Eugène DARMOIS
Eugène DARMOIS (1884-1958)
Professeur de physique
Émile Eugène Darmois est né à Éply en Meurthe-et-Moselle en avril 1884. Il est issu d’une famille modeste, son père Charles est tailleur puis cafetier à Toul, sa mère Virginie Dardar couturière. « Le père n’était pas un modèle de tempérance, il est mort d’ailleurs, et la mère par contre est fort bien » écrit le recteur Charles Adam en 1914. Son frère Georges, de quatre ans son cadet, aura lui aussi une carrière scientifique de premier plan. Eugène Darmois s’est marié trois fois. Il épouse à Paris Marie Olga Durieux en avril 1913. De cette union naissent deux fils, Georges (1909- ?) et Robert (1913- ?). Il se remarie en mai 1932 avec Jeanne Marguerite Houzelle qui lui donne deux enfants, Jean Eugène (1932- ?) et Françoise Évelyne Louise (1935- ?). Il divorce en juin 1953, alors qu’il a déjà trois enfants avec sa future troisième épouse âgée de 31 ans, Geneviève Sutra, qui travaille dans son laboratoire : Marie-Noëlle (1945- ?), Gilles (1948- ?) et Emmanuel (1953- ?). Le couple se marie en octobre 1953 et a ensuite un dernier fils, Hugues (1955- ?). Eugène Darmois prend sa retraite en octobre 1957, mais, gravement malade, il décède une année plus tard en novembre 1958, après une opération chirurgicale.
Eugène Darmois fait sa scolarité primaire à Éply, puis va au collège de Toul de 1896 à 1901. Orienté par son professeur de mathématiques, il entre en classe de mathématiques spéciales au lycée de Nancy avec une bourse d’internat obtenue grâce à un accessit au Concours général. Admissible en 1902 à l’École normale supérieure, il y est reçu en 1903 ainsi qu’à l’École polytechnique. Il entre à l’École normale en 1904, après son service militaire au 37e régiment d’infanterie de Nancy. Il suit les cours de Paul Painlevé en mécanique rationnelle, ainsi que ceux d’Henri Abraham qui l’orientent vers la physique. Après sa licence, il est reçu en 1907 à l’agrégation de physique au 3e rang. Il commence alors une thèse sous la direction d’Aimé Cotton : Recherches sur la polarisation rotatoire naturelle et la polarisation rotatoire magnétique. Edmond Bouty préside et Albin Haller* complète le jury qui lui accorde la mention très honorable en décembre 1910. Pendant ces trois années de préparation, il bénéficie d’un poste d’agrégé préparateur à l’École normale. Sur recommandation de Bouty, il est alors nommé maître de conférences à la Faculté des sciences de Rennes. Il ne s’y plaît pas et demande un congé d’inactivité d’un an qu’il va prolonger jusqu’en 1914. Pendant ce temps, il est engagé comme ingénieur, chef de fabrication à la société Westinghouse, à l’usine Cooper-Hewitt où il travaille avec Maurice Leblanc à la fabrication de lampes et de convertisseurs à vapeur de mercure.
Le 1er novembre 1914 Darmois est nommé maître de conférences de physique à la Faculté des sciences de Nancy. Il y remplace Georges Reboul* parti à Poitiers. Cette nomination n’a cependant qu’une valeur administrative et demeure virtuelle.
Darmois a en effet été mobilisé dès les premiers jours de la Première Guerre mondiale. Il passe 32 mois au front. Blessé, il reçoit une citation. En 1916 il a le grade de sous-lieutenant et il est nommé lieutenant en 1918. Jusqu’à sa démobilisation en 1917, il est affecté au Laboratoire de chimie de guerre dirigé par Louis Jacques Simon à l’École normale supérieure. Il y conduit des recherches sur le cracking des pétroles, la réfraction des carbures et il met au point un procédé d’antigel des moteurs d’automobiles et d’avions.
