Jules CHAUTARD

1826, 1901
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Jules
Chautard
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Physique
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Texte
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Étienne Bolmont

Jules CHAUTARD (1826-1901)

Professeur de physique et doyen

Jules Marie Augustin Chautard est né à Vendôme le 26 septembre 1826. Il est l’aîné d’une famille bourgeoise de cinq enfants, bien implantée à Vendôme, dont le père, Charles François, est pharmacien. Jules Chautard se marie deux fois : sa première femme, Marie-Jeanne Piedor, meurt en donnant naissance à un fils, Paul, (1854-1864) ; il se remarie à Nancy en 1857 avec Alix Robillard, qui lui donne quatre enfants : Joseph Marie Jules (1858-1909), futur jésuite, les jumelles Marie Zoé Bathilde (1859-1889) et Louise Marie Lucie (1859-1896), et Léon Camille Marie, (1861-1937). Jules Chautard décède le 17 février 1901 à Croissanville dans le Calvados où il vit depuis sa retraite, prise en 1889.

Chautard est catholique pratiquant et militant de la cause religieuse. Cet engagement apparaît de façon bien marquée quand il quitte Nancy en 1876 pour l’Université catholique de Lille, où on souligne « cette détermination qui est un acte de dévouement envers l’Église, dont le mérite vous sera compté devant Dieu ». À Lille, il sera membre, comme la plupart de ses collègues, de la Société scientifique de Bruxelles, dont les statuts expriment clairement l’engagement dans la défense de la religion catholique. Le Saint-Siège l’élèvera au grade de commandeur de l’ordre de Saint Grégoire le Grand.

Jules Chautard fait ses études secondaires à Vendôme, où il devient bachelier ès sciences. Il est ensuite licencié ès sciences mathématiques et ès sciences physiques à la Faculté des sciences de Paris. Après sa licence, il passe une année à l’École de pharmacie de Paris comme préparateur du cours de physique ; il est ensuite interne des hôpitaux de Paris à la pharmacie centrale des hôpitaux (il avait été reçu 5e sur 26 au concours de 1847). Il passe son doctorat ès sciences physiques le 23 août 1852 à Paris. Sa thèse de physique s’intitule Essais de polarisation circulaire, et sa thèse secondaire de chimie s’intitule Études sur l’essence de térébenthine.

En 1849, il obtient son premier poste au lycée de Vendôme, chargé de la suppléance de la classe de mathématiques élémentaires. En 1852, il enseigne les mathématiques accessoires en quatrième et dans la classe de philosophie ainsi que les mathématiques élémentaires en première année. Après sa thèse, en septembre 1852, il est nommé à la chaire de physique du lycée, grâce à l’appui entre autres de Jean-Baptiste Dumas dont il a été l’élève.

En janvier 1855, il est sollicité pour être chargé de la chaire de physique de la Faculté des sciences de Nancy, après le départ de Jean-Marie Seguin*, premier titulaire du poste, pour la Faculté des sciences de Grenoble. Il est d’abord chargé de cours de physique, il n’a que 28 ans et ne peut encore être titularisé vu son âge. Jules Chautard met en place à ce moment les conditions nécessaires d’un enseignement de la physique à Nancy. Après un concours où il l’emporte sur un professeur du lycée de Colmar, il est nommé définitivement à la chaire de physique en janvier 1858. En novembre 1873, il devient doyen, succédant à Xavier Bach*. Il est alors en concurrence avec le mathématicien Nicolas Renard*, qui prendra sa place en 1876.

En septembre 1876, il démissionne de son poste pour devenir professeur de physique et doyen de la Faculté catholique de Lille. Cette faculté vient alors d’être créée à la suite du vote de la loi Dupanloup sur la liberté de l’enseignement supérieur. Contacté dès juin 1876 par les émissaires de Lille, il se décide fin août. Il démissionne de ses fonctions à Nancy le 4 septembre 1876 et signe un contrat extrêmement avantageux le lendemain. Il prend ses fonctions à Lille dans la foulée et participe à la mise en place de la nouvelle faculté des sciences en réitérant ce qu’il a déjà fait à Nancy vingt ans plus tôt (aménagement des locaux, commandes du matériel, organisation des enseignements).

Si les premières années se passent sans problème, son déroulement de carrière devient chaotique à partir de 1886. On lui reproche son manque d’assiduité, une usure intellectuelle et physique, une connaissance insuffisante de l’avancement actuel des sciences. Ses relations avec ses supérieurs sont conflictuelles. Il veut se montrer un défenseur de l’enseignement des sciences et s’oppose fréquemment aux choix de sa hiérarchie. Ses supérieurs lui demandent de démissionner en juillet, allant jusqu’à supprimer sa chaire, mais ce coup de force ne déstabilise pas Chautard qui se défend bec et ongles, en s’appuyant notamment sur son contrat. Il est réintégré en juin 1887, mais, cependant, il démissionne finalement en 1888.

