Lucien BAILLY
Lucien BAILLY (1871-1940)
Chargé de conférences de législation et d’économie minière
Lucien Marie Bailly est né le 8 novembre 1871 à Lindre-Basse, une petite commune de Lorraine allemande située non loin de Dieuze. Son père, Jules-Henri Bailly, est docteur en médecine – il a soutenu en 1858 à la Faculté de médecine de Strasbourg une thèse intitulée Essai sur l’hérédité dans les maladies – et a exercé la profession de médecin à Vic-sur-Seille de 1859 à 1864. Il s’est marié au début des années 1860 avec Marie Élisabeth Desfrères (1835-1907), originaire elle aussi de Lindre-Basse. En 1864, le père de Lucien Bailly débute une carrière de régisseur des domaines, d’abord à Lindre-Basse, puis après la guerre de 1870, à Bleurville, un village du sud des Vosges. Suite à l’annexion de l’Alsace-Moselle, en septembre 1872, la famille opte pour la nationalité française. Lucien Bailly est le dernier né d’une fratrie de quatre frères tous appelés à une brillante carrière ; deux d’entre eux passeront par l’École polytechnique, l’un entrera dans la marine et l’autre intégrera le corps du génie. Le troisième s’orientera vers l’administration des impôts. En 1898, les parents de Lucien Bailly s’installent à Saint-Max, non loin de Nancy ; son père ouvre un cabinet médical dans ce village de quelques milliers d’habitants dont il deviendra le maire. Lucien Bailly épouse en avril 1897, à Nancy, Jeanne Legris (1876-1969), fille de Charles Legris, manufacturier et fabricant de chaussures. Le couple aura 4 enfants, une fille et trois garçons. Leur fille épousera Pierre Hinzelin, dont le grand-père était l’un des fondateurs des brasseries de Champigneulles et le grand-oncle, le journaliste et écrivain lorrain Émile Hinzelin (1857-1937). L’un des fils de Lucien Bailly, André, sera un aviateur de premier plan, auteur de plusieurs raids dans l’Entre-Deux guerres, dont un entre Paris et Saigon. Un autre fils, Pierre, sera géologue et océanographe. Lucien Bailly meurt à Marseille le 15 juillet 1940.
Bailly passe une partie de sa jeunesse à Bleurville avant d’aller étudier à Paris au Lycée Saint-Louis. Après l’obtention du baccalauréat ès sciences, il se prépare pour le concours de l’École polytechnique. Bien que ses parents ne soient pas dans la misère – ils affichent un revenu annuel de 4 000 francs en 1887 – ils ont dû supporter les frais de scolarité très lourds de leurs trois premiers enfants. En avril 1888, son père dépose donc auprès de la municipalité de Mirecourt et de la préfecture des Vosges une demande de bourse avec trousseau au cas où il serait admis. Lucien Bailly entre à l’École polytechnique en octobre 1888 avec le 4e rang et à l’âge de 17 ans. Son statut de boursier l’oblige à souscrire un engagement décennal au service de l’État. Deux ans plus tard, il est major de sortie de sa promotion, ce qui le conduit directement vers l’École des mines, comme c’est alors la coutume. Durant ses trois années d’études, il fait plusieurs voyages dans le Nord et l’Est de la France, en Westphalie, en Autriche-Hongrie, en Roumanie, en Grèce, en Angleterre et en Écosse. Ils lui donnent l’occasion de découvrir différents systèmes d’organisation des mines et de perfectionner sa pratique de l’allemand et de l’anglais. En juillet 1894 il est nommé ingénieur ordinaire des mines de 3e classe.
Pour sa première affectation, il est envoyé en Algérie pour s’occuper du sous-arrondissement minéralogique d’Oran et du contrôle de l’exploitation technique des chemins de fer algériens. S’il accepte cette nomination, il écrit cependant au ministre des Travaux publics pour lui signifier qu’il ne souhaite pas s’installer longuement à ce poste et que ses aspirations personnelles le poussent vers une résidence dans le nord-est de la France où habite toute sa famille (dans l’ordre de préférence, Nancy, Reims ou Vesoul). En mai 1896, il est candidat sur un poste vacant à Marseille, au motif qu’il ne supporte pas le climat algérien ; sa demande échoue, malgré le soutien de son supérieur hiérarchique. Il doit donc attendre encore quelques mois avant de revenir en France pour prendre, en septembre 1896, la responsabilité du sous-arrondissement minéralogique de Reims. Il se marie en avril 1897 et, en décembre 1897, il demande à sa hiérarchie un congé d’un an sans traitement pour « affaires personnelles ». Comme on le verra, il s’agit alors pour lui de préparer une conversion vers le monde industriel, suite à son mariage. Il revient en fait au bout de six mois et se voit chargé du sous-arrondissement de Dijon et du Service du contrôle de l’exploitation technique des Chemins de fer de Paris à Lyon et à la Méditerranée. Il occupe ce poste durant près de 4 ans.
