Victor GRIGNARD

1871, 1935
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Victor
Grignard
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Chimie
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Texte
; par :
Josette Fournier

Victor GRIGNARD (1871-1935)

Professeur de chimie organique et prix Nobel de chimie (1912)

François Victor Grignard est l’une des figures scientifiques les plus marquantes de la Faculté des sciences de Nancy. C’est en effet à Nancy qu’il apprend le 13 novembre 1912 son élection au prix Nobel de chimie, prix qu’il partageait avec Paul Sabatier (1854-1941), professeur à Toulouse.

Grignard est né le 6 mai 1871 à Cherbourg. Sa mère, Joséphine Marie Rosalie Hébert, meurt à Cherbourg le 10 août 1881. Son père, Théophile, chef ouvrier voilier, finit sa carrière comme chef d’atelier à l’Arsenal de Cherbourg. Il se remarie et Victor Grignard est élevé avec tendresse par sa belle-mère. Le 22 août 1910, il épouse à Saint-Vaast-la-Hougue une amie d’adolescence, Augustine Marie Boulant. Veuve, elle est mère d’un garçon, Robert Paindestre, futur médecin, élevé par Grignard avec le fils unique du couple, Roger, né à Nancy en 1911. On doit à Roger une biographie de Grignard.

Grignard fréquente l’école communale de Cherbourg puis entre au collège en 1882. Il a comme jeune professeur de physique Paul Petit*, qu’il retrouvera comme professeur de la Faculté des sciences de Nancy.

Victor Grignard est admis en 1889 comme élève boursier à l’École normale spéciale de Cluny, destinée à former les professeurs de l’enseignement secondaire spécial. Il y contracte des amitiés fidèles avec François Bourion qui sera aussi professeur à Nancy à partir de 1920, ou Louis Meunier, professeur à Lyon, et Louis Rousset, chef de travaux à Lyon, qui poussera Grignard en 1894 à s’orienter vers la chimie.

L’École de Cluny ferme en 1891 et Grignard accomplit sa troisième année à la Faculté des sciences de Lyon. Ayant échoué à la licence de mathématiques, il effectue son service militaire 1892 ; il est affecté durant un an au 25e régiment d’infanterie. En 1894, il obtient finalement sa licence, mais, convaincu par Rousset, il accepte un emploi de préparateur adjoint de chimie générale. L’année suivante, il occupe le poste de préparateur nouvellement créé.

À Lyon, Grignard se forme auprès de Louis Bouveault*, jeune maître de conférences. À ses côtés, il occupe un poste de préparateur adjoint, avant de devenir pour 14 ans préparateur de Philippe Barbier (1848-1922). Rousset décède le 11 novembre 1898 et Grignard, admis à la licence de sciences physiques, lui succède. L’année suivante l’Institut de chimie de Lyon occupe de nouveaux locaux. C’est là que Grignard réalise les travaux qui lui vaudront l’attribution du prix Nobel.

Le 14 mai 1900, Henri Moissan présente à l’Académie des sciences la fameuse note de Grignard Sur quelques nouvelles combinaisons organométalliques du magnésium et leur application à des synthèses d’alcools et d’hydrocarbures. Elle retient immédiatement l’attention des chimistes organiciens et elle est suivie de nombreuses publications dont les auteurs ne font pas toujours référence à l’antériorité de Grignard.

En France, Moissan, Marcelin Berthelot et Charles Moureu l’encouragent à poursuivre ses recherches. Dès le 18 juillet 1901, il soutient sa thèse à la Faculté des sciences de Lyon devant un jury composé de Philippe Barbier, président, Georges Gouy et Léo Vignon. Dès 1901, l’Académie lui décerne une partie du prix Cahours et en 1902, un encouragement et la médaille Berthelot. Albin Haller*, professeur de chimie organique passé de Nancy à la Sorbonne, l’invite à donner une conférence dans son service. Grignard n’est toujours que chef de travaux à Lyon, délégué dans les fonctions de maître de conférences. En 1904, il décline une offre de poste en Équateur. En 1905, il est appelé à présider la section de chimie au congrès de l’Association Française pour l’avancement des sciences (AFAS) à Cherbourg. Il la présidera encore au Havre en 1914 et à Lyon en 1926.

Le 1er novembre 1905, il quitte Lyon pour Besançon, nommé maître de conférences de chimie appliquée, mais il revient à Lyon l’année suivante avec un poste de maître de conférences de chimie générale dans le service de Barbier.

