René BLONDLOT

1849, 1930
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René
Blondlot
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Physique
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Texte
; par :
Étienne Bolmont

René BLONDLOT (1849-1930)

Professeur de physique

René Prosper Blondlot est né à Nancy le 3 juillet 1849. Il descend d’une famille d’universitaires, jusqu’à son arrière-grand-père maternel. Son père, Nicolas Blondlot fut professeur de chimie à l’École préparatoire de médecine de Nancy, puis titulaire de la chaire de chimie médicale et toxicologie à la Faculté de médecine de Nancy de 1872 à 1877, date de sa mort. Célibataire, René Blondlot meurt à Nancy le 24 novembre 1930 sans laisser de descendants. Il lègue une part importante de sa fortune à la ville de Nancy, ainsi que la propriété familiale du Quai Claude le Lorrain, transformée à sa demande en parc ouvert au public.

Après ses études secondaires, René Blondlot prépare sa licence ès sciences physiques à Paris. Reçu en 1875, il obtient en décembre un poste de préparateur à l’École pratique des hautes études, attaché au laboratoire de physique à la Sorbonne, avec un traitement de 1 800 francs. C’est Jules Jamin, directeur du laboratoire et professeur à la Faculté des sciences de Paris qui a demandé la nomination de son élève sur ce poste qui va lui permettre de préparer sa thèse. Il la soutient brillamment en 1881 devant un jury composé de Paul Desains (président), Louis Joseph Troost et Jules Jamin : Recherches expérimentales sur la capacité de polarisation voltaïque. La conclusion du rapport est élogieuse : « Malgré la difficulté et la délicatesse du sujet, cette thèse est le point de départ de travaux qui ne manqueront pas de la suivre. Elle est rédigée avec une grande clarté, avec un ordre qu’on ne se lasse pas d’admirer. M. Blondlot vient donc de se révéler comme un savant d’avenir, comme un écrivain habile et il a soutenu sa thèse comme un professeur expérimenté. »

Au début de l’année 1882, Marcel Brillouin*, qui occupait le poste de maître de conférences à la Faculté des sciences de Nancy, le quitte pour Dijon. René Blondlot en profite pour postuler à cet emploi qui lui permet de revenir dans sa ville natale. Sur place, il peut compter sur les soutiens du doyen Louis Grandeau* et du professeur de physique Ernest Bichat* et, à Paris, sur celui de Jules Jamin, de Marcelin Berthelot et de l’inspecteur général Émile Fernet. Il est nommé le 15 février 1882 avec un salaire annuel de 4 000 francs. Fin 1882, il refuse une nomination comme professeur à Grenoble, pour succéder à Jules Violle nommé à Lyon. Il prétexte une santé très délicate, ses attaches familiales à Nancy et exprime le souhait de demeurer auprès de Bichat* avec lequel il a entrepris des recherches. Cette collaboration va d’ailleurs se poursuivre durant les années 1880.

En février 1886, le conseil de la faculté demande au ministre sa nomination comme professeur adjoint. Avec l’appui du recteur Ernest Mourin, il est nommé en mars 1886. En juillet 1890, il est nommé chargé d’un cours complémentaire de physique avec un traitement annuel de 5 000 francs. Fin 1895, une seconde chaire de physique est créée à Nancy et, naturellement, Blondlot y est nommé le 1er janvier 1896. Il gravit tous les échelons pour atteindre la première classe en 1906. Il fait valoir ses droits à la retraite à partir de novembre 1909, après trente-quatre années de services dans l’Université. Il se plaint alors de « l’état précaire de sa santé », qui lui interdit « d’occuper plus longtemps une chaire dont le titulaire a le devoir strict de se maintenir constamment au courant des progrès de la science, et est obligé de dépenser journellement une somme d’énergie [qu’il ne peut] plus fournir ». Il est alors nommé professeur honoraire.

Sa carrière a été brillante, avec un rayonnement international. Il a été un des principaux expérimentateurs auxquels Henri Poincaré a pu faire appel et a correspondu notamment avec Heinrich Hertz. L’Académie des sciences lui décerne trois prix : le prix Gaston Planté en 1893 pour ses travaux sur la propagation de l’électricité le long d’un fil, le prix La Caze en 1899 pour l’ensemble de ses travaux en électricité et en particulier sur la vitesse de propagation des ondes électromagnétiques et le prix Leconte en 1904 pour l’ensemble de ses travaux. Le rapport réécrit par Henri Poincaré insiste beaucoup plus sur ses travaux concernant les ondes électromagnétiques que sur la récente découverte des rayons N.