Depuis le début de sa carrière, Bailly bénéficie de rapports d’évaluation élogieux de ses supérieurs qui soulignent tous ses qualités exceptionnelles et la technicité de son expertise, notamment dans le domaine de l’exploitation des mines de sel. Outre une charge de travail importante, il est souvent sollicité dans le cadre d’expertises industrielles ou dans des règlements judiciaires de contentieux. En janvier 1900, il organise avec succès le sauvetage de cinq ouvriers enfermés, par suite d’une crue subite, dans une grotte de la commune de Jeurre, dans le Jura. Salué comme un exemple, cet exploit lui vaudra une citation à l’Ordre du Corps des mines ainsi que la croix de la Légion d’honneur en août 1907. En décembre 1900, désireux de se rapprocher de sa famille, il se porte candidat pour un poste à Nancy, qu’il obtient en février 1901. Il est chargé du sous-arrondissement minéralogique de Nancy-Sud. Ainsi commence une carrière nancéienne qui, par bien des aspects, s’inscrit dans la continuité de son parcours antérieur. Toujours fort bien noté par ses supérieurs, il assure un temps l’intérim du sous-arrondissement minéralogique de Nancy-Nord en 1904, il prend brièvement la tête du service du contrôle de l’exploitation technique des Chemins de fer de l’Est la même année. En juin 1905, il est chargé d’un voyage d’études de trois semaines en Angleterre pour étudier « les conditions de la sidérurgie au point de vue de la concurrence avec le bassin de Meurthe-et-Moselle ». Aboutissement de ses dix années de carrière, il est nommé ingénieur ordinaire de 1re classe en avril 1905, grade qui lui permet d’espérer devenir ingénieur en chef dans un avenir proche. Durant ses premières années nancéiennes, il publie plusieurs études techniques sur la sidérurgie de l’Est, sur l’exploitation du minerai de fer lorrain ou sur les affaissements liés à l’exploitation du sel en Meurthe-et-Moselle ; ces travaux, qui paraissent dans les Annales des mines, mais qui donnent aussi lieu à des conférences au sein de la Société industrielle de l’Est, contribuent à lui assurer une réputation locale et nationale comme technicien et comme spécialiste des questions économiques, financières et juridiques de l’industrie houillère et de la sidérurgie en France.
C’est sans doute ce qui lui vaut, comme à certains de ses collègues ingénieurs du Corps des mines en poste à Nancy – Alfred Braconnier* et Georges Vaudeville* notamment – de donner des cours à la Faculté des sciences de Nancy. Durant plusieurs années, et jusqu’en 1909, il sera ainsi chargé de conférences de législation et d’économie minière à l’Institut de géologie appliquée. Ces enseignements ne semblent avoir laissé que peu de traces administratives. Peut-être ne donnaient-ils lieu, à l’instar de ceux de son collègue Vaudeville*, à aucune rémunération ?
D’extraction moyenne, son mariage l’a fait entrer dans le cercle familial de la famille de l’industriel Camille Cavallier (1854-1926), président de la Société anonyme des hauts fourneaux et fonderies de Pont-à-Mousson et administrateur d’un très grand nombre de compagnies sidérurgiques. De fait, en plus de ses activités d’ingénieur, Bailly mène à partir de 1900 une carrière parallèle d’administrateur de sociétés qui sont toutes plus ou moins liées à la famille Cavallier. Si ses enseignements à la faculté des sciences ne posent guère de problèmes, ses responsabilités industrielles multiples sont jugées nettement moins acceptables par une administration des Mines confrontée à ce problème de cumul depuis des décennies et qui tente dans les années 1900 de réguler ces pratiques, sources de possibles conflits d’intérêts (comment peut-on assurer le contrôle d’entreprises sidérurgiques et minières dans lesquelles on a des intérêts financiers et où on occupe des fonctions d’administrateur ?).
