Pierre BOUTROUX

1880, 1922
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Pierre
Boutroux
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Mathématiques
;
Texte
; par :
David Diedrich, Philippe Nabonnand

Pierre BOUTROUX (1880-1922)

Chargé de cours de calcul différentiel et intégral

Pierre Léon Boutroux est né le 6 décembre 1880 à Paris. Ses parents sont le philosophe Émile Boutroux et Aline Poincaré, la sœur du mathématicien Henri Poincaré. À sa naissance, son père enseigne la philosophie à l’École normale supérieure (il sera nommé professeur à la Sorbonne en 1885). Pierre Boutroux meurt brutalement à Paris, le 25 juin 1922. On notera que plusieurs sources donnent une date de décès différente. Son dossier de carrière contient une correspondance avec une supposée veuve concernant une pension de réversion sans qu’on puisse confirmer qu’il se soit jamais marié.

Boutroux obtient une licence ès lettres et une licence ès sciences à la Sorbonne vers la fin des années 1890. Il commence alors la préparation d’un doctorat de mathématiques. En 1902, son premier manuscrit suscite des réticences des membres de son jury, comme l’indiquent les propos de Paul Painlevé dans une lettre adressée au mathématicien suédois Gösta Mittag-Leffler en août 1902 : « Il paraît, d’après [Jacques] Hadamard et [Émile] Picard que les résultats du jeune Boutroux pour la plupart sont dépourvus de démonstration. » Jacques Hadamard propose alors des modifications importantes ce qui retarde la soutenance d’une année. En octobre 1903, Boutroux soutient finalement sa thèse de mathématiques, Sur quelques propriétés des fonctions entières, devant un jury composé de Paul Appell (président), Jacques Hadamard (rapporteur) et Émile Picard. Le rapport de soutenance d’Appell souligne à la fois l’importance des résultats de Boutroux et certaines difficultés dans leur justification : « Ce qui précède suffit à montrer la thèse dont nous parlons comme un travail important, dénotant de la part de son auteur une remarquable faculté d’invention. Celle-ci affecte, semble-t-il, une forme très intéressante et assez rare, quoique bien connue dans l’histoire de la science. M. Boutroux paraît appartenir à la catégorie des intuitifs au sens le plus extrême du mot, de ceux qui devinent les résultats par des voies qu’ils ignorent, peut-être même avant de les fonder sur de véritables raisonnements. Cette disposition d’esprit s’allie en général à une grande puissance créatrice. Elle entraîne souvent, par contre, une tendance plus ou moins marquée à l’obscurité. »

À l’issue de sa thèse, en novembre 1905, il est nommé maître de conférences de mathématiques à l’Université de Montpellier. Il reste trois ans sur ce poste. À la fin de l’année 1906, il est sollicité par le Collège de France pour assurer un cours Peccot, une charge de cours instituée depuis 1900 et destinée à des mathématiciens prometteurs âgés de moins de trente ans. Il obtient alors un congé sans traitement pour la période de janvier à juin 1907, renouvelé de janvier à avril 1908. Durant ces deux périodes d’enseignement au Collège de France (où il fait notamment un cours sur l’inversion des fonctions uniformes), ses cours sont pris en charge à Montpellier par Eugène Fabry*, alors titulaire de la chaire de mécanique rationnelle, et par Adolphe Bühl, maître de conférences. À la rentrée universitaire 1908, il obtient une charge de cours de mécanique rationnelle et appliquée à la Faculté des sciences de Poitiers ; il assure en outre un cours complémentaire d’astronomie. L’année suivante, en juillet, il est nommé chargé du cours de calcul différentiel et intégral à la Faculté des sciences de Nancy en remplacement d’Élie Cartan*. Il ne reste à Nancy qu’une année, car il obtient la chaire de calcul différentiel et intégral à la Faculté des sciences de Poitiers à partir de janvier 1911. Il y remplace Henri-Léon Lebesgue, qui vient d’être nommé à la Sorbonne.