Membre correspondant de l’Académie des sciences en 1894 où il prend la place d’Helmholtz, il est aussi actif au niveau local, à l’Académie de Stanislas et à la Société des sciences de Nancy à partir de 1882. Il est chevalier de l’ordre de la Légion d’honneur en décembre 1895 puis officier en 1904.

La communauté scientifique apprécie l’originalité et la précision expérimentale de ses recherches, tant au point de vue théorique (par exemple Henri Pellat à propos de l’énergie d’un condensateur) qu’au point de vue expérimental (c’est le cas de Pierre Curie à propos des courants d’air dans un four en 1895). Ses dispositifs expérimentaux sont utilisés par d’autres chercheurs, comme l’électromètre qu’il a élaboré avec Bichat*, les résonateurs et excitateurs dans des expériences sur les ondes électromagnétiques ou encore un commutateur à bascule…

Ses travaux laissent apparaître une ingéniosité technique dans l’élaboration des expériences – notamment dans le but de rendre leur interprétation sans équivoque – et un souci très marqué de la recherche des causes d’erreur et de leur rectification, comme il le précise à Éleuthère Mascart dans une lettre de novembre 1895 : « … à mon avis, une expérimentation de vérification n’est jamais de trop, surtout quand on peut lui donner une certaine élégance ». Toutes les sources le décrivent comme un chercheur passionné vivant uniquement pour la recherche. Ainsi on note dans les renseignements confidentiels en 1886 : « Bien vu dans le monde, mais y va rarement, préfère son laboratoire », ce qui est encore confirmé en 1891 quand on décrit sa « vie retirée et laborieuse ». Il est également reconnu comme un excellent directeur de laboratoire de recherche (1899). Blondlot a montré toutes ses qualités dans ses recherches en électromagnétisme, par ses mesures de la vitesse de propagation des ondes hertziennes, grâce à des dispositifs expérimentaux originaux. Ce sont ces recherches qui l’ont consacré comme un grand savant.

Cependant, 10 ans plus tard, sa découverte des rayons N va le propulser sur une scène beaucoup moins avantageuse. Il y a été conduit par des recherches sur les rayons X qu’il entreprend en 1902 et qui lui font remarquer, en février 1903, des phénomènes inexpliqués qu’il interpréte comme relevant d’un nouveau rayonnement, « une nouvelle espèce de lumière », qu’il appelle Rayons N en référence à la ville de Nancy. À partir de ce moment, il se consacre pleinement à cette nouvelle recherche dans laquelle il implique nombre de ses collègues à Nancy : Bichat* et Camille Gutton* à la faculté des sciences, Augustin Charpentier à la faculté de médecine. D’autres chercheurs français le rejoignent, tels Henri et Jean Becquerel, Mascart, Gabriel Lippmann… Cette adhésion à la découverte de Blondlot est souvent une marque de confiance en la fiabilité du savant, gagnée par ses travaux précédents. Cependant, son succès n’est pas complet, puisque beaucoup expriment une tiède adhésion et des doutes, amplifiés par les réactions de tous les savants qui ont essayé en vain de reproduire ses résultats, en particulier à l’étranger. Ces réticences apparaissent bien dans l’enquête menée par la Revue scientifique à l’automne 1904, avec des commentaires négatifs de Paul Langevin, Pierre Curie, Jean Perrin, Pierre Weiss, Jules Violle et Heinrich Rubens. En 1905, alors qu’il avait jusque-là renoncé à chercher une preuve photographique, Blondlot annonce avoir réussi à photographier l’effet des rayons N, ce que son collègue Gutton* va également affirmer. Mais Aimé Cotton va finir par détruire cette « preuve » en soulignant que la méthode des savants nancéiens a manqué finalement de rigueur et de retour critique. Une dernière tentative est faite par Blondlot en août 1907 auprès de l’Académie des sciences sous la forme d’un pli cacheté dans lequel il expose des « Observations et expériences sur les rayons N et sur les radiations émises par l’acier trempé et d’autres corps en état de contrainte mécanique ». Finalement, Blondlot se retrouve isolé et amer. L’Académie renonçant à publier davantage sur les rayons N, les grands savants de l’époque mettent en avant la non-reproductibilité des expériences et en rejettent la validité. Seuls deux d’entre eux ont réellement crié à la supercherie, Robert Wood et Albert Turpain. Ce dernier le paiera quand il se présentera à Nancy pour briguer innocemment la chaire de Bichat après la mort de ce dernier, la commission lui préférant le fidèle Camille Gutton*.