Démobilisé en mars 1919, il retourne à son poste et en février 1920, il remplace Edmond Rothé* à la chaire de physique. En novembre 1926, il redevient maître de conférences, mais à Paris, puis professeur sans chaire en avril 1927 sur le poste de Georges Sagnac. Il bénéficie alors d’une indemnité compensatrice jusqu’en 1934, quand il est promu à la première classe. En novembre 1937, il devient professeur titulaire de physique et succède à Charles Fabry. Directeur du laboratoire d’enseignement de la physique, il est aussi chargé d’un cours complémentaire à l’École normale supérieure. À la fin de la guerre, il est suspendu de ses fonctions en septembre 1944, en même temps que Louis de Broglie, Louis Dunoyer et Gaston Julia. On lui reproche d’avoir refusé de s’associer au vote de protestation émis par le conseil de la faculté sur les mesures concernant les professeurs israélites – il ne manquait que sa voix –. Il est aussi accusé d’avoir pris la direction du Journal de physique en profitant de l’exil de Paul Langevin, et d’avoir obligé de façon brutale son fils Jean Langevin à démissionner de son poste de rédacteur du journal, se montrant ainsi hostile aux idées politiques de Paul Langevin. On lui reproche enfin d’avoir adapté une brochure technique allemande, dont la traduction a servi de prospectus à l’Exposition de la France européenne et d’avoir participé à des expertises techniques pour le compte du Comité des industries techniques alors sous contrôle des autorités allemandes. Il est cependant rétabli en novembre de la même année, avec un blâme du ministre René Capitant pour son attitude envers Jean Langevin et son adaptation de la brochure technique, mais on considère qu’il n’a pas eu de sentiments proallemands, ni intention de collaborer, qu’il a employé des juifs dans son laboratoire, publié leurs articles dans le Journal de physique et couvert son maître de conférences, membre actif de la résistance. Il est soutenu par ses collègues comme Jean Villey et Yves Rocard, et son assistant Yves Doucet. Il finit sa carrière en 1957 à la classe exceptionnelle obtenue en 1953.
Il devient chevalier de la Légion d’honneur en 1923 au titre du ministère du Travail pour son activité professionnelle, introduit alors par Camille Gutton*, puis officier en novembre 1949, introduit cette fois par son frère Georges. L’Académie des sciences le distingue en novembre 1951 en l’élisant au fauteuil d’Aimé Cotton, dans la section de Physique, devançant Francis Perrin et Irène Joliot-Curie. Ses collègues organisent à cette occasion une cérémonie afin de lui offrir son épée d’académicien, le comité d’honneur présidé par Jean Becquerel avant son décès, comprend notamment Louis de Broglie, François Croze*, Georges Darmois, Pierre Donzelot, Camille Gutton*, René de Mallemann et Alexandre Mauduit*. Darmois participe activement à la vie de plusieurs sociétés savantes : il est président de la Société chimique de France en 1934-1935, président de la Société française des électriciens en 1940-1941 et membre de la Société Philomathique de Paris à partir de 1923. Il est secrétaire général de la Société française de physique de 1931 à 1944 ; son rôle y est ambigu pendant la guerre au moment où la Société se comporte comme un bastion vichyste, mais malgré cela, il en devient président en 1950.
En tant que professeur, il a toujours été très apprécié. À Nancy, il enseigne la Physique et l’électrotechnique générale et est chargé d’un cours à l’École Supérieure d’électricité. Il met surtout en place un centre de recherche actif, s’attachant à former des chercheurs avec lesquels il publie souvent et qui, pour nombre d’entre eux, lui devront une carrière dans la recherche. Il collabore fructueusement avec ses collègues Croze* et Gutton* et il contribue à la création d’une section locale de la Société française de physique.
Il rédige de nombreux comptes rendus d’articles parus dans des revues étrangères pour le compte du Journal de physique et du Bulletin de la Société chimique. Il permet ainsi la diffusion de questions modernes encore peu étudiées en France et modernise le travail de son laboratoire. Il voyage beaucoup pour donner des conférences en Europe et en Amérique. Ces conférences lui fourniront la matière de plusieurs ouvrages pédagogiques, notamment sur l’état liquide et sur l’électron. Ses recherches s’accompagnent d’un grand nombre de publications dont presque une centaine aux Comptes rendus de l’Académie des sciences ; un tiers environ sont écrites avec ses collaborateurs. De façon générale, en dehors de la période de la guerre, son travail se situe dans le domaine de la chimie physique.