Ainsi en 1908, un nouveau décret durcit les conditions de cumul et Bailly est sommé par le ministère des Travaux publics de déclarer ses prises de participation dans des groupes industriels. À cette date, il est alors président du conseil technique et administrateur de la Société anonyme des charbonnages de Beringen, conseiller technique et administrateur de la Société anonyme métallurgique du Hainaut et administrateur de la Société anonyme des propriétaires unis pour la recherche et l’exploitation houillère en Belgique. Comme ces trois sociétés sont installées en Belgique et que ces fonctions proviennent de relations et intérêts personnels de famille, il pense que sa situation n’entre pas en contradiction avec les dispositifs réglementaires. Un premier rapport de son supérieur, l’ingénieur en chef Louis Aguillon, va d’abord dans ce sens jusqu’à ce que l’administration se rende compte que la société de Beringen a été constituée avec la participation de plusieurs sociétés métallurgiques du Nord et de l’Est de la France (Micheville, Pont-à-Mousson et Homécourt), sociétés sur lesquelles Bailly peut avoir à exercer des actes d’instruction et dans lesquelles sa famille possède de nombreux intérêts.
Sa situation devenant intenable, Bailly demande un congé illimité, un statut qui lui permettrait de ne pas quitter le très prestigieux Corps des mines et de prétendre à un avancement qu’il pense mériter (il se plaint en effet de ne pas avoir été inscrit au tableau d’avancement pour le grade d’ingénieur en chef et il pense qu’on lui fait payer son congé de sept mois en 1898). Sa demande est refusée et il n’obtient qu’un « congé pour affaires personnelles », sans traitement. Tout en appartenant toujours au Corps des mines, il se trouve donc également soumis au contrôle de son administration. Un décret de juin 1910 réglemente à nouveau les fonctions que peuvent occuper les fonctionnaires des ponts et chaussées et des mines. La nouvelle règle stipule que les fonctionnaires en congé hors cadre ne peuvent être attachés qu’à des compagnies chargées de services publics ou à des compagnies minières ; les ingénieurs du Corps des mines ne peuvent donc plus être administrateurs de sociétés lorsqu’ils sont en congé. En décembre 1910, Bailly écrit alors au ministre que ses responsabilités sont incompatibles avec sa situation d’ingénieur ordinaire des mines et il dépose sa démission, qui devient effective en janvier 1911. Il faut dire qu’à cette époque, il se trouve en responsabilité dans un grand nombre de sociétés : outre les sociétés belges mentionnées, il a des intérêts dans la Société africaine de recherche et d’exploitation minières, la Société française de recherche et d’exploitation de mines de fer, la Société strasbourgeoise de constructions mécaniques et la Société française des fours à coke et de matériel des mines. Il est également sur le point de devenir administrateur d’une Compagnie de mines d’or en Espagne et de créer dans la Région de Nancy une soudière et une Société de recherche de houille.
Bailly quitte l’administration des Mines avec le grade d’ingénieur de 1re classe. Il cherche cependant à obtenir l’honorariat, sans succès. Commence alors pour lui une longue carrière industrielle qu’il mènera toujours à Nancy. Une de ses principales réalisations industrielles sera sa contribution au développement de l’exploitation de la potasse en Alsace dans le cadre du seul groupe français autorisé par les autorités allemandes avant 1918 : la Société Amélie, qui deviendra par la suite la Société des mines de Kali Sainte-Thérèse. À partir des années 1920, Bailly s’engage dans la défense des petits actionnaires de sociétés. Cela le conduit à entrer en conflit avec son beau-frère Camille Cavalier au sujet de la sincérité des bilans comptables de ses sociétés et du rôle disproportionné des dirigeants vis-à-vis des actionnaires.
Dans le sillage de cet engagement, il crée en 1929 la Société financière de l’Est (Sofinest), une coopérative de placement et de défense des actionnaires inspirée du modèle des holdings et investments trusts anglo-saxons. L’année suivante, il est à l’origine de la création d’une Confédération des actionnaires, dédiée à la défense des petits actionnaires « exploités trop souvent par les conseils d’administration et toujours par le Fisc ». Elle a son siège social à la Sofinest. Son action fait de lui la cible d’une partie du patronat alors qu’il trouve des appuis dans les milieux socialistes qui voient en lui le promoteur d’un capitalisme social. La Sofinest poursuivra son action jusqu’en 1950.
Membre actif de la Société industrielle de l’Est, il sera également l’un des principaux rédacteurs de la revue L’Union économique de l’Est, une émanation de la Chambre de commerce de Nancy créée en 1917. C’est d’ailleurs au sein de cette publication que Bailly se fera, dès les premiers numéros, le principal porte-parole de la création d’un institut des mines et de la métallurgie, ancêtre de l’actuelle École nationale supérieure des mines de Nancy.