L’Académie lui décerne alors le prix Jecker de l’Académie des sciences pour l’année 1906. En 1908, sa candidature à un poste de professeur à Toulouse échoue, mais il devient sur place professeur adjoint. En 1909, il échoue encore à Rennes. Le décès prématuré de Louis Bouveault*, le 6 septembre, a libéré un poste de maître de conférences à Paris, il est donné à Edmond Blaise* soutenu par Haller*. Haller* encourage alors Grignard à poser sa candidature à Nancy à la succession de Blaise*.

Il y est nommé chargé de cours de chimie organique en novembre 1909 et devient titulaire de la chaire de chimie organique le 31 juillet 1910. Il retrouve un collaborateur talentueux, Charles Courtot*, son ancien élève à Besançon qui deviendra professeur à Nancy. L’Institut chimique, fondé par Haller* offre un environnement chimique de qualité où Grignard trouve un laboratoire bien équipé.

À l’annonce du prix Nobel, les témoignages d’affection et d’estime affluent, ses amis le font nommer chevalier de la Légion d’honneur (5 décembre 1912). Au cours d’une cérémonie célébrant le prix Nobel à la Faculté des sciences de Nancy, le 8 février 1913, les insignes lui sont remis par Charles Adam, recteur de l’Université de Nancy, accompagnés d’un bronze d’art offert par la faculté des sciences, choisi par Grignard et d’une croix en brillants offerte par l’Association amicale des anciens élèves de l’Institut chimique de Nancy.

Le 16 novembre 1913, sur le rapport de Moureu, l’Académie des sciences l’élit membre correspondant « à l’unanimité » pour succéder à Sabatier promu membre non résidant. La Société chimique de France lui décerne sa médaille Lavoisier. Lors du congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences à Tunis il est fait Commandeur du Nicham Iftikar.

Le 3 juin 1914, le ministère de la Marine lui propose la direction du nouveau laboratoire des poudres. La déclaration de guerre suspend sa nomination. Le 2 août 1914, Grignard est mobilisé comme caporal, affecté au 77e régiment territorial à la garde des voies ferrovaires de la région de Cherbourg. Très vite il se retrouve en disponibilité provisoire de retour à Nancy. Il rejoint enfin le 25e régiment d’infanterie à Cherbourg le 6 mars 1915, affecté au laboratoire de chimie de la Marine. Le 10 juillet, il trouve enfin une place en accord avec ses compétences, à la Direction du matériel chimique de Guerre à Paris, grâce aux démarches d’Haller*, Moureu et Georges Urbain. Hébergé par Urbain à la Sorbonne, Grignard peut encore y jouir de locaux cédés par Victor Auger. Urbain met à sa disposition deux de ses collaborateurs : Édouard Urbain, son frère, jusqu’à la fin de l’année 1916, et Jacques Bardet. De plus Grignard obtient d’être rejoint par Georges Rivat de Lyon, suivi bientôt par Jean Gérard, futur fondateur de la Société de chimie industrielle ; son laboratoire s’augmente aussi de plusieurs chimistes grands blessés de guerre tels son élève Cyrille Toussaint, Didier Simon, ancien préparateur de Petit* à Nancy, reparti en 1917, Maurice Enginger, retourné chez Urbain en 1917, Pierre Crouzier, Pol Domange et le lieutenant Gaze en 1918. En 1917 avec l’arrivée des Américains le laboratoire accueille George Scatchard.

En 1917 et 1918, Grignard accomplit une longue mission aux États-Unis (Mission Tardieu, juin 1917 – février 1918). Il y rencontre des savants chimistes, mais aussi des militaires, des industriels, des économistes. Il s’ensuivra une correspondance assidue avec le professeur William Albert Noyes dans laquelle Grignard exprime ses idées sur les relations internationales, les responsabilités allemandes, la consolidation de la paix, l’organisation du travail scientifique et les charges administratives qui absorbent les chercheurs...

À l’exception de ces années de guerre, et par choix, toute la carrière de Grignard s’est déroulée en province. Démobilisé le 12 février 1919, Grignard rejoint Nancy. En novembre, remplacé à Nancy par Gustave Vavon, il accepte la succession de Barbier à Lyon, puis, en 1921 la Direction de l’École de chimie industrielle dans cette ville. En 1929 ses collègues l’élisent doyen de la Faculté des sciences de Lyon.

De 1912 à 1921, il participe à la Commission de nomenclature de chimie organique. En 1921 et 1925, il est membre de la Commission des sciences au Comité consultatif de l’enseignement public.

