoraire de la Faculté des sciences de Nancy et, à son départ en retraite, il devient directeur honoraire du Laboratoire national de radioélectricité.
De 1896 à 1930, c’est donc plus de trente ans que Gutton a passés à Nancy, si on excepte la période de la guerre. De 1896 à 1902, il s’y consacre à la recherche, dans la préparation de son doctorat, puis en 1899 en tant que chef de travaux. Il est influencé par René Blondlot*, auquel il voue une reconnaissance indéfectible. Cette tutelle de Blondlot* cessera quand celui-ci prendra sa retraite ; le recteur note alors en 1910 : « Jusqu’à cette année, M. Gutton a surtout travaillé avec M. Blondlot, et sous sa direction. Libéré maintenant de cette sorte de suggestion intellectuelle, il s’efforce de devenir un maître à son tour. »
Il commence sa carrière d’enseignant en février 1902. Chargé de cours de physique industrielle à l’Institut électrotechnique, il se consacre alors davantage à la préparation de ses cours qu’à la recherche. L’orientation technique, imposée par la continuité des enseignements avec Perreau*, le marque professionnellement toute sa vie, lui donnant quasiment un statut d’ingénieur-docteur. Il est d’ailleurs membre d’honneur de l’Association des ingénieurs-docteurs de France.
Comme maître de conférences puis professeur de physique, il enseigne l’électricité, l’acoustique et l’optique. Il est également chargé d’un cours d’électrotechnique et d’un enseignement complémentaire de physique industrielle qu’il abandonne à Edmond Rothé* quand il devient professeur. Il participe en outre à la préparation à l’agrégation.
Outre la Physique et l’électrotechnique, il enseigne aussi, avec un succès souligné par le recteur, aux élèves de l’École normale primaire dans la préparation au professorat de l’enseignement technique.
Quand il reprend son poste après la guerre, son cours porte sur les oscillations électriques. Il donne également des cours à l’Institut métallurgique. Il est très apprécié, comme cela apparaît dans les observations particulières du doyen et du recteur, aussi bien dans ses recherches dont l’impact au niveau de la défense nationale est souligné, mais aussi comme professeur exerçant une influence heureuse sur ses élèves. En 1920, la demande de passage en deuxième classe n’a pas été exaucée, et le recteur regrette qu’elle ait été accordée à Alexandre Mauduit*, dont le rang était moins bon que celui de Gutton. Il passe cependant en deuxième classe en 1921, puis à la première en 1925.
Camille Gutton a conduit des recherches de grande qualité, remarquées dans la communauté scientifique, par leur extension aux applications, y compris dans l’industrie, et leur diffusion dans des ouvrages d’enseignement. Ces premières recherches se font sous l’impulsion de Blondlot* et portent sur les ondes électromagnétiques, le résonateur de Hertz et le rayonnement des antennes. Son habileté technique est soulignée, elle lui permet d’atteindre des précisions inégalées dans les mesures. Il est un correspondant d’Henri Poincaré et travaille notamment sur la transmission des ondes dans les milieux diélectriques comme la glace ou le bitume. Il participe ensuite avec Blondlot* à l’aventure des rayons N, durant laquelle il travaille à améliorer la sensibilité des mesures pour des sources de lumière peu intenses ; il introduit également la photographie dans les expériences sur les rayons N. Une fois les tumultes passés, après l’installation dans le nouvel Institut de la Porte de la Craffe, il reprend des recherches sur la détermination de très courts intervalles de temps, sur les vitesses de propagation de la lumière et des ondes électromagnétiques et sur la biréfringence électrique, jusqu’à ce que la guerre modifie profondément l’orientation de ses travaux.
Engagé dans l’équipe de Ferrié, il se consacre dès lors à la radioélectricité et à ses utilisations d’abord militaires puis civiles. Rompant avec les émetteurs à étincelles issus des travaux de Hertz, il met au point des systèmes à ondes entretenues, à l’aide de la triode. Ses inventions permettent les communications entre les avions et le sol puis entre avions.
Après la guerre, il continue dans la même veine en travaillant sur la radio, ondes longues et moyennes. Pour améliorer ces techniques, il oriente ses recherches vers l’utilisation d’ondes plus courtes, aux longueurs d’onde décimétriques. Son travail sur les décharges à haute fréquence dans les gaz ionisés permet de mesurer l’altitude des couches de la haute atmosphère ionisée par émission d’une impulsion du sol et sa réflexion sur la couche à observer. Ce principe a mis Gutton sur la voie de la découverte du radar, ce que son fils Henri et Maurice Ponte ont développé.
Étienne Bolmont
Bibliographie
Gutton a écrit près de 50 articles, la plupart aux Comptes rendus de l’Académie des sciences, ils concernent essentiellement les ondes électriques, la radioélectricité et la T.S.F. Il en est de même pour ses ouvrages de cours.
Gutton Camille (1897), « Sur la forme des lignes de force électrique dans le voisinage d’un résonateur de Hertz », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 125, 569.
___ (1898), « Sur le passage des ondes électromagnétiques d’un fil primaire à un fil secondaire qui lui est parallèle », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 127, 97.
___ (1898), « Sur le passage des ondes électriques d’un conducteur à un autre (Thèse de doctorat, 1899) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 126, 1092.
___ (1899), « Sur les écrans électromagnétiques », Archives des Sciences Physiques et Naturelles, 6, 48.
___ (1899), « Comparaison des vitesses de propagation des ondes électromagnétiques dans l’air et le long des fils », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 128, 1508.
___ (1900), « Sur la constante diélectrique et la dispersion de la glace pour les radiations électromagnétique », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 130, 1119.
___ (1900), « Vitesse de propagation des ondes électromagnétiques dans le bitume et le long des fils noyés dans le bitume », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 130, 894.