Dans son rapport sur la situation et les travaux de la faculté pendant l’année 1910-1911, durant la séance de rentrée de l’Université de Nancy, Gaston Floquet*, doyen de la faculté des sciences, déplore le départ de Boutroux pour Poitiers : « […] nous nous étions félicités de cette nomination, que nous avions beaucoup désirée, et nous étions heureux de compter dans nos rangs le jeune mathématicien d’élite, dont les beaux travaux allaient jeter de l’éclat sur notre faculté. Mais bientôt vint pour lui l’âge de la titularisation et elle ne pouvait pas être différée pour un géomètre de sa valeur. Pour une attention des plus délicates, c’est hors de Nancy que M. Boutroux a voulu l’obtenir et c’est ainsi qu’il fut titularisé à Poitiers, où une chaire se trouvait vacante. Il est donc retourné dans cette ville, n’ayant séjourné qu’un peu plus d’une année parmi nous, mais laissant à notre faculté le meilleur des souvenirs. »

Boutroux reste à Poitiers jusqu’en juillet 1913 et durant ces années il assure également le cours de mathématiques générales. À cette date, il est mis à la disposition du ministère des Affaires étrangères pour assurer un enseignement de mathématiques à l’Université de Princeton. Sa prise de fonction coïncide avec le voyage de son père, Émile Boutroux, dans cette même université dans le cadre de ses actions en faveur d’une collaboration entre la Sorbonne et les universités américaines.

À l’entrée en guerre, Boutroux rejoint l’armée comme interprète stagiaire à l’État-major. Réformé, il continue sa collaboration en tant que volontaire. À la fin de la guerre, il obtient à sa demande le renouvellement de sa mise à disposition de l’Université de Princeton. Le 8 juillet 1920, le Collège de France le nomme professeur d’histoire des sciences, position qu’il conservera jusqu’à son décès le 25 juin 1922.

Le premier travail de Boutroux, publié en 1900, concerne l’histoire de la philosophie et s’intitule L’imagination et les mathématiques selon Descartes. Durant sa carrière, il maintient son intérêt pour la philosophie des sciences, même s’il publie essentiellement en mathématiques dans un premier temps. Ses travaux mathématiques portent principalement sur les singularités des fonctions complexes ; il y approfondit et améliore les résultats d’autres mathématiciens comme Paul Painlevé, Émile Picard ou Friedrich Moritz Hartogs. Ses articles sont souvent accompagnés de commentaires méthodologiques : idée de propriétés positives d’une fonction, réflexion sur les approches globales des fonctions multiformes, relations entre théorie des fonctions et théorie des équations différentielles, etc. Dans la présentation de son ouvrage sur Les principes de l’analyse mathématique (1914), il distingue la compréhension des objets mathématiques et celle des démonstrations : « De l’Analyse mathématique nous avons surtout en vue le contenu. Ce sont les faits mathématiques, étudiés objectivement et pour eux-mêmes, qui retiendront notre attention plutôt que les procédés, souvent artificiels, par lesquels ces faits sont découverts et contrôlés. »

En 1908, le philosophe Léon Brunschvicg l’associe au projet d’édition des Œuvres de Pascal en le chargeant plus spécialement des travaux mathématiques. Par la suite, il rédige son ouvrage sur les principes de l’analyse qu’il destine à « ceux qui aimeraient à jeter un coup d’œil d’ensemble sur l’Analyse mathématique, qui sont curieux d’en connaître la signification intrinsèque et l’évolution historique ». Parallèlement, il écrit un livre sur L’idéal scientifique des mathématiciens (1914) dans lequel il s’intéresse à l’idée que se font les mathématiciens de leur science, aux « principes directeurs de leur activité ». La même année, il est associé à un ouvrage consacré à l’œuvre de son oncle Henri Poincaré, pour lequel il rédige la partie philosophique.

Signe d’une double implication en philosophie et en mathématiques, Boutroux publiera dans des revues aussi diverses que les Annales scientifiques de l’École normale supérieure, le Bulletin de la Société mathématique de France, les Acta mathematica, le Journal de mathématiques pures et appliquées, la Revue de métaphysique et de morale, ou la revue Scientia avec laquelle il collabore de manière assidue.

En 1912, l’Académie des sciences lui décerne le Grand Prix des sciences mathématiques pour ses recherches sur les valeurs asymptotiques des intégrales de certaines équations différentielles. En 1921, il reçoit le prix Saintour de l’Académie des sciences qui salue à cette occasion la richesse et la variété de son œuvre.

David Diedrich & Philippe Nabonnand

Bibliographie

Boutroux Pierre (1900), L’imagination et les mathématiques selon Descartes, Paris, Alcan.

___ (1904), « Sur quelques propriétés des fonctions entières, thèse de mathématiques soutenue à la Faculté des sciences de Paris », Acta mathematica, 28, 97-224.

___ (1905), « Fonctions multiformes à une infinité de branches », Annales scientifiques de l’École normale supérieure, 3, 22, 441-469.

___ (1906), « Propriétés d’une fonction holomorphe dans un cercle où elle ne prend pas les valeurs zéro et un », Bulletin des sciences mathématiques, 34, 30-39.