Il est fait officier de la Légion d’honneur en 1920 à titre militaire et commandeur en 1933. En 1921 il est élu membre d’honneur de la Société de chimie industrielle qui lui décerne sa médaille en vermeil en 1931. En 1923, il est fait membre d’honneur de la Société chimique. Le 7 juin 1926, il est élu membre non résidant de l’Académie des sciences. En 1922, il est membre du Conseil d’hygiène du Rhône et il reçoit la médaille d’or de l’hygiène publique en 1933. En 1934, il préside l’Académie des sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon. À ce titre, il prononce l’un des discours de clôture du Congrès des sociétés savantes réuni à Lyon en 1935, dans lequel il trace longuement un historique et un état de l’industrie chimique lyonnaise, terminant par un appel à l’État à fournir aux chercheurs des moyens de travail suffisants pour soutenir la compétition internationale.

À l’étranger il est membre de nombreuses sociétés scientifiques. Il est fait docteur honoris causa de l’Université de Louvain en 1927 et de l’Université libre de Bruxelles en 1930.

Sa mort survient le 12 décembre 1935, à la Clinique Saint-Charles de Lyon, d’un ulcère gastrique diagnostiqué tardivement. À ses obsèques, Georges Urbain et le mathématicien Émile Picard représentent l’Académie des sciences, André Job la Société chimique de France, Bourion et Courtot* la Faculté des sciences et les anciens élèves de l’Institut chimique de Nancy. Grignard était catholique non pratiquant d’après son fils bien que la presse confessionnelle déclarât le contraire.

Les travaux de Grignard s’inscrivent dans la succession de ceux de Barbier. Barbier lui-même s’était inspiré en 1898 des recherches d’Edward Frankland et James Alfred Wanklyn (1855-1861) sur les organozinciques étendues par Auguste Cahours à d’autres métaux, parmi lesquels figurait déjà le magnésium (1860). En 1898, Barbier veut utiliser les combinaisons organomagnésiennes comme réactifs afin de transformer des composés carbonylés en alcools. L’originalité de Barbier réside dans le choix du magnésium plus réactif que le zinc. Il réussit, en opérant dans l’éther anhydre, la synthèse du linalol, puis laisse le sujet à Grignard. Ce résultat intéressant démontre, écrit Grignard, que « l’emploi du magnésium permettait de pénétrer dans la série des méthylcétones, absolument fermée au zinc ».

L’originalité de Grignard est d’opérer en deux temps au lieu de faire réagir simultanément le métal, le dérivé halogéné et la cétone dans l’éther. Les combinaisons organomagnésiennes mixtes ou réactifs de Grignard lui permettent d’introduire le groupe R dans un grand nombre de fonctions organiques sans les avoir préalablement isolées.

Le 28 janvier 1910, Barbier publie une note dans le Bulletin de la Société chimique de France, sur les applications du magnésium en synthèse organique, qui trouble les amis de Grignard. Celui-ci doit faire une mise au point dans le même périodique, montrant en quoi sa méthode diffère de celle de Barbier. Dès 1907, avant l’attribution du prix Nobel, Armand Gautier justifiait la notoriété de Grignard : « Les trois méthodes au chlorure d’aluminium de Friedel et Crafts, au magnésium de Grignard et celle d’hydrogénation au nickel de MM. Sabatier et Senderens nous semblent être, de toutes les méthodes connues de synthèse ou de transformation des composés organiques, les plus générales et les plus puissantes ». À Nancy, entre 1910 et 1914, Grignard et Courtot* appliquent la synthèse magnésienne aux dérivés d’hydrocarbures cycliques (fluorène, indène, cyclopentadiène).

Henri Normant qui étend la réaction de Grignard en 1954 et 1964 reconnait devoir son orientation en synthèse organique à Victor Grignard auprès duquel, nommé professeur au lycée de Roanne en 1931, il allait chercher conseils et encouragements.

Les organomagnésiens mixtes ne sont pas les seuls travaux de Grignard. À Nancy avec Courtot* et Bellet, il s’intéresse à la synthèse des nitriles. Au laboratoire de la Sorbonne pendant la Grande Guerre, il doit « s’occuper du contrôle ultime des produits asphyxiants expédiés par les ennemis », il met notamment au point un procédé de détection et de dosage de l’ypérite adopté par l’armée.