___ (1901), « Sur la propagation des oscillations hertziennes dans l’eau », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 132, 543.
___ (1904), « Influence de la couleur des sources lumineuses sur leur sensibilité aux rayons N », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 138, 1592.
___ (1904), « Action des oscillations hertziennes sur des sources de lumière peu intenses », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 138, 963.
___ (1904), « Sur l’action des champs magnétiques sur les substances phosphorescentes », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 138, 568.
___ (1904), « Sur l’effet magnétique des courants de convection », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 138, 352.
___ (1905), « Sur l’intensité des impressions photographiques produites par de faibles éclairements », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 140, 573.
___ (1906), « Expériences photographiques sur l’action des rayons N sur une étincelle électrique », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 142, 145.
___ (1911), « Sur la vitesse de la lumière dans les milieux dispersifs », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 152, 1089.
___ (1911), « Comparaison directe des vitesses de propagation de la lumière et des ondes électromagnétiques. », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 153, 1002.
___ (1912), « Sur le rayonnement des antennes », Lumière électrique, 19, 195.
___ (1913), « Détermination de la durée d’établissement de la biréfringence électrique », Journal de physique, 5, 445.
___ (1914), « Sur le pouvoir inducteur spécifique des liquides », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 158, 621.
___ (1918), « Notice sur les lampe valves à trois électrodes et leurs applications », Télégraphie Militaire publié dans la Revue Générale d’électricité : tome 5. 1919. p. 625.
___ (1919), « La télégraphie et la téléphonie sans fil par la lampe à 3 électrodes », Revue générale d’électricité, 6, 365.
___ (1919), « Oscillations de courtes longueurs d’onde (en coll. avec M. Touly) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 168, 271.
___ (1920), Génératrices de courants et moteurs électriques : introduction à l’étude de l’électrotechnique appliquée. Cours professé à l’Institut électrotechnique de Nancy, Dunod.
___ (1920), « Sur une balance d’induction destinée à la recherche des projectiles ou des corps métalliques enterrés », Bulletin officiel de la Direction des recherches scientifiques et industrielles et des inventions, 1, 293-298.
___ (1921), Télégraphie et téléphonie sans fils, Paris, A. Colin.
___ (1922), « Entretien simultané d’un circuit et de circuits harmoniques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 174, 141.
___ (1923), « Sur la décharge en haute fréquence dans les gaz raréfiés (en collaboration avec MM. Mihul et Ylostalö) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 176, 187.
___ (1924), « Mesure électrométrique des faibles différences de potentiel alternatives (en collaboration avec M. Laville) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 179, 392.
___ (1926), Radiotechnique générale, Paris, J.-B. Baillière et fils.
___ (1929), La lampe à trois électrodes, Paris, Presses universitaires de France.
___ (1930), « Sur la réflexion des ondes électromagnétiques (en collaboration avec M. Beauvais) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 191, 313.
___ (1930), « Sur les propriétés des gaz ionisés dans les champs de haute fréquence », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 190, 844.
___ (1930), « Transmission radiotéléphonique sur ondes de 17 cm. de longueur (en collaboration avec M. Pierret) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 191, 313.
___ (1931), « Sur les oscillateurs à ondes très courtes (en collaboration avec M. Beauvais) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 193, 759.
___ (1932), « Sur la décharge en haute fréquence (en collaboration avec M. Beauvais) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 194, 338.
___ (1933), « Propriétés diélectriques des gaz ionisés dans les champs de haute fréquence », L’Onde électrique, 61.
___ (1933), « Propagation des oscillations électriques le long d’un tube contenant un gaz ionisé (en collaboration avec Mle Chenot) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 196, 589.
___ (1934), « Sur la réflexion des ondes radiotélégraphiques dans la haute atmosphère (avec MM. Galle et Joigny) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 470.
___ (1934), Les lignes téléphoniques, Mémorial des Sciences Physiques, Gauthier-Villars.
___ (1935), « Sur la propagation des ondes radiotélégraphiques autour de la terre », Annuaire du Bureau de Longitudes, 357.
___ (1937), Leçons de Radioélectricité, Eyrolles.
___ (1939), « Mesures de rayonnement sur ondes courtes (avec M. Garbenay) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 208, 1954.
De Broglie Louis, Fabry Charles, et al. (1944), Jubilé scientifique de Camille Gutton (10 juin 1944), Paris, Gauthier-Villars.
Rothé Edmond & Gutton Camille (1910), Sur la radioactivité de l’eau du Parc Sainte-Marie, Nancy, Imprimerie de Berger Levrault.
Sources d’archives
Archives nationales : dossier de carrière (F/90/20470) et dossier de Légion d’honneur (LH/19800035/413/55238).
Archives de l’Académie des sciences : son dossier concerne son entrée à l’Académie, et différentes sources secondaires (notice nécrologique, jubilé de 1944, notice de Louis de Broglie).
Registre militaire de la Meurthe-et-Moselle, classe 1891, matricule 1099.
Sources secondaires
De Broglie Louis, Fabry Charles, et al. (1944), Jubilé scientifique de Camille Gutton (10 juin 1944), Paris, Gauthier-Villars.
De Broglie Louis (1965), Notice sur la vie et l’œuvre de Camille Gutton, Paris, Palais de l’Institut.
Gutton Camille (1934), Notice sur les travaux scientifiques de M. C. Gutton, Étienne Chiron. 39 p.
Walter Scott, Bolmont Étienne, et al. Ed. (2007), La correspondance d’Henri Poincaré, volume 2 : correspondance entre Henri Poincaré et des physiciens, chimistes et ingénieurs, Berlin, Birkhäuser, 172-182.
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Photographie de Camille Gutton dans son laboratoire de la Faculté des sciences de Nancy | Image | |
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