Au cours de sa carrière de professeur, Blondlot enseignera les différents domaines de la physique, avec, à partir de 1890, une alternance entre thermodynamique et acoustique et, l’année suivante, électricité. En 1886, le recteur Ernest Mourin le qualifie de « bon professeur d’ailleurs, et faisant d’une manière solide un cours qui complète heureusement celui du professeur en titre », à savoir Bichat*. On le décrit comme un enseignant dévoué à ses élèves, allant jusqu’à faire, à titre gracieux, une conférence supplémentaire chaque semaine. « Il s’occupe avec beaucoup de soin des étudiants auxquels il ne marchande ni son temps ni ses conseils ». Le recteur Charles Adam ajoute en 1903 : « Savant de tout premier ordre, la gloire de notre Université. Et ne dédaignant pas l’enseignement, ni ses étudiants : il se plaît, au contraire, à les diriger, à les stimuler, à exercer autour de lui une action qui tient d’un prosélytisme ». Il faut ajouter au portrait de Blondlot sa générosité vis-à-vis de la faculté des sciences. Blondlot donne en juillet 1905 deux titres de rente d’une valeur totale de 1 600 francs en faveur « de jeunes gens montrant des aptitudes remarquables pour les sciences mathématiques et physiques, mais n’ayant pas les ressources nécessaires pour suivre leurs études ». En 1908, il effectue une deuxième donation de 20 000 francs, qui doit contribuer à l’aménagement du nouvel institut de physique en construction porte de la Craffe. La faculté devra lui servir les intérêts au taux de 3,5 % de cette somme, sa vie durant. Il garde jusqu’à la fin de sa carrière, après l’épisode des rayons N, l’appui des enseignants et du recteur, qui, en 1907, proclame : « Nous sommes tous fiers de notre Blondlot à Nancy ». Qualifié d’honneur de la faculté des sciences, de professeur remarquable, de savant de premier ordre, au dessus de tout éloge,… il est alors bien « la gloire de l’Université de Nancy ».

Étienne Bolmont

Bibliographie

Blondlot a écrit plus de 80 articles dont près de la moitié au sujet des rayonnements X et N, de 1901 à 1905. Il publie régulièrement depuis ses débuts, avec une pointe dans les années 1890, au moment où il étudie les ondes hertziennes, travaux qui lui valent sa renommée.

Blondlot René (1875), « Sur la détermination de la quantité du magnétisme d’un aimant », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 653-656.

___ (1876), « Sur certains points remarquables des aimants », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 454-455.

___ (1879), « Sur la capacité de polarisation voltaïque », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 148-151.

___ (1881), « Recherches expérimentales sur la capacité de polarisation voltaïque », Journal de physique, 277-284, 333-357 et 434-445.

___ (1882), « Oscillations du plan de polarisation par la décharge d’une batterie. Simultanéité des phénomènes électrique et optique », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1590-1592.

___ (1888), « Sur la théorie du diamagnétisme », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1347-1349.

___ (1890), « Sur une loi élémentaire de l’induction électromagnétique », Journal de physique, 177-180.

___ (1891), « Sur la mesure des constantes diélectriques », Journal de physique, 512.

___ (1898), « Sur la mesure directe d’une quantité d’électricité en unités électromagnétiques ; application à la construction d’un compteur d’électricité », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1691-1695.

___ (1899), « Production de forces électromotrices par le déplacement, dans le sein d’un liquide soumis à l’action magnétique, de masses de conductivités différentes », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 901-904.

___ (1902), « Sur la vitesse avec laquelle les différentes variétés de rayons X se propagent dans l’air et dans différents milieux », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1293-1295.

