Bertrand AUERBACH

1856, 1942
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Bertrand
Auerbach
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Géographie
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Texte
; par :
Christian Molaro

Bertrand AUERBACH (1856-1942)

Chargé de conférences de géographie coloniale

Bertrand Auerbach est né le 2 septembre 1856 à Paris (6e arrondissement). Son père, strasbourgeois d’origine, a opté pour la nationalité française et exerce la profession de lithographe. Il se marie le 22 mars 1888 avec Adèle Hirsch (1866-1946), fille d’un négociant également originaire d’Alsace. Le couple n’aura pas d’enfants. Auerbach s’éteint à Paris, le 25 août 1942.

Lauréat du Concours général des lycées, Bertrand Auerbach entre à l’École normale supérieure en 1876 et y suit les cours du géographe Paul Vidal de la Blache, nommé en 1877. Affecté, pour son premier poste au lycée de Bourges en octobre 1879, Auerbach le quitte l’année suivante, après avoir obtenu l’agrégation d’histoire-géographie, pour un poste au lycée de Laval.

Il quitte Laval en octobre 1881 pour le lycée de Belfort. Souhaitant entreprendre un travail de thèse, il manifeste le désir d’être affecté dans un lycée de première catégorie ou dans le siège d’une faculté. Il rejoint alors successivement le lycée de Toulouse en octobre 1882, celui de Lyon en octobre 1883, puis il est nommé, en novembre 1883, maître de conférences d’histoire ancienne à la Faculté des lettres de Caen. Suite à une demande de mutation pour Paris et Nancy, il intègre la Faculté des lettres de Nancy en octobre 1885. Il remplace Christian Pfister (1857-1933), nommé à la Sorbonne.

Le 23 janvier 1888, Auerbach soutient à Paris deux thèses de doctorat : une sur La diplomatie française et la Cour de Saxe de 1648 à 1680 et une thèse latine d’histoire ancienne sur l’œuvre géographique de Strabon (Quid sibi voluerit Strabo…), sous la présidence du doyen Ernest Lavisse. En 1889, il est nommé officier d’Académie.

Il devient professeur adjoint à Nancy le 12 avril 1892, puis, en janvier 1893, il est nommé à la chaire de géographie nouvellement créée suite à la division de la chaire d’histoire-géographie. Cette nomination consacre l’inflexion de ses préoccupations vers la géographie. On lit dans la note des renseignements confidentiels de l’Académie de Nancy de 1894 : « M. Auerbach qui était historien est en train de devenir géographe. » Il va cependant mener de front des travaux en histoire et en géographie.

Il intervient à partir de 1903 à l’Institut colonial de Nancy où il enseigne la géographie coloniale et perçoit pour ce cours semestriel une indemnité de 500 francs prise sur les fonds de l’Université. Dans le cadre de ses enseignements, il s’adresse à des étudiants de la faculté des sciences inscrits pour l’obtention du diplôme supérieur d’études agronomiques. Ces derniers peuvent choisir la section « Études coloniales » comme élément complémentaire. Dans les années 1920, ses cours sont suivis régulièrement par plus de 60 étudiants. Auerbach participe activement à la vie de cet institut, comme enseignant et comme assesseur dans la plupart des jurys. Il y intervient sans interruption jusqu’en 1929. Il y donne, bien évidemment, des cours de géographie et d’histoire coloniale (histoire et géographie du Maroc, de l’Afrique équatoriale et des civilisations africaines). Signe de son engagement sur ces questions on le voit associé en 1906 à l’organisation d’une section « Forêts coloniales » au Congrès colonial national de Marseille.

Il prend les responsabilités de doyen de la faculté des lettres en décembre 1908, dans un contexte difficile. En effet, Auerbach est élu par ses pairs, mais le conseil de l’université apporte, quant à lui, son soutien à l’ancien doyen Albert Martin. Un compte rendu du recteur Charles Adam au ministère de l’Instruction publique, daté du 3 décembre, écarte toute influence politique ; il présente les motivations qui animent alors le conseil d’université comme participant de la seule manifestation d’estime envers ce dernier, victime manifestement d’une association « d’éléments les plus disparates, coalisés pour la circonstance en vue de renverser le doyen sortant ». Ce « désaccord » entre la faculté des lettres et le conseil de l’université, s’il est relayé dans la presse locale – L’étoile du 5 décembre 1908 titre ainsi : « La crise à la faculté des lettres » – reste somme toute picrocholin et se résout assez rapidement. Le recteur Adam, dans une lettre du 4 décembre au ministre de l’Instruction publique écrit : « la question du doyen des lettres n’est pas, il faut bien le dire une question qui touche aux intérêts vitaux de l’Université de Nancy. Ce n’est pas comme s’il s’agissait du doyen des sciences ». Martin finit par s’effacer et Auerbach lui succède.