Ses conférences et ses travaux publiés – après la Première Guerre mondiale il rédige plusieurs brochures et ouvrages sur la finance minière et l’actionnariat – seront souvent cités et repris dans diverses revues spécialisées comme le Journal des sociétés civiles et commerciales.
En 1929, Bailly crée une fondation destinée à financer des bourses pour les meilleurs élèves pauvres des écoles primaires de la ville de Nancy. Suite au raid Paris-Saigon de son fils, il fait par ailleurs don à la ville d’une somme de 100 000 francs pour « la revalorisation de l’intelligence pauvre ».
Laurent Rollet
Bibliographie
Bailly Lucien (1900), L’avenir économique et financier des grandes compagnies de chemins de fer, Paris, Veuve C. Dunod, 31 p.
___ (1901), L’avenir économique et financier de l’industrie houillère et de la sidérurgie en France, Paris, Veuve C. Dunod, 27 p.
___ (1903), « Note sur les affaissements produits dans le Cheshire par l’exploitation du sel », Annales des mines, 250-283.
___ (1904), « Note sur les affaissements produits en Meurthe-et-Moselle par l’exploitation du sel », Annales des mines, 403-492.
___ (1905), L’exploitation du minerai de fer oolithique de la Lorraine, Veuve C. Dunod. Tiré des Annales des mines.
___ (1905), « La sidérurgie de l’Est et l’exportation », Bulletin de la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, 5, tome 107.
___ (1916), À la manière d’Anatole France. Monsieur Bergeret à Nancy ou le culte de l’enfant, Nancy, Imprimerie lorraine, 20 p.
___ (1917), « La restauration et le développement des mines de potasse d’Alsace », L’Union économique de l’Est, Revue de l’Est au travail, 1.
___ (1918), Actionnaires et administrateurs, Nancy, Imprimerie Rigot, 71 p.
___ (1920), Le problème français du charbon, conférence faite à la Société industrielle de l’Est le 20 septembre 1920, sous la présidence de M. Louis Marin et avec le concours de M. Henri Joly, Nancy, Imprimerie Rigot.
___ (1922), Autour des potasses, recueil d’articles publiés par le Journal d’Alsace et de Lorraine avec la collaboration de M. Bailly, Strasbourg.
___ (1930), Défense des actionnaires et finance minière, Nancy, Société financière de l’Est.
___ (1931), L’extrapolation de la crise, vue de Nancy, Conférence à la Société industrielle de l’Est, le 4 juillet 1931, Nancy, Sofinest.
Bailly Lucien, Bailly Pierre & Guénon Marcel (1936), Extrapolation économique. Un plan constructif de prospérité française. Recueil d’articles, par Lucien Bailly, Pierre Bailly et Marcel Guénon, Nancy, Imprimerie de Rigot.
Sources d’archives
Archives nationales : dossier de carrière (F/14/11624).
Sources secondaires
Anonyme (1929), « Le père de l’aviateur Bailly fait un don de cent mille francs pour créer des bourses de voyage », Cherbourg-Éclair, 19 juin.
Birck Françoise (2014), L’école des mines de Nancy (ENSMN) 1919-2012 : entre université, grand corps d’État et industrie, Nancy, PUN – Éditions universitaires de Lorraine. Voir en particulier les pages 81 à 91 qui concernent le rôle de Lucien Bailly dans la création de l’Institut des mines et de la métallurgie de Nancy.
Dattin Christine (2012), Du code de commerce de 1807 à la loi de 1966 : la lente émergence du commissariat aux comptes. De la fonction à la profession, thèse de doctorat en gestion et management, Université de Nantes.
Donnadieu A. (1930) « Une belle initiative », Le moniteur viennois, 23 août.
Faure Paul (1929), « Le bon patron ? », Le populaire, 5 juillet.
Thépot André (1998), Les ingénieurs des mines du 19e siècle – Histoire d’un corps technique d’État, tome 1 : 1810-1914 (avec une préface de Jean-Louis Beffa), Paris, Éditions ESKA / IDHI.
Sur la famille Cavallier, voir la notice sur le site des Annales des mines : http://www.annales.org/archives/x/cavallier.html (consulté le 20 janvier 2016).
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Photographie de Lucien Bailly élève à l'école polytechnique | Image |