___ (1902), « Sur l’égalité de la vitesse de propagation des rayons X et de la vitesse de la lumière dans l’air (Errata, 920) », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 721-724.

___ (1903), « Action d’un faisceau polarisé de radiations très réfrangibles sur de très petites étincelles électriques », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 487-489.

___ (1903), « Sur la polarisation des rayons X », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 284-286.

___ (1903), « Sur la propriété d’émettre des rayons N que la compression confère à certains corps, et sur l’émission spontanée et indéfinie de rayons N par l’acier trempé, le verre trempé, et d’autres corps en état d’équilibre moléculaire contraint », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 962-964.

___ (1903), « Sur de nouvelles actions produites par les rayons N : généralisation des phénomènes précédemment observés », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 684-686.

___ (1903), « Sur une nouvelle action produite par les rayons N et sur plusieurs faits relatifs à ces radiations », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 166-169.

___ (1903), « Sur de nouvelles sources de radiations susceptibles de traverser les métaux, le bois, etc., et sur de nouvelles actions produites par ces radiations », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1227-1229.

___ (1903), « Sur l’existence dans les radiations émises par un bec Auer, de rayons traversant les métaux, le bois, etc. », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1220-1223.

___ (1903), « Sur une nouvelle espèce de lumière », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 735-736.

___ (1904), Rayons "N", Paris, Gauthier-Villars.

___ (1904), « Recherches sur les rayons N », Journal de physique, 5-12, 121-125 et 257-268.

___ (1904), « Nouvelles expériences sur l’enregistrement photographique de l’action que les rayons N exercent sur une petite étincelle électrique », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 843-846.

Bichat Ernest & Blondlot René (1886), « Construction d’un électromètre absolu, permettant de mesurer des potentiels très élevés », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 245-248.

Blondlot René & Garcin Julien François William (1905), ‘N’ rays : a collection of papers communicated to the Academy of sciences, with additional notes and instructions for the construction of phosphorescent screens, London, Longmans, Green, and co.

___ (1886), « Sur un électromètre absolu, à indications continues », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 753-756.

Blondlot René & Curie Pierre (1889), « Sur un électromètre astatique », Bulletin de la Société des sciences de Nancy, 148-154.

Sources d’archives

Archives nationales : dossiers de carrière (F/17/22097 et AJ/16/5733). Dons et legs en faveur de l’Université de Nancy (F/17/14656).

Archives de l’Académie des sciences : son dossier contient différentes lettres concernant sa nomination en tant que membre correspondant, les remerciements aux prix qui lui furent attribués et des documents sur les rayons N.

Sources secondaires

Anonyme (1893), « Le prix Gaston Planté, 1893, est décerné à M. Blondlot, pour l’ensemble de ses recherches sur l’électricité, notamment sur la propagation de l’électricité dans un fil conducteur », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 972.

Borella Vincent (2006), « René Blondlot et les rayons N, genèse et postérité d’une erreur scientifique » in Françoise Birck et André Grelon (Dir.), Un siècle de formation des ingénieurs électriciens, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme Paris, 2006, 101-122. Cet article contient une bibliographie intéressante sur le sujet.

Mainard Robert (2004), « Un physicien nancéien : Blondlot », Mémoires de l’Académie de Stanislas, XVIII, 375-424. Cette biographie étudie de façon approfondie l’œuvre scientifique de Blondlot, la bibliographie est très complète

Nye Mary Jo (1986), « Nancy, the German Connection, Scientific Rivalry and N-Rays », in Science in the Provinces, University of California Press.

Piéron Henri (1906), « Grandeur et décadence des rayons N », L’année psychologique, 13, 143-169.

Poincaré Henri (1904), « Le prix Le Conte est décerné à Blondlot », Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1120-1122.

Rosmorduc Jean (1972), « Une erreur scientifique au début du siècle : les rayons N », Revue d’histoire des sciences, 25, 13-25.

Walter Scott, Bolmont Étienne & Coret André (Ed.), 2007, La correspondance d’Henri Poincaré, volume 2 : correspondance entre Henri Poincaré et des physiciens, chimistes et ingénieurs, Berlin, Birkhäuser.