Claude GUICHARD

1861, 1924
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Claude
Guichard
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Mathématiques
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Texte
; par :
Étienne Bolmont

Claude GUICHARD (1861-1924)

Maître de conférences de mathématiques

Claude Guichard est né le 28 décembre 1861 à Azé en Saône-et-Loire. Son père y est vigneron et propriétaire terrien. En octobre 1886, à Malzéville, dans la banlieue de Nancy, il épouse Odile Arsène Joublot (1865-1898), elle aussi fille d’un propriétaire. Celle-ci meurt à 32 ans, en janvier 1898. Guichard ne reste pas longtemps veuf, il se remarie en février 1899 à Clermont-Ferrand avec Louise Eugénie Gomet, fille d’un forgeron. De cette union sont nées Alice Claudine Georgette en 1900 puis, en juillet 1901, deux jumelles, Suzanne Léontine et Yvonne Antonine, mais celles-ci décèdent deux mois plus tard. Guichard a deux autres filles, Claire Louise (1905-?) et Suzanne Henriette (1910-?), encore mineures au moment où il décède à Paris, le 6 mai 1924, à la suite d’une intervention chirurgicale.

Guichard a accompli sa scolarité primaire à Azé. En 1874, son père profite d’une année viticole favorable pour l’inscrire au lycée de Mâcon, en seconde année de l’enseignement spécial. Élève brillant, il reçoit une bourse du lycée qui lui permet de passer la première partie du baccalauréat en 1877. Il obtient une autre bourse au collège Sainte-Barbe à Paris en 1878. Il suit les cours du lycée Louis-Le-Grand où il obtient le premier prix du Concours général de mathématiques élémentaires et l’année suivante, en 1880, il est reçu à l’École normale supérieure. Il y suit les cours de Gaston Darboux, Jules Tannery et Charles Hermite. En 1883, à 22 ans, il est agrégé de mathématiques et, la même année, en novembre, il soutient sa thèse dans le domaine de l’analyse : Sur la théorie des points singuliers essentiels. Le jury (Jean Claude Bouquet, Paul Appell, Émile Picard et Henri Milne-Edwards) juge cette thèse comme « un travail des plus sérieux sur une question extrêmement difficile des hautes mathématiques ».

En octobre 1883, il entame sa carrière comme professeur de mathématiques à titre provisoire à l’École normale d’enseignement spécial de Cluny. Quatre mois plus tard, en février 1884, il entre dans l’enseignement supérieur en tant que maître de conférences de mathématiques à la Faculté des sciences de Nancy. Il est renouvelé sur son poste pour les deux années 1884-1885 et 1885-1886. Il ne termine pas cette dernière année universitaire, il doit quitter Nancy fin mars 1886 pour un poste équivalent à la Faculté des sciences de Rennes où il enseigne l’astronomie. Il y reste jusqu’en octobre 1888, date à laquelle il est nommé à Clermont-Ferrand. Il y est chargé d’un cours d’astronomie. En juillet 1890, il est chargé du cours de mécanique rationnelle et appliquée. En mars 1892, il est nommé professeur de mécanique rationnelle. Il passe à la 3e classe en janvier 1900 et à la 2e en janvier 1907. En juin 1910, il rejoint la Faculté des sciences de Paris, où il remplace Paul Painlevé, élu député, en tant que chargé d’un cours de mathématiques générales. Il échange son cours avec celui d’Élie Cartan*, alors maître de conférences de mécanique et de géométrie supérieure, pendant les années 1910-1911 et 1911-1912. En juillet 1912, il revient sur la chaire de Painlevé comme chargé de cours de mathématiques générales, puis en novembre, comme chargé du cours de mécanique rationnelle. En décembre 1913, il est finalement nommé professeur de mathématiques générales. En décembre 1918, il est nommé à sa demande professeur de géométrie supérieure. Il succède sur cette chaire à Gaston Darboux qui vient de mourir. Il passe à la 2e classe en janvier 1920, puis à la 1re en janvier 1923. Un an plus tard, après sa mort, c’est Cartan* qui le remplace.