Jules Chautard se trouve bloqué à Vendôme pendant la guerre de 1870. Il s’y distingue en organisant un service d’ambulances et il est affecté par le préfet au service hygiénique de la Ville.

À Nancy, son action essentielle concerne la mise en place d’un enseignement de la physique. Jusqu’en 1870, il maintient un bon niveau d’enseignement si l’on se réfère aux fiches de renseignements annuelles, dans les limites du programme. Ses connaissances scientifiques sont appréciées, la qualité des expériences présentées est souvent soulignée. S’il s’exprime de façon aisée, on lui reproche cependant une élocution manquant de mordant et de chaleur. Cela traduit son caractère « empreint de raideur ». À partir de 1871, les rapports sont beaucoup plus critiques. On note une fermeté médiocre, une indulgence trop grande, en particulier envers les candidats ecclésiastiques. Mais on l’attaque également sur la qualité de son enseignement : si sa parole est facile, « il n’apprend pas beaucoup de choses à ses auditeurs ».

Son évolution de carrière n’est pas fulgurante puisqu’il ne passe à la troisième classe qu’en 1870 et à la deuxième en 1875. Il essaie bien d’avancer un titre de lauréat de l’Institut de France (obtenu pour ses travaux de numismatique) pour postuler directement à la première classe, mais en vain. Pour la licence, il enseigne les propriétés générales des corps, l’électromagnétisme, la chaleur, l’acoustique et l’optique. Chautard donne aussi des cours complémentaires du soir « en faveur des ouvriers » de 1856 à 1870, un cours de physique médicale aux élèves de l’École de médecine et aux candidats au baccalauréat ès sciences de 1864 à 1872. Il maintient une veille météorologique depuis 1856, et édite un bulletin annuel.

Paradoxalement, si on considère son affectation à une chaire de physique, ses travaux de recherche concernent davantage la chimie. Sa première publication date de 1845 et jusqu’en 1864, il ne va quasiment publier qu’en chimie organique. Son travail est reconnu par cinq articles aux Comptes rendus de l’Académie des sciences et un aux Annalen der Physik. Il travaille en particulier dans la suite de Louis Pasteur, notamment avec son collègue Victor Dessaignes, sur les composés optiquement actifs, et il a donc contribué, certes modestement, à la naissance de la stéréochimie.

En physique, il montre dans ses publications une préoccupation clairement pédagogique, toute orientée vers les expériences de cours. En 1872, il présente dans les Mémoires de l’Académie de Stanislas un article qui manifeste son souci de transmission et de vulgarisation : « Vulgarisation de quelques phénomènes de physique expérimentale ».

De 1864 à 1875, Chautard publie une série de neuf articles sur les spectres produits par la lumière des courants d’induction aux Comptes rendus de l’Académie des sciences, portant sur les décharges dans les gaz raréfiés, dans la ligne des travaux de Julius Plücker, un savant allemand à l’origine du développement de la spectroscopie.

Il utilise la spectroscopie en revenant en 1872 à des recherches en chimie organique sur la chlorophylle, à propos desquelles il va publier neuf articles, dont six en chimie végétale, aux Comptes rendus de l’Académie des sciences. C’est le moment où il introduit la spectroscopie dans le cours d’optique. À cette époque, il oriente Albin Haller* sur ses premières recherches et son sujet de thèse.

Notons aussi que Chautard publie les résultats des observations météorologiques de 1862 à 1872 et des leçons comme son Traité des sources de chaleur et de lumière (1865). À la suite de la guerre de 1870, il publie sa leçon d’ouverture du cours de physique en avril 1871, Du rôle de la science dans la guerre de 1870-1871 et ses quatre leçons de décembre 1871 sur Les incendies modernes. Ces derniers textes nous dévoilent les opinions politiques de Chautard, conservateur et versaillais. Pour lui, relever la France de ses ruines se fera par le travail, la science et l’instruction.

Le tableau des publications de Jules Chautard ne serait pas complet si n’y apparaissaient pas ses travaux de numismatique. Pour Chautard, la numismatique n’est pas du tout un passe-temps, mais l’objet d’un réel investissement. Il commence à publier en 1862 dans le Bulletin de la Société archéologique du Vendômois, puis dans les Mémoires de l’Académie de Stanislas et dans la Revue numismatique belge à partir de 1863. Son ouvrage le plus important, Imitations de monnaies au type esterlin aux 13e et 14e siècles est une somme de cinq cents pages. Il recevra le prix de numismatique de l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1872. On peut se poser la question de la faiblesse de ses productions en physique si on la compare à cet engagement dans un domaine hors enseignement, seize publications, mais parmi elles des ouvrages conséquents qui montent cette production en nombre de pages au-delà de celle fournie pour la physique.