Sa thèse porte sur la polarisation rotatoire liée à la polarisation magnétique et à la polarisation naturelle. Il montre l’inexactitude de la règle de Gustav Wiedemann sur la dispersion des deux rotations et propose une représentation graphique, le diagramme de Darmois, qui permet de conclure à la présence de deux corps actifs dans un mélange et de les doser. Il continue à travailler sur ce sujet jusqu’à son entrée à Westinghouse en 1911.
Après la guerre, il revient à l’étude de la polarisation rotatoire, en s’intéressant aux anomalies découvertes avec les acides tartriques et maliques, il donne une explication aux observations apportées par René de Mallemann, alors son chef de travaux (qui remplacera Croze* en tant que maître de conférences en 1927, puis Gutton* en tant que professeur en 1932). Darmois y souligne l’intérêt de la polarimétrie dans l’analyse physicochimique de ces corps. Il reçoit le prix Kastner-Bourseault en 1925 pour ces travaux. À partir de 1920, et surtout après son arrivée à Paris en 1926, il approfondit sa connaissance des théories des électrolytes en particulier en étudiant l’absorption des ultraviolets. Il réalise des procédés de mesure de la constante diélectrique des électrolytes et utilise ses dispositifs pour les solutions non conductrices, pour la mesure des moments polaires et pour des études de cristaux. Il découvre la structure de certains complexes qui s’organisent autour des anions, les complexes de Darmois, par exemple dans la liqueur de Fehling. En 1932, il reçoit le prix La Caze de physique. Sa dernière épouse, Geneviève, dont il a dirigé la thèse, d’abord assistante à son Laboratoire d’enseignement de la physique, est affectée auprès de lui comme chef de travaux en juillet 1954.
Étienne Bolmont
Bibliographie
Darmois Eugène (1911), « Recherches sur la polarisation rotatoire naturelle et la polarisation rotatoire magnétique », Annales de chimie et de physique, 247-281, 495-590.
___ (1923), L’éclairage. Solutions modernes des problèmes d’éclairage industriel, Gauthier-Villars.
___ (1926), « Effet de sel et pouvoir rotatoire », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1211.
___ (1931), Leçons sur la thermodynamique générale, École nationale supérieure de l’aéronautique et de l’espace.
___ (1934), Un nouveau corps simple, le deutérium ou hydrogène lourd, Jouve.
___ (1943), L’état liquide de la matière, Paris, A. Michel.
___ (1945), « Mobilité et hydratation des ions ; viscosité des solutions salines », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 290-292.
___ (1946), Cours d’électricité, Tournier.
___ (1947), Thermodynamique et rayonnements, Société d’édition d’enseignement supérieur.
___ (1947), L’électron : électrons libres et électrons liés. Microscope électronique. Théorie électronique des métaux. Production de la lumière. Propriétés magnétiques et électriques de la matière, Paris, Presses universitaires de France.
___ (1948), « Sur les mesures de la constante diélectrique des solutions électrolytiques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1192.
___ (1948), « Sur le passage de l’hydrogène à travers le fer », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 177-179.
___ (1949), Thermodynamique statistique, Tournier.
___ (1953), Électricité, Société d’édition d’enseignement supérieur.
Darmois Eugène & Darmois Geneviève (1946), « Sur la nature de l’ion hydrogène dans les solutions électrolytiques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1286.
___ (1954), « Quelques remarques sur les courbes électrocapillaires », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 971.
___ (1955), « Sur le facteur de transfert dans la théorie de la surtension d’hydrogène », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 916.
Sources d’archives
Archives nationales : dossier de carrière (F/17/26856) ainsi que deux dossiers complémentaires (AJ/16/5737 et AJ/16/5946). Le dernier contient les discours prononcés à la remise de son épée d’académicien en 1954. Voir également son dossier de Légion d’Honneur (LH/19800035/139/17629).
Archives de l’Académie des sciences : les documents concernent sa candidature à l’Académie en 1934 (A. Cotton) puis sa nomination (G. Ribaud) en 1953, la notice sur ses travaux scientifiques qu’il écrit en 1946 et une notice de ses travaux extraite du Journal de Physique en 1959 (Jacques Duclaux). Pour finir, on y trouve la notice nécrologique écrite par G. Ribaud.
Sources secondaires
Ribaud G. (1958), « Notice nécrologique sur Eugène Darmois », Comptes rendus de l’Académie des sciences (247).
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Photographie d'Eugène Darmois | Image |