Sous ce premier décanat, il réinstalle la faculté dans des locaux nettement plus grands suite au départ de la faculté des sciences pour de nouveaux locaux situés Porte de la Craffe (l’institut de mathématiques et de physique, actuel collège de la Craffe). Il est reconduit dans ses fonctions pour trois ans en décembre 1911 avec 11 voix sur 12. Charles Adam, qui semble le garder par ailleurs en grande estime, le rappelle à l’ordre lors de son premier décanat (1908-1911) : alors qu’Auerbach se refuse à évaluer ses collègues, Charles Adam écrit : « Il est partisan du principe de la moindre action chez un doyen. Seulement il le pousse un peu loin ».

En avril 1915, Auerbach rédige des notices géographiques pour l’armée. Il demeure dans Nancy désertée, du début de la guerre à la fermeture de la faculté en mars 1918. Appelé par le ministère des Affaires étrangères pour œuvrer, au Service de documentation, à la préparation du Congrès de la paix, il obtient à cet effet un congé de trois mois à dater de janvier 1919. Il reprend en mai ses activités universitaires. Son dossier de carrière est jalonné de remarques qui laissent entrevoir un esprit singulier, curieux, conjuguant érudition, humour et éloquence ; sa hiérarchie ne semble d’ailleurs pas toujours apprécier son caractère. Ainsi, le recteur de l’Académie de Rennes écrit : « demande Nancy ou Paris […] Laval ne le regretterait pas ! ».

Dans un rapport, le proviseur du lycée de Rennes parle d’une « érudition malsaine » et écrit : « Il s’est permis de fâcheux écarts dans ses cours [en insistant] sur les faiblesses morales des personnages historiques, spécialement des rois et des papes ». Le recteur de Laval souligne qu’il est « enclin à sortir du cadre de l’enseignement secondaire ». Quelques années plus tard, en 1894, le recteur Amédée Gasquet évoquera un enseignant qui braconne sur les disciplines annexes, au grand dam de certains de ses collègues. Historien à l’origine, ses cours concernent en effet essentiellement la géographie : l’Océanie (1889), Madagascar (1903), l’Afrique occidentale française (1905), l’Amérique du Sud (1907), l’Europe (1908), etc.

Quant à son rayonnement scientifique, il semble jouer un rôle particulier dans le développement de la géographie régionale. Auerbach participe certainement de ce mouvement, qui, dans le sillage des Annales de géographie fondées en 1891 et emmenées par Paul Vidal de La Blache et Marcel Dubois, entreprend de donner, à l’instar de ce qui existe en Allemagne, une autre dimension à la géographie française. Marie-Claire Robic (2002) présente Auerbach comme « l’un des pionniers de la géographie universitaire de la fin du 19e siècle » et comme l’un des « promoteurs de la géographie régionale ».

Il y participe en publiant, en 1893, Le plateau lorrain, considéré comme la première monographie de géographie régionale de l’École française. Il contribue ainsi à asseoir la discipline en la distinguant épistémologiquement de la botanique ou de la géologie. Le découpage spatial auquel il se livre, consacre le pays ou le petit pays comme cellule, comme unité de base. Cet ouvrage est aussi salué lors de sa parution, comme « une nouveauté », comme une méthode devant « rendre possible l’œuvre synthétique d’une véritable géographie comparée ». On notera par ailleurs qu’Auerbach entretient de très bonnes relations scientifiques avec le géologue de la faculté des sciences Julien Thoulet*.

Au-delà de ses travaux en géographie, il mène également des recherches historiques. Il apparaît notamment comme l’un des spécialistes de l’Autriche-Hongrie. Un premier livre, Les races et les nationalités en Autriche-Hongrie (1898), témoigne de son intérêt pour cette région. En 1925, avec L’Autriche et la Hongrie pendant la guerre, il propose une synthèse inédite à laquelle Pierre Renouvin, en janvier 1926, consacre un compte rendu élogieux dans la Revue d’histoire de la guerre mondiale.

Le recteur Charles Adam écrit de lui qu’il « joue un rôle important dans la vie scientifique de la ville ». Nommé doyen honoraire en mai 1919, fait chevalier de la Légion d’honneur en septembre 1922, il s’engage dans un dernier décanat à partir de novembre 1923.

Il prend sa retraite en octobre 1926 tout en continuant jusqu’en 1929 à assurer des enseignements à l’institut colonial. C’est Robert Capot-Rey (1897-1977), géographe du Sahara et futur fondateur de l’Institut de recherche saharienne qui l’y remplace.

En ce qui concerne ses engagements sociaux, Auerbach a été président de la Société de géographie de l’Est, président de l’Union des Coopérateurs de Lorraine, membre correspondant de la Société industrielle de l’Est. Il a également été conférencier bénévole et assidu au sein de l’Université populaire créée, en 1899, dans la foulée de l’Affaire Dreyfus.