Chautard est membre de nombreuses sociétés savantes, l’Académie de Stanislas dont il devient président en 1870-1871, l’Académie de Metz en tant que correspondant, et il est membre de la Société d’émulation pour les Sciences pharmaceutiques (1855), de la Société de médecine de Nancy (1869) et de la Société de physique de Paris (1872). Par ses recherches en numismatique, il participe aux activités de la Société archéologique du Vendômois, de la Société royale de numismatique de Belgique (1871), de la Société d’archéologie de Lorraine (1871), de la Société historique et archéologique du Duché de Limbourg en Hollande (1871), de la Société des antiquaires de France (1872) et de l’Institut royal du Duché de Luxembourg (1872).

Étienne Bolmont

Bibliographie

Chautard Jules (1845), « De l’existence de l’acide butyrique libre dans la tannée », Journal de pharmacie et de chimie, 7, 453-457.

___ (1851), « Note sur la production du chloroforme à l’aide du chlorure de chaux et de l’essence de térébenthine », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 33, 671.

___ (1852), Thèses de physique et de chimie présentées à la Faculté des sciences de Paris, Lemercier.

___ (1852), « Note sur quelques produits obtenus à l’aide de l’essence de térébenthine », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 34, 485.

___ (1853), « Mémoire sur l’acide camphorique gauche et le camphre gauche », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 37, 166.

___ (1855), Action du chlore, du brome, de l’hypochlorite et de l’hypobromite de chaux sur les huiles essentielles et sur quelques autres substances organiques, Lemercier.

___ (1855), « Étude optique de différentes substances organiques », Mémoires de l’Académie de Stanislas, 298.

___ (1857), « Nouvelles recherches sur les propriétés optiques des différentes espèces de camphre et en particulier celles du camphre de matricaire », Mémoires de l’Académie de Stanislas, 207.

___ (1863), Nouvelles études sur le camphre gauche de matricaire, Thunot.

___ (1863), « Note sur les acides camphoriques inactifs », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 56, 698.

___ (1866), « Recherches sur la lumière des courants d’induction traversant les gaz raréfiés », Mémoires de l’Académie de Stanislas, 414.

___ (1867), « De la vulgarisation de quelques phénomènes de physique expérimentale », Mémoires de l’Académie de Stanislas, 292.

___ (1870), « Sur le sens des courants induits à l’aide des décharges électriques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 70, 1403.

___ (1870), « Vulgarisation de quelques phénomènes de physique expérimentale », Mémoires de l’Académie de Stanislas, 1.

___ (1871), Imitations des monnaies au type esterlin frappées en Europe pendant le 13e et le 14e siècle, Nancy, Impr. de l’Académie de Stanislas.

___ (1872), « Recherches sur les raies de la chlorophylle », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 75, 1836.

___ (1873), « Classification des bandes d’absorption de la chlorophylle, raies accidentelles », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 76, 1273.

___ (1873), « Modifications du spectre de la chlorophylle sous l’influence des alcalis », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 76, 570.

___ (1874), « Action exercée par un électroaimant sur les spectres des gaz raréfiés, traversés par des décharges électriques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 79, 1123.

___ (1875), Les Spectres de la chlorophylle et leurs applications à la chimie, à la physiologie, à la toxicologie, Berger-Levrault.

___ (1876), « Actions magnétiques exercées sur les gaz raréfiés des tubes de Geissler », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 82, 272.

Sources d’archives

Archives nationales : Le dossier personnel concerne sa carrière de fonctionnaire de l’État jusqu’en 1876 (F/17/20403). Le dossier F/17/13177 décrit les programmes des enseignements à Nancy.

Archives de l’Académie des sciences : son dossier contient 8 lettres envoyées à Jean-Baptiste Dumas.

Archives de l’Université catholique de Lille : le dossier Chautard contient les phases de négociation pour son recrutement, éléments liés à ses problèmes en fin de carrière, ainsi que les arguments imprimés par Chautard pour sa défense. Le dossier rassemble tous les écrits épistolaires sur le « cas » Chautard, notamment les correspondances entre les évêques et le recteur.

Sources secondaires

De Saint-Venant R. (1901), « M. Jules Chautard », Bulletin de la Société archéologique du Vendômois, 40, 106-115.

Keller Virginie & Leroy Juliette (2002), Le transfèrement de l’École supérieure de pharmacie en 1872. Biographie de deux érudits de passage à Nancy : Charles Ernest Schmitt et Jules Chautard, Université de Lorraine, Thèse de doctorat en pharmacie.

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