___ (1907), « Analyse critique de La théorie physique (Pierre Duhem) », Rivista di Scienza, 1, 147-150.

___ (1907), « Analyse critique de La science moderne (É. Picard) », Rivista di Scienza, 1, 141-143.

___ (1907), « Analyse critique de Problemi della Scienza (Federigo Enriques) », Rivista di Scienza, 1, 338-341.

___ (1907), « Analyse critique de La mécanique des phénomènes fondée sur les analogies (M. Petrovich) », Rivista di Scienza, 2, 190-192.

___ (1907), « La Théorie physique de M. Duhem et les mathématiques », Revue de métaphysique et de morale, 15, 363-376.

___ (1908), « Sur l’indétermination d’une fonction uniforme au voisinage d’une singularité transcendante », Annales scientifiques de l’École normale supérieure, 3, 25, 319-370.

___ (1908), Leçons sur les fonctions définies par les équations différentielles du premier ordre (professées au Collège de France, Paris, Gauthier-Villars.

___ (1909), « Analyse critique de De la méthode dans les sciences (H. Bouasse, P. Delbet et alii) », Rivista di Scienza, 5, 167-171.

___ (1909), « L’évolution des mathématiques pures », Rivista di Scienza, 6, 1-20.

___ (1909), « Analyse critique de Abhandlungen der Fries’schen Schule (G. Hessenberg, K. Kaiser, L. Nelson) », Rivista di Scienza, 5, 377-381.

___ (1910), « Analyse critique de Cournot et la renaissance du probabilisme au 19e siècle (F. Mentre) », Scientia : rivista internazionale di sintesi scientifica, 7, 386-389.

___ (1910), « Sur les singularités des équations différentielles rationnelles du premier ordre et du premier degré », Journal de mathématiques pures et appliquées, 6, 137-200.

___ (1911), « Remarques sur les singularités transcendantes des fonctions de deux variables », Bulletin de la Société mathématique de France, 39, 296-304.

___ (1913), « Analyse critique de Les étapes de la philosophie mathématique (L. Brunschvicg) », Scientia : rivista internazionale di sintesi scientifica, 13, 98-104.

___ (1913), « Recherches sur les transcendantes de M. Painlevé et l’étude asymptotique des équations différentielles du second ordre », Annales scientifiques de l’École normale supérieure, 3, 30, 255-375 ainsi que 3, 31, 99-159.

___ (1914), L’idéal scientifique des mathématiciens dans l’Antiquité et dans les temps modernes, Paris, Alcan.

___ (1914-1919), Les principes de l’analyse mathématique : exposé historique et critique, en deux volumes, Paris, Hermann.

___ (1920), « On Multiform Functions Defined by Differential Equations of the First Order », Annals of Mathematics, 2, 22, 1-10.

___ (1921), « Science in France », The Scientific Monthly, 13, 435-447.

___ (1921), « L’histoire des principes de la dynamique avant Newton », Revue de métaphysique et de morale, 28, 657-688.

___ (1921), « Travaux statistiques relatifs aux mouvements de nos effectifs pendant la guerre », Journal de la Société de statistiques de Paris, 62, 180-189.

___ (1921), « L’enseignement de la mécanique en France au 17e siècle », Isis, 4, 276-294.

___ (1922), « Le père Mersenne et Galilée, partie 1 : de 1623 à 1633 », Scientia : rivista internazionale di sintesi scientifica, 31, 279-290.

___ (1922), « Le père Mersenne et Galilée, partie 2 : de 1633 à 1642 », Scientia : rivista internazionale di sintesi scientifica, 31, 347-360.

___ (1938), « L’œuvre de Paul Tannery (avec George Sarton) », Osiris, 4, 690-705.

Boutroux Pierre & Brunschvicg Léon Ed. (1908-1921), Œuvres de Blaise Pascal, Paris, Hachette.

Boutroux Pierre, Hadamard Jacques, Langevin Paul, et al. (1914), Henri Poincaré – l’œuvre scientifique, l’œuvre philosophique, Paris, Alcan.

Sources d’archives

Archives nationales : dossier de carrière (F17/25714).

Sources secondaires

Anonyme (1921), « Prix Saintour », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 173, 1274.

Brunschvicg Léon (1922), « L’œuvre de Pierre Boutroux », Revue de métaphysique et de morale, 285-288.

Charle Christophe (1994), « Ambassadeurs ou chercheurs ? Les relations internationales des professeurs de la Sorbonne sous la Troisième République », Genèses, 14, 42-62.

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