Dans ses dernières années à Clermont-Ferrand, Guichard est apprécié, comme professeur et comme chercheur. « Il fait grand honneur à l’Université » selon le recteur. Il n’en a pas toujours été ainsi. À son arrivée à Nancy, on lui reconnaît des qualités, mais, derrière les notices individuelles, il apparaît que Guichard a été beaucoup mis en cause par ses étudiants et par suite, après enquête, par ses supérieurs comme le doyen Louis Grandeau* ou ses collègues comme Ernest Bichat*. En mars 1886, le directeur de l’enseignement supérieur confirme : « Ce jeune homme a malheureusement trompé nos prévisions. Son caractère ne s’est pas trouvé au niveau de son intelligence. Il n’a pas tardé à manifester des goûts et des habitudes au-dessous de sa situation : il a recherché des gens d’éducation inférieure, il a fréquenté des débits de bas étage, il s’est abandonné fréquemment à l’intempérance, il a négligé sa tenue jusqu’à ne plus changer de linge et enfin, comme conséquence naturelle, il a cessé de s’occuper de ses élèves, n’a plus préparé ses leçons et il lui est arrivé de substituer à la question du jour une simple lecture. » La conséquence en est un avertissement et une demande d’éloignement, ce que l’administration résout par une permutation entre Eugène Fabry* et Guichard, entre les facultés des sciences de Rennes et de Nancy. Il laisse cependant une bonne impression à Rennes où sa conduite est jugée irréprochable.

À Clermont-Ferrand, les premiers renseignements confidentiels le jugent peu constant dans ses relations avec ses supérieurs, et on souligne un manque de jugement. En juin 1890, le recteur Léopold Micé le juge rigide et têtu, refusant de changer de salle de cours malgré de nouveaux bâtiments de la faculté : « Mr Guichard est dans la vie pratique comme dans ce qu’il enseigne, l’homme de l’absolu. S’il ignore l’art de transiger, il connaît encore moins celui de feindre… » Les critiques disparaissent dès l’année suivante, et en 1893, le recteur souligne que Guichard a remplacé spontanément un de ses collègues en assurant son cours d’astronomie, donnant ainsi un exemple à suivre. Mais ses qualités d’enseignant et de savant sont ternies par une affaire privée en 1895 : « Sa conduite privée est déplorable et les théories de philosophie par trop pratique sur lesquelles il s’appuie pour justifier tous ses écarts ne le sont pas moins. » Ce sont ses relations extra-conjugales qui font scandale : il entretient une liaison avec une jeune fille de 19 ans. Le père de celle-ci se plaint auprès du recteur, l’épouse de Guichard demande le divorce. Le recteur voit dans cette histoire privée un motif de crainte : « Nos adversaires n’ont pas perdu cette occasion de décrier nos mœurs, étendant par passion à l’Université entière quelques défaillances privées ». À nouveau, quand on pousse Guichard à quitter son poste pour une autre faculté, il envisage Lyon où, « si son ardeur générique le fait encore dévier des joies légitimes, on s’en occupera moins que dans ce grand village qui s’appelle Clermont. » Le seul atout qui reste à Guichard est celui de la qualité de son enseignement et son dévouement envers ses élèves. Son épouse revient sur sa demande de divorce et Guichard reste sur son poste à Clermont. Il semble que cette affaire soit rapidement oubliée. En octobre 1889, le remplacement volontaire d’un professeur du lycée contribue à redorer son blason.

Mais Guichard fait encore parler de lui sur un autre registre, celui de la politique. Il est en effet bien engagé au parti socialiste. Il se présente aux élections municipales en mai 1900 dans la liste « dreyfusarde » qui obtient trois sièges au scrutin de ballotage. Très actif avec Jean Desbordes, professeur à l’École normale, il est l’objet d’articles de journaux (notamment dans l’Avenir du Puy-de-Dôme) qui relatent des incidents dans lesquels il est impliqué et qui viennent grossir son dossier au ministère. L’atmosphère est alors plutôt électrique et sa deuxième épouse est assaillie jusque dans leur maison. Guichard écrit dans La république socialiste dont il est le trésorier. En 1904, alors qu’il devient correspondant de l’Académie des sciences, il semble s’éloigner de ses fonctions administratives dans le journal, et, plus encore, se désolidariser de son ton général. Candidat aux élections municipales de 1904, en tête de la liste d’Union socialiste radicale et radicale-socialiste, il est pris à parti par plus à gauche que lui, les républicains-socialistes, révolutionnaires, qui l’accusent d’« être vendu à la Préfecture et au Gouvernement », pour le simple fait qu’il soit devenu correspondant de l’Académie, selon le Moniteur du Puy-de-Dôme. Il n’est pas élu, mais revient au conseil municipal en 1905 dans une liste modérée, après dissolution du conseil élu en 1904, où il soutient les intérêts de l’université. En 1906, le recteur affirme : « Il n’y a plus de réserve à faire ».