À la mort d’Auerbach, la ville de Villers-Lès-Nancy donnera son nom à une rue.

Christian Molaro

Bibliographie

Auerbach Bertrand (1887), La diplomatie française et la cour de Saxe (1648-1680), Paris, Hachette.

___ (1888), « Caractère et tendance de la science géographique », Annales de l’Est, II, 44-66.

___ (1889), « Buffon géographe », Revue de géographie, XXIV, 16-24 et 114-124.

___ (1890), « La Lorraine : essai de chorographie », Revue de géographie, 175-185.

___ (1893), Le plateau lorrain, essai de géographie régionale, Paris, Nancy, Imprimerie Berger-Levrault.

___ (1894), « Les résultats de la dernière expédition d’Emin Pacha », Annales de géographie, 14, 76-85.

___ (1895), « La répartition géographique de la population sur le sol allemand », Annales de géographie, V, 59-71.

___ (1897), « Le régime de l’Oder », Annales de géographie, 6, 313-327.

___ (1898), Les races et les nationalités en Autriche-Hongrie, Paris, F. Alcan.

___ (1899), « Le commerce maritime et la marine marchande de l’Allemagne », Annales de géographie, 37, 357-364.

___ (1902), « Le régime de l’Elbe », Annales de géographie, 54-67.

___ (1905), « Vosges », in Joanne P., Dictionnaire géographique et administratif de la France, Paris, Hachette, 5400-5413.

___ (1905), « La population de l’Empire Allemand d’après le recensement de 1900. Phénomènes démographiques et industrie. Statistique confessionnelle et linguistique », Annales de géographie, 118-125.

___ (1908), « L’évolution des conceptions et de la méthode en géographie », Journal des savants, 309-321.

___ (1910), « La valeur sociale des Allemands dans la monarchie autrichienne », Revue politique et parlementaire, LXIV, 236-251.

___ (1912), La France et le Saint Empire romain germanique depuis la paix de Westphalie jusqu’à la Révolution française, Paris, H. Champion.

___ (1913), « Le pangermanisme. Son organisation. Son action », Revue politique et parlementaire, LXXVIII, 14-35.

___ (1915), « La campagne de propagande d’un ambassadeur allemand aux États-Unis (1906-1908) », Revue politique et parlementaire, LXXVIII, 97-104.

___ (1923), La dictature du prolétariat en Hongrie, 22 mars-31 juillet 1919, Paris, Imprimerie E. Chiron.

___ (1925), L’Autriche et la Hongrie pendant la guerre, depuis le début des hostilités jusqu’à la chute de la monarchie, août 1914-novembre 1918, Paris, F. Alcan.

___ (1927), Le rattachement de l’Autriche à l’Allemagne, Paris, Imprimerie Berger-Levrault.

___ (1929), « Bénès (Édouard), ministre des Affaires étrangères de la République Tchécoslovaque. Souvenirs de guerre et de révolution (1914-1918). La lutte pour l’indépendance des peuples, Paris, Ernest Leroux, 1928 », Revue d’histoire de la Guerre mondiale, 38-45 et 356-361.

___ (1931), « Band. Jugend-und Diplomatenjahre ; XIII-689 p., 26 photographies ou fac-similé, Index. Berlin, Ullstein, [1930-1931] », Revue d’histoire de la Guerre mondiale, 306-309.

Sources d’archives

Archives nationales : dossier de carrière (F/17/23811) et dossier de Légion d’honneur (LH/7328).

Sources secondaires

Bulletin de l’Institut colonial de Nancy. 1904, fascicule I ; 1911, fascicule XVI ; 1929, fascicule XXXVI et XXXVII.

Bonnefont Jean-Claude (2002), « Julien Thoulet, fondateur à Nancy de l’océanographie française (1843-1936) », Mémoire de l’Académie de Stanislas.

Pfister Christian (1906), « Auerbach Bertrand, Vosges, Article du dictionnaire géographique et administratif de la France de P. Joanne, pp. 5400-5413 », Annales de l’Est et du Nord, 1, 136-137.

Rigout (1893), « Auerbach Bertrand, Le plateau lorrain. Essai de géographie régionale », Annales de géographie, II, 486-487.

Robic Marie-Claire (1999), « Bertrand Auerbach (1856-1942), éclaireur et ‘sans grade’ de l’école française de géographie », Revue géographique de l’Est, 39, 37-48.

___ (2002), « Note sur la notion d’échelle dans la géographie française de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle », Journée à l’École des hautes études en sciences sociales. Échelles et territoires, Paris, France, texte en ligne : http://www.cybergeo.eu/index3961.html.