En 1930, l’éditeur Georges Masson le sollicite pour entreprendre un grand Traité de chimie organique. Avec Paul Baud, secrétaire général du Traité, Grignard réunit une centaine de collaborateurs. Il voit paraître les tomes I et III et signe les bons à tirer des tomes II et IV. Après la mort de Grignard, Georges Dupont et René Locquin prennent la direction de l’ouvrage qui ne s’achève qu’en 1953 avec le 23e volume. Les registres de Grignard dans lesquels il s’imposait de consigner sa documentation avec des résumés des articles lus et les idées de nouvelles recherches qu’ils lui inspirent lui ont assuré une vaste culture chimique, prélude à son Traité. Nul ne sait où sont ces registres cités par Roger Grignard. Après sa mort, son fils Roger et son élève Jean Colonge rassemblent ses notes de cours dans un Précis de Chimie organique de Victor Grignard.

Cyrille Toussaint, collaborateur de Grignard pendant la Grande Guerre, le décrit comme un homme doux, bon et timide, mais professionnellement exigeant, peu communicatif mais sensible, entretenant des échanges cordiaux d’idées, de matériels ou de bibliographies avec les autres laboratoires de la capitale. Fidèle à ses collègues, Grignard se souvient par exemple de la générosité d’Urbain quand il le propose pendant plusieurs années pour le prix Nobel à cause de ses travaux sur les terres rares. Si, dans les années 30, Jean-Albert Gautier, l’un des collaborateurs du Traité de chimie organique, se souvient d’une « élocution saccadée et difficile à suivre », Léon Velluz (1904-1981), étudiant à Lyon dans les années 1920, garde pour les talents d’enseignant de Victor Grignard une franche admiration : « Il remplissait, dit-il, tous nos horizons ».

Josette Fournier

Bibliographie

La Notice sur les titres et travaux Scientifiques de M. V. Grignard (1926) contient la liste de ses 124 publications dans les Comptes rendus de l’Académie des sciences, le Bulletin de la Société chimique de Paris puis Bulletin de la Société chimique de France, les Annales de chimie et de physique puis Annales de chimie, aux Congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences et dans divers autres périodiques. En 1926 il avait dirigé 11 thèses, 6 étaient en préparation.

Grignard Victor (1901), Sur les combinaisons organomagnésiennes mixtes et leur application a des synthèses d’acides, d’alcools et d’hydrocarbures, thèse de doctorat, Lyon, Rey.

___ (1901), « Sur quelques nouvelles combinaisons organométalliques du magnésium et leur application à des synthèses d’alcools et d’hydrocarbures », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 130, 1322.

___ (1912), Conférence Nobel faite à Stockholm le 11 décembre 1912 devant l’Académie des sciences de Suède.

Grignard Victor Ed. (1935-1953), Traité de chimie organique, en 23 volumes, Paris, Masson.

Grignard Victor, Colonge J. & Grignard Roger Ed. (1937), Précis de chimie organique, Paris, Masson.

Sources d’archives

Archives de l’Académie des sciences.

Archives nationales : dossier de carrière (F/17/26752) et dossier de Légion d’honneur (non consultable en ligne).

Registre militaire de la Manche, classe 1891, matricule 649.

Sources secondaires

Bruylants A. (1971), « Hommage à Victor Grignard », Bull. Cl. Sc. Ac. Roy. Belg., 57, 629.

Collectif (1950), Bulletin de la Société chimique de France, n° spécial.

Collectif (1950), Annales de l’Université de Lyon, Journée Victor Grignard 13 mai 1950.

Collectif (1972), Bulletin de la Société chimique de France, Hommage à Victor Grignard, n° spécial.

Collectif (2000), Journées Victor Grignard, 23-24 novembre 2000, ESCPE de Lyon.

Collectif (2004-2005), Journée « Victor Grignard et le Traité de chimie organique », 19 juin 2003, L’actualité chimique, 275, 35, 37, 2004 ; 279, 51, 2004 ; 282, 42, 2005 ; 283, 47, 2005 ; 284, 42, 44, 2005.

Gautier J.-A. (1971), « Victor Grignard et ses magnésiens : un triomphe assorti de péripéties », Revue d’histoire de l’artillerie, 261, 521.

Néel J. (1971), Allocution prononcée au cours de l’Assemblée annuelle des anciens élèves de l’E.N.S.I.C. de Nancy, 8 mai 1971.

Grignard René Ed. (1972), Centenaire de la naissance de Victor Grignard 1871-1971, Lyon, Audin.

Bruylants A. (1976), « Un anniversaire : la thèse de doctorat de Victor Grignard et la découverte des organo-magnésiens mixtes », Bull. Cl. Sc. Ac. Roy. Belg., 62, 531.

Rivail Jean-Louis (2012), « 1912 : Victor Grignard, professeur à la Faculté des sciences de Nancy, reçoit le Prix Nobel de chimie », Le pays lorrain, 3.

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