Guichard a été plusieurs fois primé par l’Académie des sciences. Pour son article sur la déformation des surfaces, il obtient une mention honorable au concours pour le Grand prix des sciences mathématiques en 1894. Il reçoit le prix Jérôme Ponti en 1898 pour ses premières recherches en analyse puis surtout pour celles qui concernent la géométrie infinitésimale : surfaces à courbure constante, théorie des congruences rectilignes et applications géométriques de la théorie des systèmes d’équations linéaires aux dérivées partielles.

À partir de 1897, il construit une théorie générale des réseaux et des congruences dans un espace à un nombre quelconque de dimensions.

Le prix Saintour lui est attribué en 1901 pour l’ensemble de ses travaux en géométrie, le prix Poncelet en 1906 pour le même motif.

En 1908, il partage le Grand prix des sciences mathématiques avec le mathématicien Luigi Bianchi de l’Université de Pise : ils ont répondu à la question de l’Académie « réaliser un progrès important dans l’étude de la déformation de la surface générale du second degré ». Si le mémoire de Bianchi « contient des résultats plus précis », celui de Guichard sur la déformation des quadriques présente « des propositions plus étendues et des méthodes nouvelles ».

En 1913, l’ensemble de son œuvre est reconnu par le prix d’Ormoy des sciences mathématiques et en 1924, à titre posthume, par le prix Vaillant. Il publie au début une dizaine d’articles dans les Annales de l’École normale supérieure, puis essentiellement aux Comptes rendus de l’Académie des sciences, avec plus de 110 articles. Il édite aussi quelques ouvrages scolaires.

Il est nommé correspondant de l’Institut dans la section de géométrie en 1904, où il remplace Rudolf Lipschitz. Placé en troisième ligne pour succéder à Henri Poincaré dans la section de géométrie en 1912, il est adjoint à la liste des candidats pour occuper la place laissée vacante suite à l’élection d’Émile Picard au poste de secrétaire perpétuel, à nouveau en troisième ligne pour succéder à Georges Humbert en 1921, puis à Camille Jordan en 1922.

Il est vice-président de la commission d’examen de l’École militaire de Saint-Cyr de 1906 à 1923, et à ce titre, il reçoit la Légion d’honneur, sur rapport du ministère de la Guerre. Il est membre de la Société mathématique de France et, en 1920, il devient membre associé de l’Académie royale de Belgique. « Claude Guichard fut un géomètre inventeur et puissant qui a honoré l’enseignement universitaire », affirme Guillaume Bigourdan dans son allocution à la séance publique de l’Académie des sciences du 22 décembre 1924.

Étienne Bolmont

Bibliographie

Guichard Claude (1883), Théorie des points singuliers essentiels, thèse soutenue à la Faculté des sciences de Paris, Gauthier-Villars.

___ (1889), « Sur les surfaces rapportées à leurs asymptotiques et sur les congruences rapportées à leurs développables », Annales de l’École normale supérieure, 6, 333-348.

___ (1891), « Sur les surfaces à courbure totale constante et sur certaines surfaces qui s’y rattachent », Annales de l’École normale supérieure, 7, 233-264.

___ (1897-1903), « Sur les systèmes orthogonaux et les systèmes cycliques », Annales de l’École normale supérieure, 14 (1897), 467-576 ; 15 (1898), 179-227 ; 20 (1903), 75-132 et 181-288.

___ (1904), « Sur un groupe de problèmes de géométrie », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 138.

___ (1905), Sur les systèmes triplement indéterminés et sur les systèmes triple-orthogonaux, Gauthier-Villars.

___ (1907), Compléments de géométrie, Vuibert et Nony.

___ (1913), Traité de mécanique à l’usage des élèves de mathématiques A et B et des candidats aux écoles, Vuibert.

___ (1923), Traité de géométrie, Vuibert.

___ (1928), Les courbes de l’espace à n dimensions, Paris, Gauthier-Villars.

___ (1935), Théorie des réseaux, Paris, Gauthier-Villars.

Sources d’archives

Archives nationales : dossier de carrière (F/17/26753) et dossier de Légion d’honneur (LH/1227/63).

Archives de l’Académie des sciences : son dossier à l’Académie des sciences contient quelques photographies.

Sources secondaires

Anonyme (1908), « Grand prix des sciences mathématiques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 147, 1104-1109.

Bigourdan Guillaume (1924), « Mémoires et communications », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 178, 1581.

Garnier René (1962), « Célébration du centenaire de la naissance de Claude Guichard », Notices et discours – Institut de France- Académie des sciences, 689-694.

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